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Culture - Exposition

Les humains en manque d’amour de Lara Zankoul

La photographe traite l'image en toile de la Renaissance à la galerie Ayyam*. À partir de ce marbre de Carrare d'où a jailli le « David » de Michel-Ange, l'univers moderne dans son individualisme, son mutisme et son absence de communicabilité.

« Triangle. »

Lara Zankoul signe, à la galerie Ayyam, une démarche esthétique qui interpelle. Plus de huit mégaphotographies (de dimensions 1 m 60 x 1 m10) enfermées dans leur vitre transparente reflètent un univers, justement, d'une infinie transparence. Transparence d'aquarelle est le moins qu'on puisse dire en frôlant du bout des doigts la photographie pour s'en assurer, tant le subterfuge est bluffant. C'est à s'y presque méprendre tant la fluidité fuse avec aisance et les contours sont gorgés et nimbés de lumière.
En arrière-fond, dans un décor neutre et presque clinique de chambre d'hôpital, de gigantesques pans de marbre au veinage à peine perceptible, tels de grands blocs de glace à la froidure bleutée. Et pourtant il ne s'agit que de la pierre de Carrare, ces carrières des Alpes et de Toscane, érigées ici comme une arène ou un amphithéâtre pour une représentation anonyme de l'absurde, de la vanité des corps et des rapports humains si fallacieux, si distants, si déroutants... Des travaux qui se caractérisent par la dramatisation, la vision libre, la théâtralisation, l'onirisme et la poésie, et dont l'esprit se rapproche des photographies de la Française Julie de Waroquier.

Et pour cet univers solitaire et quasi surréaliste, comme le ventre d'une mine blanche, des personnages aux attitudes étranges. Et tout aussi solitaires, surréalistes, échappés aux rêves et aux cauchemars silencieux... Des jeunes filles fluettes aux chevelures lisses et dénouées, des garçons aux bras effilés et à la nuque penchée habitent ces espaces aux allures de limbes inquiétantes.

Radio ou scan

Mais l'œil de la caméra est fixé sur ces êtres vivants sans vie, comme cette masse de pierre qui les enveloppe. Radiologie ou scan en nuances subtiles, mais franches, avec des allures de sfumato, comme si un pinceau secret s'y mêlait, d'une société prise dans les filets d'une artiste qui dénonce la solitude, le manque d'élan, l'isolement, l'égoïsme, l'égocentrisme, les corps perclus, le monde virtuel, l'absence de connectivité, la schizophrénie contemporaine. On serait tenté de dire le manque d'amour tout court, doublé d'un évident mal-être...

Si le groupe des trois jeunes filles aux visages détournés et à peine s'effleurant des mains a quelque vague ressemblance avec les trois grâces de Carpeaux, les autres photographies sont plus explicites dans cette pose aux confins d'un mal endémique, d'une agonie ou d'une mort annoncée.

Il y a certainement là une atmosphère troublante, une grâce décharnée (pour ne pas dire désincarnée), une voix blanche et livide où, par-delà une composition néobaroque, sont rappelés avec force les stigmates d'une société en mal de vie, en rupture avec ses assises profondes.

Dans le silence, la gravité, une théâtralité pétrifiée, au minimalisme japonisant, une sorte de dénuement, de dépossession (les actants sont vêtus de peu de chose et restent décents), il y a là de toute évidence une certaine désarticulation parfaitement en rapport avec des pantins, des automates, des handicapés, tristes victimes d'une société et d'un environnement écrasants, déshumanisés et robotisés...

En juxtaposant ce paysage de Carrare à ciel ouvert qui a dû l'impressionner et ces êtres blessés qu'elle a dû côtoyer, Lara Zankou, d'un séjour d'artiste en Italie, en tire des accents surprenants. Sans souligner exagérément les traits ou forcer la dose, en quelques effets simples, mais intenses, comme un théâtre d'ombre, comme une chanson sans paroles, sa voix va droit au cœur et a des résonances qui portent à une certaine réflexion...

*«As Cold as a White Stone» (Aussi froid qu'une pierre blanche) à la Galerie Ayyam (Beirut Tower, rue Zaytouné), jusqu'au 4 février.

Pour mémoire

Lara Zankoul plonge dans le monde de l'invisible

Lara Zankoul, comme dans un rêve

Lara Zankoul signe, à la galerie Ayyam, une démarche esthétique qui interpelle. Plus de huit mégaphotographies (de dimensions 1 m 60 x 1 m10) enfermées dans leur vitre transparente reflètent un univers, justement, d'une infinie transparence. Transparence d'aquarelle est le moins qu'on puisse dire en frôlant du bout des doigts la photographie pour s'en assurer, tant le subterfuge est...

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