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Culture - Exposition

Fuir Téhéran pour Beyrouth, « mère des lois », et donner son art en partage

Né avec un crayon en main, le jeune artiste iranien Ali Reza Shojaian réalise, dès ses études aux Beaux-Arts à Téhéran, que son pays ne reconnaîtra jamais son talent. L'art qui en découle raconte aujourd'hui ses douleurs, ses défis et ses victoires.

À l'heure où le drapeau arc-en-ciel flotte en Occident, le Moyen-Orient et les pays avoisinants pratiquent encore la politique de l'autruche. Triste destin pour un artiste qui est né dans cette partie du globe et n'ose pas, ou craint d'afficher son identité sexuelle, de donner en partage cet art qui s'en inspire. Ali Reza Shojaian est de ceux-là, ceux qu'un pays voudrait renier et mettre en marge de la société, car il en a honte. Pourtant, l'artiste ne baisse pas les bras. Après avoir vu son ami assassiné, comme offrande à Dieu parce qu'il représentait le mal dans son pays, et l'avoir vu enterré dans l'embarras et le silence, il ne peut/veut plus étouffer ses cris. Il décide alors de raconter des histoires hautes en couleur, de croquer la vérité, de colorier l'inacceptable.

Mêlant classicisme – avec sa couleur sépia et son crayon noir – et modernité, son travail exposé à la galerie Art Lab* sous le titre de Corps-à-corps est l'aboutissement de tout un parcours. « Cela fait cinq ans que j'y travaille. Auparavant, j'avais été renvoyé par mes professeurs pour les mauvaises mœurs que reflétait mon travail pictural », dit-il. Mais une enseignante le rattrape, croit en lui et l'encourage à poursuivre son œuvre. Il exposera pour la première fois ses toiles et ses dessins dans le cadre d'une exposition collective. Des petits croquis qui semblaient furtifs, évasifs. Puis il rencontre Antoine Haddad, propriétaire de la galerie Art Lab, qui l'invite à Beyrouth. Ali Reza Shojaian parle de la joie de voir enfin sa première exposition solo dans une galerie de Beyrouth, cette ville « mère des lois » qui, affirme-t-il, devance d'un cran les autres villes voisines. « Peu importe aujourd'hui si on n'aime pas mon travail ou si on le critique : si je parviens à lire le questionnement dans les yeux des visiteurs ou à inciter à une réflexion, cela me suffirait », sourit-il.

Figer l'instant

Pour tous ceux qui se cherchent encore ou ont trouvé cette identité sexuelle avec laquelle ils ne sont peut-être pas nés, la vie n'est toujours pas un long fleuve tranquille, et c'est bien l'écume des vagues, voire des jours, qui leur rendra justice. « L'art pour moi n'a pas seulement un objectif esthétique. Il sert à exprimer une souffrance, une douleur », ajoute-t-il. « Seul le présent est, l'avant et l'après ne sont pas ; mais le présent concret est le résultat du passé et il est plein de l'avenir. Le présent véritable est par conséquent l'éternité. » C'est à partir de cette réflexion de Martin Heidegger que Ali Reza Shojaian construit et archive son travail. « Quand vous vous souvenez d'un moment du passé, vous le revivez avec la même intensité, mais avec votre présent. C'est dans cette série hexagonale (le chiffre six évoque la charte de la sexualité de l'homme) que je me projette, dans ce corps inerte de mon ami assassiné et rejeté par son père, et dont j'immortalise le moment, voire le passé au présent. » Et de poursuivre : « Chaque instant peut se lire seul. Je photographie d'abord des modèles dans une posture qui évoque un sentiment, une émotion, puis je les peins afin de figer le réel. »

L'artiste écrit ainsi ses Mémoires avec ses crayons de couleur. Elles témoignent d'expériences et s'élaborent avec le temps. « Avec le temps, le sourire devient rictus, cri. Avec le temps aussi, le corps nu devient une plaie sanglante ouverte. » Un travail qui allie fond et forme, car le choix des hexagones, des octogones, des grands rectangles ou des carrés n'est jamais accidentel chez cet artiste qui pense la forme autant que le mouvement. Et tout cela devient, sous sa touche et en toute pudeur, parole. Pour mieux briser le silence.

*À la galerie Art Lab (Gemmayzé) jusqu'au 5 mars.


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