« Je suis phénicienne. Je suis levantine. Je ne suis pas arabe. Nous sommes phéniciens. Nous sommes levantins. Nous ne sommes pas arabes. Le Liban est phénicien. Le Liban est levantin. Le Liban n'est pas arabe », se répétaient-ils en chœur pour s'en persuader. « Les Arabes sont en Arabie, nous on ne fait que parler la langue. Et puis même, nous on parle libanais, arabe peut-être, mais en plus classe. On pourrait même s'en passer comme notre langue maternelle c'est plutôt le français », disaient-ils à celui qui voulait bien l'entendre, surtout s'il était étranger. « Le Liban, c'est la Suisse du Moyen-Orient. Le Liban, c'est le Paris du Moyen-Orient. On a Louis Vuitton, Gucci, Prada et même Hermès. On peut skier et nager le même jour, et puis les filles sont sexy et s'habillent de façon un peu osée. On a une nightlife géniale et on boit plein d'alcool. Bref, on n'est surtout pas arabes quoi ! »
se vantaient-ils dans leurs publications sur Facebook et leurs articles intellectuels.
Le peuple libanais, comme tout peuple vivant en pleine démocratie, adore les débats politiques. Le seul problème, c'est qu'il n'a pas eu d'élections parlementaires depuis 2009. Et puis, on pourrait presque dire que les débats politiques ici ne sont pas forcément au cœur des élections. On préfère juste se plaindre après. C'est plus simple, vous ne trouvez pas ? Nous sommes un peuple tellement assoiffé de démocratie qu'on ne peut se retenir de faire le show en France, je dirais même, de donner des leçons politiques aux Français.
« Marine Le Pen est la seule candidate qui va redresser la France », disaient les savants politiques. « Le retour au franc est le seul espoir économique pour la France », nous expliquaient les lumières économiques. « Elle n'est pas raciste, elle veut juste le bien de la France (parce que forcément, si la France va bien, nous on est aux anges) », criaient les spécialistes en matière de droits de l'homme. « Marine Le Pen aime bien le Liban. Peut-être pas les Arabes du Liban – les musulmans et les autres du Hezbollah –, mais elle veut sauver la minorité chrétienne. De toute façon, moi je ne connais que Ash (Achrafieh pour les plus nuls), Byblos (le berceau de l'humanité et la ville après laquelle on a nommé la Bible), Kaslik et les villes du Nord. Je suis allée à Hamra (Hamgha) une fois, on aurait dit un zoo (à part AUB, bien sûr) », se vantaient ceux qui avaient tout compris.
De l'autre côté de la mer, bien installée en Angleterre, je ne pouvais être plus heureuse d'être loin de ce cirque lors de la fameuse visite de Marine (sa campagne c'est « Marine 2017 », elle veut être proche de nous. Elle n'aime pas trop quand on dit Mme Le Pen ou encore Marine Le Pen). Je lisais les commentaires des petites lumières sur Facebook et je me disais qu'en réalité, cette femme était d'une intelligence incroyable : elle voulait que ceux à qui elle allait arracher la double nationalité votent pour elle ; comme ça, c'est plus légitime. C'est bien la classe libanaise ça, vous ne trouvez pas? C'est vrai, on a la classe. La classe et même le courage, si on peut le décrire ainsi, de se renier nous-mêmes. Je trouve que l'on est assez incroyables : on surmonte tout ce qui pourrait nous unir pour bien marquer nos divisions ethniques, ou même de race. Les poubelles ? On ne va quand même pas se réunir contre nos dirigeants politiques pour une histoire aussi banale ! L'électricité ? On se calme, EDZ (Électricité de Zahlé pour les plus nuls) ils ont l'électricité 24 heures/24! L'eau ? Non, mais ce sont les Israéliens qui nous la vole ! Les droits des femmes ? Il n'y a que la question de nationalité, et ça, c'est pour se protéger contre les Palestiniens (et maintenant les Syriens aussi)! La privatisation du littoral ? De toute façon, moi je préfère payer plutôt qu'être entourée de nawar ! La quasi-inexistence de la Sécurité sociale ? Honnêtement, moi j'ai mon assurance privée, donc je ne suis pas concernée ! La cherté de l'éducation accompagnée de la dégradation progressive de l'éducation publique ? On écrit une chanson à Bou Saab, c'est plus drôle que de manifester ! Le chômage ? Ça va, il y aura toujours Dubaï ! L'homophobie ? Déjà qu'on vient de décriminaliser l'homosexualité, on ne va quand même pas se battre pour légaliser la pédophilie ! Le mariage civil ? C'est un complot des athées pour nous écraser ! Le confessionnalisme (recherchez la définition sur Google, le Liban en est l'exemple-clé) ? C'est mieux comme ça, sinon les femmes seront obligées d'être voilées et le Liban deviendrait un pays musulman ! Faut-il continuer la liste ? (Je précise bien qu'en aucun cas, je ne cautionne de telles atrocités).
Donc voilà, je vous présente mon pays. Je vous présente le pays que mes amis ont visité avant de me dire « Quel potentiel ! Dommage que vous soyez aussi divisés ». Hélas, dommage. Un pays qui pourrait tout à fait être en train de remonter la pente préfère la redescendre, en chute libre. Les chrétiens d'un côté, les musulmans de l'autre, à ne pas confondre avec les druzes. Si cela ne vous satisfait pas, ne vous inquiétez pas, il y a aussi les orthodoxes, les catholiques, les maronites, les rooms (orthodoxes), les chiites, les sunnites, et puis bien d'autres encore. Mais attention, au centre-ville, on a une église et une mosquée l'une collée à l'autre pour symboliser notre fraternité, et au passage vingt ans de guerre civile. On célèbre tous Noël et on a des jours fériés pour toutes les fêtes religieuses de toutes les confessions. Si on veut illustrer cela avec élégance, on est comme Nadine Morano : elle n'est ni raciste ni homophobe, elle a un ami noir et un ami gay. On aime les apparences, on veut montrer aux Occidentaux que l'on est ouverts d'esprit. C'est vrai, la minijupe, les seins refaits, l'alcool et les soirées font du Liban la référence de l'ouverture d'esprit. Les droits de l'homme et le reste, ce ne sont que des détails.
Quand on analyse un peu, on se rend compte que le reniement de notre identité forge notre identité et que notre orgueil fait briller notre ignorance. La beauté du Liban que l'on essaye sans cesse de vanter devient avec le temps un tapis sur lequel on a trop marché. La femme libanaise émancipée que l'on applaudit tant, ses chirurgies esthétiques et ses sacs lui ont coûté si cher qu'elle n'a plus assez pour payer l'avocat qui devra la défendre lorsqu'elle sera victime de violences conjugales. Notre démocratie que l'on n'arrête jamais d'exposer aux yeux des autres pays arabes n'est plus qu'un mythe qui s'efface de jour en jour.
Sur ce, bienvenue au Liban Marine. On vous attendait avec impatience.
Nay ABI SAMRA
Étudiante en droit
commentaires (6)
Excellent!
Michele Aoun
07 h 11, le 28 février 2017