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Moyen Orient et Monde - commentaire

L’Union européenne d’abord

Javier Solana fut haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, secrétaire général de l’OTAN et ministre espagnol des Affaires étrangères. Il préside actuellement le Centre de recherche en économie globale et en géopolitique de l’École d’administration et de direction d’entreprise (ESADE) de Barcelone et il est chercheur émérite à la Brookings Institution.

Le monde a plus besoin que jamais de l'Union européenne. En dépit des récentes crises et du coup sévère infligé par le vote en faveur du Brexit, l'UE forme peut-être aujourd'hui la meilleure ligne de défense contre les menaces les plus dangereuses : l'isolationnisme, le protectionnisme, le nationalisme et l'extrémisme, sous toutes ses formes, de retour en Europe et ailleurs. Pour que l'UE soit à la hauteur de cette promesse – se sauver elle-même et sauver le monde de la catastrophe –, il est indispensable et urgent que les États membres se rallient à une même idée simple : « L'Union européenne d'abord ! »

Une telle devise, à la différence du credo de « l'Amérique d'abord » adopté par le président des États-Unis, Donal Trump, ne saurait être le slogan d'un unilatéralisme ravageur. Bien au contraire, elle contraindrait les gouvernements des États membres à regarder au-delà de leur intérêt national, à défendre l'ouverture et le multilatéralisme et à combattre sans détour les forces qui ont dernièrement gagné du terrain. Elle pousserait les États membres à renforcer l'UE, lui permettant par conséquent de résoudre les difficultés auxquelles elle est confrontée et de contribuer à la préservation de l'ordre international.

Un ordre qui n'est ni un accessoire inutile ni une relique de l'après-guerre. Il a soutenu la prospérité et la stabilité mondiale pendant soixante-dix ans. Nous en avons besoin – et avec lui du multilatéralisme sur lequel il repose – pour relever les défis économiques, environnementaux et stratégiques qui nous sont aujourd'hui lancés, dont la charge ne peut être assumée au seul niveau national.

 

(Pour mémoire : Les pressions de Trump sur l’Europe « inacceptables », selon Hollande)

 

S'il est une pierre angulaire de l'ordre international existant, c'est la reconnaissance que le maintien de la paix et du bien-être humain requiert compréhension et respect des besoins et des intérêts d'autrui – lesquels ne sont pas moins légitimes que nos propres besoins et intérêts. Le multilatéralisme n'est pas le produit d'une solidarité dont nous n'aurions pas les moyens, comme certains aiment le faire entendre, mais bien ce qui résulte de la compréhension éclairée des intérêts de chacun. Une attitude constructive offre alors, même à un grand nombre d'acteurs différents, la possibilité de parvenir à des accords grâce auxquels tous gagnent en concédant un peu. Sans quoi les espoirs de paix durable et de prospérité partagée s'amaigrissent considérablement.

Si tous les pays font passer leurs intérêts au premier rang, sans se soucier des autres, la compétition aura vite raison des intérêts communs. Si personne ne veut rien concéder, nous perdrons tous. Si nous ne dépendons que d'ententes bilatérales, les espaces partagés et les synergies qui facilitent l'accord sur des sujets difficiles mais essentiels – du changement climatique à la sécurité – se rétréciront et puis disparaîtront.

Voilà pourquoi ce slogan de l'Amérique d'abord, que Trump a fait sien, est si inquiétant. Première puissance mondiale, les États-Unis donnent le ton de la coopération et savent souvent persuader les autres pays de participer. S'ils adoptent une attitude unilatérale et isolationniste, il se trouvera presque certainement des pays pour les suivre, qui mettront en danger tous les autres, y compris les États-Unis eux-mêmes.

 

(Lire aussi : À Bruxelles, Pence souffle le chaud et le froid face aux dirigeants européens)

 

L'administration Trump a récemment adouci certaines de ses positions en matière de politique étrangère. Trump a finalement accepté de respecter la politique d'« une seule Chine ». Il semble aussi avoir reconsidéré son point de vue sur le Japon, après avoir soulevé des doutes quant à sa volonté de respecter les engagements américains pour assurer la sécurité de ce pays. Ces évolutions laissent entendre que la nouvelle administration commence à comprendre la nécessité d'une approche plus constructive.

