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Culture - Exposition

Quand le portrait n’est plus visage

À la Galerie Alice Mogabgab, l'exposition « Markings »* retrace l'itinéraire d'un scientifique, Henry Jabbour, reconverti au service de l'art pour sonder les corps, déchiffrer les hommes et mettre en image la condition humaine.

« Veronica Seated », 2016, lithographie.

Après des études en biologie à l'Université américaine de Beyrouth, Henry Jabbour obtient son PhD avec distinction à l'Université de Sydney. Professeur d'université et titulaire d'une chaire en recherche médicale à l'Université d'Édimbourg, rien ne le prédestinait au monde de l'art, sinon sa passion pour le dessin et son âme de collectionneur.

En 2010, il démissionne de son poste, s'inscrit à la Leith School of Art (toujours à Édimbourg) pour des cours de dessin et part pour New York où il décrochera un master en Fine Arts. Désormais, c'est par la seule force de son encre et la puissance de son coup de crayon qu'il sondera les corps, déchiffrera les hommes et mettra en image la condition humaine.

 

Appropriation
De cette formation médicale scientifique où il côtoie au quotidien les clichés dans un laboratoire à partir d'un énoncé très clair, Henry Jabbour réussira, avec une grande maîtrise du sujet, à porter un regard sur le corps, dans sa stabilité certes, mais surtout dans la recherche du mouvement. Scrutateur doué, il pénètre l'intensité psychologique des êtres avec acuité : c'est l'attitude, la gestuelle du modèle et toute la réflexion sous-jacente qui touche à l'essence même du portrait. Henry Jabbour a cette capacité d'observation, comme si l'acte de regarder était un acte d'appropriation, une manière d'extraire une certaine force d'un sujet apparemment vulnérable. La fidélité au sujet n'apparaît pas comme un critère essentiel.

Sans jamais être idéalisés, ses portraits, emprunts d'une grande humanité, sont le miroir où chaque visiteur, au gré de son parcours, opère un transfert de son vécu et de ses émotions. Marqué par le génie de Giacometti qui a porté la recherche du portrait à son paroxysme, il ne cesse, comme lui, de gommer son dessin jusqu'à faire disparaître l'esquisse initiale et obtenir une image nouvelle. L'œil de l'artiste décrypte – dans une vision propre à lui et un cadrage souvent spontané, tel ce glissement d'encre qui extrait la jambe du cadre et met en mouvement le personnage – toutes les émotions, ou presque. La tristesse, la culpabilité, l'ambiguïté ou la vulnérabilité, tant d'expressions où se mêlent quelquefois angoisse et fureur.

 

Présence et pérennité
Tous ses tableaux naissent et se construisent à partir de la lumière. Henry Jabbour fait abstraction du portrait, dépasse les conventions et prend volontairement des risques. Oubliée l'époque où les portraits étaient une carte de visite, où l'on reconnaissait l'âge et le milieu social du modèle. Il ne s'agit plus de dépeindre un vécu, mais de rendre compte d'une présence, d'assurer une certaine pérennité et d'envisager un être humain dans son essence. L'artiste ne se perd jamais dans les travers de la narration et laisse toute la liberté, à celui qui appréhende son œuvre, de se retrouver dans des récits propres à lui. Une femme qui applaudit se transforme en une fidèle en train d'égrener un chapelet. L'énergie et le souffle qui se dégagent de chaque regard réussissent à établir un contact entre l'œil du visiteur et celui, inexistant, du modèle. Il y a ceux qui vous regardent et ceux dont le regard sort du champ.

À côté d'une peinture qui déstabilise autant qu'elle attire, ses œuvres soulignent la délicatesse et la liberté du trait. Son travail est intuitif et l'intention est secondaire, elle répond à l'universalité de la condition humaine, celle qui rejaillit par la force de la facture picturale du peintre.
Paradoxalement, ses portraits sont prisonniers des lignes et s'en détachent aussi dans des élans qui leur confèrent une présence surprenante. C'est dans un isolement du modèle qu'il réussit à dégager une bienveillance, une compassion à l'égard de l'homme.
Son œuvre, outre qu'elle trahit une liberté plastique, atteste d'une vigilance singulière et d'une rigueur particulière, héritage de sa formation scientifique. Son geste puissant, son dessin à l'arraché et ses lignes dynamiques qui partent tantôt dans une trajectoire vers l'extérieur et tantôt vers l'intérieur créent une trame picturale qui encage les portraits et libère la création.

* « Markings », Henry Jabbour, lithographies, à la Galerie Alice Mogabgab jusqu'au 11 mars 2017.

Après des études en biologie à l'Université américaine de Beyrouth, Henry Jabbour obtient son PhD avec distinction à l'Université de Sydney. Professeur d'université et titulaire d'une chaire en recherche médicale à l'Université d'Édimbourg, rien ne le prédestinait au monde de l'art, sinon sa passion pour le dessin et son âme de collectionneur.
En 2010, il démissionne de son poste,...

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