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Liban - Polémique

Bois des Pins : quel avenir pour le poumon vert de Beyrouth ?

« Horch Beyrouth », l'un des rares espaces verts de la capitale, est au cœur des discussions entre les projets présentés par la municipalité, les intérêts d'acteurs privés et la réalité observée par les membres de la société civile.

Sur cette carte, les limites du terrain 1925 sont bien visibles, incluant le Bois des Pins, l'hippodrome, la partie cédée à al-Rissala et les espaces qui seront consacrés à l'hôpital de campagne et au stade.

Autrefois, les 125 hectares que comptait le Bois des Pins rappelaient la Toscane à l'émir Fakhreddine II (1572-1635). Mais les aléas de l'histoire ont réduit le Horch al-Snoubar à n'occuper que les 33 hectares qu'on lui connaît depuis la fin de la guerre civile. Ce patrimoine naturel est désormais sujet à des discours divergents quant à sa protection et sa promotion. En effet, si la municipalité assure avoir une politique de « développement des espaces verts », selon les mots du président du conseil municipal Jamal Itani, plusieurs membres de la société civile ont manifesté contre des « projets illégaux » dans la zone, rappelle Jessica Chémali, coordinatrice des campagnes de l'ONG Nahnoo.

Le premier problème posé est la qualification géographique de l'espace du Bois des Pins, car « parfois on fait référence au parc seulement, d'autres fois au lot 1925 (NDLR : voir le tracé sur la carte ci-joint, le terrain étant plus vaste que l'espace vert actuel) », explique à L'Orient-Le Jour le directeur du comité des espaces publics et des espaces verts au conseil municipal de la capitale, Gabriel Ferneiné. En référence à ce dernier lot, l'association Nahnoo dénonce au total trois projets qui risquent d'empiéter sur l'espace vert ou public du quartier : un projet de reconstruction du stade déjà existant dans le parc, la création d'un hôpital de campagne dans un espace initialement réservé au parking et le terrain situé hors du Bois, mais au sein du lot 1925 occupé par les scouts « al-Rissala » (voir encadré).

Le 9 février dernier, un collectif d'organisations – dont faisaient partie Nahnoo ou encore « Beyrouth Madinati » – ont manifesté devant le Bois des Pins où les travaux de l'hôpital de campagne reprenaient, malgré un début de démantèlement. « Des activistes qui sont allés peu auparavant préparer le rassemblement ont été agressés par des gens du voisinage, qui venaient d'un café lui-même installé illégalement dans le secteur », rapporte Jessica Chémali.

La zone est en réalité un carrefour à la fois géographique, mais aussi culturel et social. Ces litiges sont liés à un réseau complexe d'intérêts privés qui pourraient empiéter sur l'un des rares espaces verts de Beyrouth, une ville qui est déjà largement en dessous des normes internationales, avec seulement 0,65 mètre carré de jardin public par habitant contre les 10 mètres carrés prescrits par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

 

(Pour mémoire : La société civile se mobilise face aux projets de la municipalité de Beyrouth)

 

Planification verte ?
Au lendemain de la guerre, aucune planification urbaine globale n'a été adoptée – exception faite du centre-ville – et les rares espaces verts de la ville n'ont pas toujours été protégés. Jamal Itani insiste pour sa part sur les projets mis en place « par l'ancien conseil municipal qui, en partenariat avec la région Île-de-France, avait lancé un projet de reconstruction du Bois des Pins » en 1992.

Alors que l'accès au parc était très contrôlé il y a quelques mois encore (voir encadré), la municipalité a tenté de faire la promotion de nouveaux aménagements. Pour Gabriel Ferneiné, tous les projets ne sont pas nécessairement faits au détriment des espaces verts. L'éventuel aménagement du stade sportif au sein du Bois, par exemple, « pourrait être positif à condition d'agir à partir du stade existant et de ne rajouter aucune construction en dur ». « Il n'y aura pas de parking ou de béton », insiste-t-il. C'est néanmoins sur ce terrain que se sont mobilisées les associations de la société civile – dont Nahnoo, qui craint des constructions en béton au milieu du Bois – autant que sur le cas de l'hôpital de campagne, en théorie mobile, pour lequel des structures en béton ont été érigées.