Cette prise de conscience peut survenir, en partie, d'une meilleure compréhension de l'histoire. L'expérience montre que c'est par l'intégration et la coopération qu'on évite le plus sûrement les conflits. La rhétorique de l'exclusion joue le jeu de ceux qui réduisent l'identité à des définitions nativistes. Lorsqu'on a permis, par le passé, à de tels personnages – nationalistes et populistes – de décider la politique à suivre, il en a toujours résulté un conflit à grande échelle.

En un temps où les lignes de force de la puissance mondiale sont en constante évolution, comme c'est aujourd'hui le cas, le risque d'une issue de ce genre est encore plus élevé. Aujourd'hui, des efforts sont faits pour mieux intégrer les puissances émergentes – en particulier la Chine – aux structures existantes de la gouvernance mondiale. Semer le doute sur ces structures, qui ont assuré la stabilité au cours des sept décennies précédentes, ne ferait qu'alimenter le nationalisme et les rivalités, ouvrant la voie à l'instabilité et au conflit.

 

(Lire aussi : Les États-Unis veulent des preuves rapides de la fiabilité de leurs alliés de l'Otan)

 

S'il n'est plus possible de compter sur les États-Unis pour garantir la stabilité mondiale, le modèle et l'expérience de l'Union européenne vont prendre une importance plus grande encore. L'UE incarne les valeurs d'intégration, de coopération et de démocratie. Malgré ses défauts, elle a prouvé maintes fois que les différences pouvaient être aplanies pacifiquement et dans un esprit constructif. Ses États membres sont engagés comme nul autre dans le multilatéralisme, que nous pratiquons, effectivement, quotidiennement.
Les résultats parlent pour eux-mêmes. Personne ne met en doute que l'UE a été la garante de la paix, de la démocratie, de la modernité et du progrès pour tous ses membres. Son modèle de communauté – qui requiert, pour toute décision importante, coopération, négociation et compromis – opère un contrôle des extrémismes, car aucun pays membre ne peut y promouvoir, sans l'appui des autres membres, des mesures radicales.
Ce qui ne signifie pas que les pays de l'UE ne courent aucun risque d'être pris au piège d'une rhétorique populiste et simpliste. Il s'agit au contraire de souligner pourquoi les États membres de l'UE doivent poursuivre la construction d'une union plus forte et plus profonde. Pour le bien de l'Europe et du monde, il est temps de faire passer en premier l'Union européenne.

Les conséquences de l'extrémisme et du nationalisme – mais aussi les moyens de les surmonter – ne sont nulle part mieux connues qu'en Europe. Dans un esprit éclairé et supranational, l'UE est parvenue à une paix durable, qui aurait semblé impossible voici un siècle. Elle ne doit pas perdre de vue cette réussite, mais plutôt continuer à renforcer l'union et à montrer au monde ce dont est capable le multilatéralisme.

© Project Syndicate, 2017.
Traduction François Boisivon.

 

 

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commentaires (1)

Le machin Europe des technocrates /eurocrates, est simplement "ingérable " , et bien trop loin des réalités populaires de chaque pays ,disons que l'UE ,est plutôt dans une phase lente d'implosion...ce qui est après tout semble "normal" , vu...il n'y a plus l'URSS et ses 49 républiques pour assurer le contrepoids idéologique et économique ...donc,ce "vide" ,a provoqué un repli sur eux même de beaucoup de pays ,d'ou la montée naturelles des nationalismes , que la gauchocratie qualifie aussi ,du mot condamnatoire de "populisme" ,quand il n'est de gauche ... par contre , il devient respectable si de gauche , alors c'est l'expression du peuple..!

M.V.

15 h 00, le 23 février 2017

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Commentaires (1)

  • Le machin Europe des technocrates /eurocrates, est simplement "ingérable " , et bien trop loin des réalités populaires de chaque pays ,disons que l'UE ,est plutôt dans une phase lente d'implosion...ce qui est après tout semble "normal" , vu...il n'y a plus l'URSS et ses 49 républiques pour assurer le contrepoids idéologique et économique ...donc,ce "vide" ,a provoqué un repli sur eux même de beaucoup de pays ,d'ou la montée naturelles des nationalismes , que la gauchocratie qualifie aussi ,du mot condamnatoire de "populisme" ,quand il n'est de gauche ... par contre , il devient respectable si de gauche , alors c'est l'expression du peuple..!

    M.V.

    15 h 00, le 23 février 2017

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