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Liban - Entretien

Nehmé Mahfoud à « L’OLJ » : Adopter l’échelle des salaires au plus vite, avec le moins de dommages possible

Cinq ans après le début du mouvement de revendication salariale des enseignants, le syndicaliste n'est pas particulièrement optimiste.

Nehmé Mahfoud à « L’OLJ » : « 800 millions de dollars mèneront-ils vraiment le pays à l’effondrement ? » Photo Anne-Marie el-Hage

Cinq ans déjà que les enseignants attendent de voir aboutir leurs revendications salariales. Cinq ans qu'ils sont abreuvés de promesses, sans la moindre concrétisation. Cinq ans qu'ils se mobilisent, envers et contre tous, recourant aux grèves, aux sit-in, à la rue, pour que soit adoptée l'échelle des salaires proposée et promise par l'ancien ministre des Finances, Mohammad Safadi, en février 2012. Une échelle qui devrait bénéficier aux enseignants des deux secteurs public et privé, mais aussi aux fonctionnaires, aux forces de l'ordre, à l'institution militaire. Et qui devrait coûter à l'État 1 200 milliards de livres libanaises, soit 800 millions de dollars.

Ont-ils atteint la dernière ligne droite qui leur permettra de voir le bout du tunnel ? Dès lundi, à l'appel du président du Parlement, Nabih Berry, les commissions parlementaires mixtes devraient plancher sur le dossier. Plusieurs séances sont prévues à cet effet. Parallèlement, le projet de budget est en passe d'être adopté. Les deux dossiers seraient alors approuvés en même temps par l'Assemblée générale. L'espoir des enseignants est grand. De même que leur désir de clore ce dossier le plus rapidement possible. Même si au fond d'eux-mêmes, ils craignent d'être déçus... et de devoir recourir de nouveau à la rue.

 

(Pour mémoire : Grille des salaires : les syndicalistes manifestent en masse devant le Grand Sérail)

 

Une profession qui ne fait pas vivre
Nehmé Mahfoud, président du syndicat des enseignants du secteur privé, livre à L'Orient-Le Jour ses appréhensions et son exaspération. Il fait aussi le point sur le dossier. « Cinq ans de lutte plus tard, je ne suis pas tranquille. Mais j'espère que mon intuition est fausse », avoue-t-il. Si l'échelle des salaires n'est pas adoptée, ce représentant des enseignants du secteur privé promet « l'escalade et le retour à la rue ». « Ce sera une catastrophe pour le secteur éducatif, pour les enseignants, pour les élèves et pour le pays », souligne-t-il. Car « les enseignants n'en peuvent plus, leur métier ne leur permet pas de vivre, ils désertent la profession ou enchaînent les emplois pour s'en sortir », martèle-t-il. Et de rappeler qu'un enseignant détenteur d'une licence démarre sa carrière avec le modique salaire d'un million de livres libanaises environ.

Après deux ans de « mobilisation timide pour cause de paralysie des institutions », le mouvement de grève lancé par les enseignants en février dernier, à l'appel du Comité de coordination intersyndicale, a repris de l'allant. Largement suivi par la grande majorité des enseignants du public et du privé, il a sonné comme une réponse aux hésitations de certains « nouveaux ministres » qui réclamaient un délai supplémentaire pour étudier le dossier.

« À l'issue de l'élection présidentielle, dès lors que les institutions gouvernementale et parlementaire ont repris leurs activités, nous avons reçu la promesse ferme que l'échelle des salaires serait incluse dans le budget », raconte M. Mahfoud. « Sauf que les nouveaux ministres, notamment Raëd Khoury et Nicolas Tuéni (tous deux du CPL) ont poussé les hauts cris et réclamé plus de temps pour étudier le dossier. » C'est par un ordre de grève qu'ont répondu les enseignants. « Ces ministres réalisent-ils seulement que les enseignants attendent depuis cinq ans. Et qu'en cinq ans, les autorités ont largement eu le temps d'étudier le dossier ? » demande cet enseignant en mathématiques en classe de terminale à Tripoli, qui avoue devoir cumuler les boulots pour faire vivre sa famille.

De nouvelles promesses de « réserver les 1 200 milliards nécessaires à l'échelle des salaires » ont suivi la récente mobilisation enseignante. C'est la raison pour laquelle les enseignants ont interrompu leur mouvement de grève. « Nous avons manifesté un seul jour. Mais si nous constatons la moindre faille ou si les autorités tergiversent, nous opterons pour l'escalade », promet Nehmé Mahfoud. Le syndicaliste donne toutefois deux semaines aux autorités, « deux semaines décisives », précise-t-il.

 

(Pour mémoire : Mobilisation syndicale pour une hausse des salaires)

 

Protégés par les mêmes lois
Dans cet état des lieux, ne faudrait-il pas dissocier le dossier des enseignants du privé de celui du public, alors que se pose la question des fonctionnaires surnuméraires qui bénéficieront également de l'échelle des salaires si cette dernière devait être adoptée ?

« Absolument pas », répond le représentant syndical des enseignants de l'école privée. « Et pour cause, toutes les lois adoptées depuis 1956 lient les enseignants de l'école privée aux échelons et aux salaires des enseignants du secteur public », explique-t-il. « Si nous nous dissocions de cette loi, quelle loi nous protégera ? » demande-t-il. Déjà que les enseignants de l'école privée sont moins bien lotis que leurs confrères du public et « aspirent à être payés aussi bien ». « Les gens pensent à tort que nos conditions salariales sont acceptables. Or de nombreuses écoles privées n'appliquent pas la loi et exploitent les enseignants », dénonce-t-il, évoquant à titre d'exemple les cotisations non versées par les écoles à la Caisse de retraite des enseignants, les congés d'été impayés, les congés maternité amputés.

« Quant à la vie chère, accordée aux enseignants en février 2012, elle n'a été donnée que par la moitié des écoles privées », assure M. Mahfoud. C'est sous une seule condition que les deux dossiers pourraient être dissociés, « au cas où le syndicat des enseignants devient un ordre professionnel », fait remarquer le syndicaliste. « Les enseignants ne pourraient pratiquer leur métier sans appartenir à l'ordre, lequel, sur base de contrats avec les institutions privées, protégerait les enseignants. »

Mais pour l'instant, M. Mahfoud invite les autorités à adopter l'échelle des salaires « au plus vite et à clore ce dossier avec le moins de dommages possible », car « il est inadmissible de faire traîner les choses de la sorte et de maintenir dans le flou tous ces travailleurs. Chaque secteur pourra alors envisager son avenir ».

Comment serait financée cette échelle ? « Grâce à l'économie d'un milliard de dollars réalisée sur la facture du pétrole », dit-il sans la moindre hésitation. Et à ceux qui se cachent derrière le prétexte que l'échelle des salaires mènera le pays à l'effondrement, il rappelle que le déficit annuel de l'électricité est de 1,5 à 2 milliards de dollars, que le montant de l'évasion fiscale au port de Beyrouth avoisine les 2 milliards de dollars... « Dois-je parler des autres formes de gaspillage des deniers publics et de la corruption ? » lance-t-il, se demandant si « 800 millions de dollars mèneront vraiment le pays à l'effondrement ».

 

 

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