Au sein de la municipalité, les voix ne sont pas toutes discordantes avec les revendications des associations. Gabriel Ferneiné a longtemps défini une position claire concernant l'hôpital de campagne : « Ce dossier nous a été confié il y a quelques mois. Nous avions émis une recommandation à la Commission des espaces verts que je préside, celle d'arrêter de construire l'hôpital en dur et de le transporter vers un autre terrain dans la même région, car il y a des besoins. Cette recommandation a été votée, et on a commencé à démanteler les poteaux de construction. »
Mais pour les ONG, l'ambiguïté persiste, puisque sur le terrain, les « constructions reprenaient, c'est pour cela que nous sommes allés manifester! » rappelle Jessica Chémali. En attendant, Gabriel Ferneiné précise que le conseil « a demandé de déplacer cet hôpital et de le mettre en dehors du lot 1925 ». Toutefois, aucun délai n'a été fixé pour ce transfert.

 

(Pour mémoire : « Le Bois des Pins est à tout le monde »)

 

« La construction du public par le privé »
La présence d'acteurs privés et/ou associatifs dans la zone représente également un défi dans la gestion de l'espace public. Nahnoo a évoqué le cas des scouts al-Rissala, qui s'étaient installés au début du conflit libanais sur une parcelle du lot 1925 et y avaient construit un bâtiment, sans les permis nécessaires, donc de manière illégale, et dont la situation a été définitivement régularisée par le conseil municipal. À L'OLJ, Jamal Itani exprime son désaccord avec le terme « illégal » : « C'était une autre époque, dit-il. De plus, un ancien conseil municipal avait déjà régularisé la situation. » C'était la loi 101 du 23 novembre 1995. Gabriel Ferneiné assure, en revanche, que malgré cette régularisation, « nous n'accepterons aucune nouvelle construction, que ce soit dans le parking ou un quelconque ajout à l'immeuble qui est déjà bâti et qui a plus de 30 ans ».

Pour l'hôpital de campagne, la situation est également floue : qu'est-ce qui justifie l'installation d'un hôpital de campagne (alors que le Liban n'est pas en guerre) dans une zone déjà pourvue en installations de ce type (voir carte) ? Cet hôpital sera-t-il conforme aux normes? « À travers le bâtiment, qui est mobile et financé par l'Égypte, nous cherchons à satisfaire les besoins de la population », explique Jamal Itani. La « zone abrite des populations vulnérables et en difficulté », confirme Gabriel Ferneiné. « Toute notre politique repose sur l'amélioration de la qualité de service », conclut le président du conseil municipal.
Pourtant, d'après ses propres informations, Nahnoo livre une version différente. « Nous avons rencontré l'ancien ambassadeur d'Égypte, et il a bien spécifié n'avoir jamais entendu parler du financement par son pays d'un hôpital, indique Jessica Chémali. Il s'agissait seulement de médicaments à distribuer. » Elle se demande comment expliquer la construction d'une infrastructure, qui plus est dans l'un des rares espaces verts de la ville.

La difficile réappropriation de l'espace public par les Beyrouthins
Le Bois des Pins, ancien fleuron du patrimoine naturel de la ville, a été le symbole du déchirement national, puisqu'il se trouve sur l'ancienne ligne de démarcation. Les bombardements israéliens de 1982 ont déclenché un incendie qui a ravagé le terrain. Depuis 1990, l'accès à ce parc naturel a été extrêmement restrictif : il n'était réellement ouvert qu'aux touristes occidentaux et aux Libanais détenant un permis spécial et répondant à des critères bien précis (avoir plus de 30 ans, ou avoir moins de 10 ans et être accompagné de ses parents). En septembre 2015, grâce aux efforts de l'association Nahnoo, le parc a été partiellement ouvert au public le samedi. Depuis le 6 juin 2016, l'espace de « Horch Beyrouth » est ouvert tous les jours de la semaine selon les horaires de la municipalité (qui ferme à 13h), et toute la journée les samedis et dimanches.

Les scouts « al-Rissala », bras jeune du mouvement Amal
Créée en 1977, la société islamique des scouts d'Amal « al-Rissala » est actuellement présidée par Nabih Berry, président de la Chambre des députés depuis 1992. Elle compte également une branche féminine. Contrairement à la société des scouts de l'imam al-Mahdi, proche du Hezbollah, « al-Rissala » ne prévoit pas d'entraînements militaires parmi ses activités, qui vont de la collecte de fonds aux commémorations d'événements importants du calendrier chiite. Néanmoins, cette organisation participe à la formation citoyenne des jeunes chiites selon les critères idéologiques du mouvement Amal.
Les scouts « al-Rissala » ont occupé illégalement, dès le début de la guerre civile, cette ancienne partie du terrain du Bois des Pins, selon le tracé du lot 1925. La présence d'un bâtiment leur appartenant a été légalisée par une décision du conseil municipal.

 

Pour mémoire

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