Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Par Sissi BABA

Le BAFF, une contre-mission ?

Ulyana Lopatkina.

Enchantée par le cinéma, la musique, les lettres, mais avant tout par le ballet, je suis allée voir un documentaire sur la célèbre Ouliana Lopatkina, l'une des danseuses principales du prestigieux Théâtre Mariinsky.
Naturellement, je suis allée voir un film alors que je savais d'avance ce que j'allais voir... J'ai fait appel, dans ma tête, au dossier consacré au langage ésotérique du ballet classique et j'ai mis, au premier plan, son vocabulaire, ses icônes et ses chefs-d'œuvre. Étant une danseuse obsédée par le ballet, je savais qui était Lopatkina, et pourtant, je suis allée voir ce documentaire qui allait certainement m'apprendre une nouvelle chose ou, du moins, me permettra de jouir de l'expérience cinématographique.
Je suis allée voir le documentaire, le cœur palpitant, la chevelure en chignon de ballerine, la posture à la Vaganova, car, après tout, je vais voir un spectacle où je ne serais pas tout à fait spectatrice ; je savais que j'allais pleurer en regardant le cygne agonisant, que mon corps, indépendamment de moi, allait sentir l'urgent besoin de danser avec Lopatkina... Et c'en est fait. J'ai participé au spectacle. J'ai eu la chair de poule. J'ai souri avec la ballerine quand elle s'extasiait sur scène. Je suis sûre qu'à un certain moment, mon cœur – trop battant – s'est arrêté. Et comme dans n'importe quel spectacle véritablement artistique, j'ai oublié, comme il se doit, l'espace, le temps... et même mon identité. J'ai cessé d'être ce que je suis pour devenir ce que je dois être, une âme vibrante sans nom, une passion hardie et bouillonnante.
Le film prend forme et se passe sous mes yeux puis circule dans mes veines... et personne n'ose rompre mon enchantement, ni les arrivées retardataires de certains spectateurs, ni les reniflements brusques et les bâillements incontrôlables des autres – et moi qui pensais que ce sont des comportements de populace et qu'on ne commet pas dans les milieux intellectuels et artistiques... mais bien sûr tout est faux ! L'intellectuel n'est pas forcément un titre accordé à tous ceux qui viennent au Metropolis. Et la vraie populace, c'est toute personne qui se considère intellectuelle et supérieure, et qui, malgré son français impeccable ou son regard (sûrement hautain), fera apparaître sa véritable identité bourbeuse et ignoble.
Le film se termine, hélas. Quelle modestie, cette Lopatkina ! Elle est l'une des plus célèbres danseuses et pourtant, elle est toujours émerveillée, tel un enfant, et n'arrive même pas à croire comment elle en est arrivée là. Une étoile à la tête du célébrissime Mariinsky, et elle ose dire qu'elle est toujours élève ; encore enfant, elle veut toujours apprendre. Car, selon elle, il n'y a pas de limites ni pour la connaissance de l'être humain, ni pour sa passion, ni pour sa générosité. Elle brille puis s'émerveille de son succès comme si elle n'y croit pas. Elle n'a pas le temps de croire d'ailleurs aux caprices de l'adulte (succès, renommée et fortune). Elle est une enfant qui enchante justement parce qu'elle est enchantée. Lopatkina n'est pas une danseuse, c'est une œuvre d'art dansante. Un sourire de gratitude se trace enfin sur ses lèvres. Puis elle quitte modestement le grand écran pour habiter mon cœur déjà peuplé par ses collègues.
Tout à coup, la lumière du réalisme jaillit sur moi et j'ai du mal à quitter la matrice artistique. Moi aussi je suis enfant et je veux rester émerveillée devant cet idéalisme lyrique. En sortant (étant, je vous rappelle, la passionnée malade que je suis), je devais demander s'il y a moyen de trouver le documentaire. Et voilà une dame dont la coiffure et la couleur de la chevelure ressemblent fort à celles d'Ouliana ! Est-ce son prolongement ? Je m'étonne. Je me fige. C'est l'une des organisatrices du festival. Je me précipite pour lui poser la question fatale. Mais le réalisme bourbeux frappe une seconde fois, et la dame, négligeant l'éclat dans mes yeux, promeut quelques films à venir puis considère que je compte nouer un pacte de piratage, moi qui ai pourtant besoin du film pour un travail académique sur la danse !
Moi qui veux passer mon temps, isolée, devant ce film pour tenter d'apaiser mon âme assoiffée d'art ! Je finis par le vouloir pour des raisons « commerciales »... Enfin, pour échapper à mes questions jugées certainement criminelles et insolentes, elle me souhaite une « bonne soirée » !
Je reviens chez moi, déçue, mais encore enchantée. Et dire qu'un film qui montre la générosité, avant tout de l'âme, la modestie d'une vedette, le respect d'une volonté qui veut toujours apprendre, le respect devant la passion, le respect devant l'enfant... a été choisi par des gens pareils; des gens certainement trop « intellectuels ».
Je rentre et je découvre que le film, comme la plupart des films de ce festival, existe sur YouTube ! Ce même film, soigneusement « mis dans des coffres, interdit à l'usage public » (selon ses propos ! ) et sauvagement protégé par elle contre mon esprit malfaiteur, est accessible à tout le monde !
Moi, pirate commerciale, et elle, protectrice de l'art...
Effectivement, tout est faux. Les masques du snobisme qui se veut intellectuel et protecteur ne sont que les véritables visages de la fausseté et de la prétention. À ne pas oublier aussi le côté commercial, puisque les organisateurs de ce festival promeuvent des films « inédits », comme ils le prétendent, puis l'on découvre que ces mêmes films sont tombés dans le domaine public et devenus accessibles gratuitement à tous ! Le BAFF, une mission lucrative, non pas culturelle ! Cela est bien dommage...

Enchantée par le cinéma, la musique, les lettres, mais avant tout par le ballet, je suis allée voir un documentaire sur la célèbre Ouliana Lopatkina, l'une des danseuses principales du prestigieux Théâtre Mariinsky.Naturellement, je suis allée voir un film alors que je savais d'avance ce que j'allais voir... J'ai fait appel, dans ma tête, au dossier consacré au langage ésotérique du...

commentaires (1)

Madame, votre lettre est très belle et nous touche beaucoup. Sachez que tous les documentaires du BAFF sont projetés à partir de supports sophistiqués en très haute définition et cela pour vous offrir la meilleur qualité d'image et de son. Ces supports ne peuvent en aucun cas être confiés aux particuliers et nous regrettons de ne pas vous fournir de dvd. Telle n'est pas la mission du festival. Si les projections sur YouTube vous procurent grande satisfaction, nous en sommes ravis et vous donnons rendez-vous devant votre petit écran en novembre 2017.

Mogabgab Alice

15 h 30, le 20 janvier 2017

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Madame, votre lettre est très belle et nous touche beaucoup. Sachez que tous les documentaires du BAFF sont projetés à partir de supports sophistiqués en très haute définition et cela pour vous offrir la meilleur qualité d'image et de son. Ces supports ne peuvent en aucun cas être confiés aux particuliers et nous regrettons de ne pas vous fournir de dvd. Telle n'est pas la mission du festival. Si les projections sur YouTube vous procurent grande satisfaction, nous en sommes ravis et vous donnons rendez-vous devant votre petit écran en novembre 2017.

    Mogabgab Alice

    15 h 30, le 20 janvier 2017

Retour en haut