La nouvelle ligne diplomatique turque s'est officialisée grâce à l'accord de cessez-le-feu en Syrie négocié fin décembre avec la Russie. Le sommet pour les négociations de paix aura lieu fin janvier à Astana, capitale du Kazakhstan, sous la houlette turque et en coopération avec la Russie et l'Iran.
Après s'être réconcilié avec Moscou durant l'été 2016, Ankara a progressivement modéré son discours vis-à-vis du régime syrien, ne réclamant plus le départ de Bachar el-Assad comme un préalable nécessaire aux négociations. Il faut dire que la Turquie a changé ses priorités : l'objectif numéro un étant désormais la « lutte contre le terrorisme », c'est-à-dire contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et ses filiales syriennes, et contre l'État islamique (EI), au détriment du soutien à la rébellion syrienne.
(Lire aussi : Comment le coup d'État manqué a catalysé la transformation de la Turquie)
2011, le désamour Ankara-Damas
Historiquement, la Turquie et la Syrie ont vécu une histoire tumultueuse. Conflits territoriaux, guerre de l'eau et différends diplomatiques rendent leurs relations tendues. L'arrivée de Recep Tayyip Erdogan en Turquie au poste de Premier ministre en 2003, « ami » de Bachar el-Assad, offre un nouveau départ. Leurs relations se réchauffent grâce à la mise en place de la politique turque dite de « zéro problème avec les voisins ».
L'année 2011 va toutefois marquer un tournant. Quand les manifestations se déclenchent en mars 2011, la Turquie va d'abord inciter son partenaire syrien à effectuer des réformes. Mais après plusieurs mois marqués par la répression des forces du régime, la Turquie va couper les ponts avec son partenaire syrien et devenir le parrain officiel de l'opposition. Le Conseil national syrien (CNS), composé d'opposants au régime, est créé en 2011 à Istanbul. Un an plus tard, Ankara le reconnaît comme seul interlocuteur légitime.
La Turquie accueille simultanément plusieurs milliers de réfugiés syriens. À l'époque, la stratégie turque est assez claire : la priorité est la chute du régime de Bachar el-Assad. Quitte à entretenir des positions ambiguës avec certains groupes islamistes, dont l'EI, et à laisser passer par ses frontières des milliers de jihadistes venus des quatre coins du monde pour rejoindre la Syrie.
(Lire aussi : L'appareil sécuritaire turc, autre victime des purges...)
Le conflit s'enlise
Les années suivantes, les tensions à la frontière entre les forces turques et syriennes s'intensifient. Damas accuse la Turquie de « soutenir les terroristes » et « d'agression flagrante » suite à la destruction d'avions syriens en territoire turc en septembre 2013 et mars 2014. La Turquie dément ces accusations et affirme avoir averti l'aviation syrienne à maintes reprises avant d'agir.
Mais le vrai tournant pour la Turquie, qui l'oblige à revoir ses priorités, est la montée en puissance des forces du Parti de l'unité du peuple (PYD)– branche syrienne du PKK–, que la Turquie combat de façon plus ou moins continue depuis 30 ans. Les Turcs sont confrontés à une problématique d'autant plus complexe que les Kurdes syriens sont soutenus par la coalition internationale, menée par les États-Unis, dans leur combat contre l'EI. La perspective de voir les Kurdes réussir à s'emparer d'un territoire unifié au sud de sa frontière avec la Syrie est un véritable cauchemar pour les Turcs.
Dans le même temps, les Turcs sont critiqués par leurs alliés occidentaux du fait de leur laxisme dans la lutte contre les groupes jihadistes. Cette sensation d'être abandonnée par ses alliés de l'Otan au profit d'un groupe qu'elle considère comme « terroriste » sera déterminant dans la reconfiguration de la stratégie turque en Syrie. La priorité devient la lutte contre les Kurdes, puis le soutien à la rébellion, et enfin la lutte contre les groupes jihadistes. Cette position intenable sera particulièrement manifeste au moment du début de la bataille pour la reprise de Kobané en septembre 2014. Les Turcs vont alors collaborer avec les Kurdes d'Irak – qui ne sont pas liés au PKK –, mais vont refuser tout soutien aux Kurdes syriens, malgré les pressions occidentales.
(Lire aussi : Jusqu'où Erdogan pourra-t-il alimenter l'anti-occidentalisme dans son pays ?)
Ankara retourne sa veste
Année après année, la Turquie va se trouver de plus en plus prisonnière de sa diplomatie en Syrie. Les attentats vont se multiplier, signés par le PKK ou par l'EI, déstabilisant profondément le pays et divisant la population. Les problématiques internes et externes vont de plus en plus se confondre – la Turquie accueille plus de 3 millions de réfugiés sur son territoire – au fur et à mesure que le président Erdogan va donner le sentiment de faire de la question syrienne une affaire personnelle.
En novembre 2015, la Turquie abat un avion militaire russe qui avait, selon elle, violé son espace aérien près de sa frontière avec la Syrie. Le ton monte entre le président Erdogan et son homologue russe, Vladimir Poutine, qui promet de se venger et accuse la Turquie de soutenir l'EI. Les tensions font craindre une escalade politique et militaire. Mais il n'en sera rien.
Constatant que les Occidentaux ne sont pas prêts à abandonner leur soutien aux Kurdes syriens et à soutenir le projet turc d'une zone de sécurité dans le Nord syrien, la Turquie va faire un revirement diplomatique à l'été 2016 en annonçant une réconciliation surprise avec Moscou. Le putsch manqué de juillet 2016 va accélérer le processus tout en refroidissant sérieusement les relations entre Ankara et les pays occidentaux, accusés de ne pas avoir assez soutenu le président Erdogan contre les putschistes.
Recep Tayyip Erdogan se tourne alors vers Vladimir Poutine et lance l'opération Bouclier de l'Euphrate en août, pour lutter contre le PYD et l'EI et constituer ainsi la zone de sécurité qu'il réclamait en vain. La Russie laisse faire les Turcs en contrepartie de quoi ces derniers mobilisent une partie importante des rebelles d'Alep. Ces derniers manqueront cruellement quelques mois plus tard, lorsque Moscou, Damas et Téhéran lanceront la dernière offensive contre les quartiers rebelles de la deuxième ville syrienne. Une offensive notamment marquée par le silence des Turcs qui semblent avoir abandonné leur soutien à une partie de la rébellion.
Après Alep, Ankara devient plus indulgente à l'égard de Bachar el-Assad, ne demandant plus expressément son départ avant les négociations. En parallèle, l'assassinat le 19 décembre 2016 de l'ambassadeur russe en Turquie, Andreï Karlov, ne secoue pas les relations entre Ankara et Moscou. « Nous ne laisserons pas cette attaque jeter une ombre sur l'amitié entre la Turquie et la Russie », affirmait Mevlut Cavusoglu, chef de la diplomatie turque. Les derniers attentats à Istanbul le soir du réveillon puis jeudi 5 janvier 2017 à Izmir, attribués à l'EI et au PKK, semblent toutefois être le revers de la médaille suite au revirement diplomatique d'Ankara au profit de Moscou et, dans une moindre mesure, de Damas.
Lire aussi
Tous les journalistes turcs n'ont pas eu la chance d'Asli Erdogan...
Les zones d'ombre de la politique turque en Syrie
Pour mémoire
L'Iran, la Turquie et la Russie pourraient réussir un « coup diplomatique » sur la Syrie
Ankara et Moscou, nouveaux arbitres du conflit syrien ?
La Syrie divisée en zones d’influence russe, turque et iranienne ?
Après s'être réconcilié avec Moscou durant l'été 2016, Ankara a progressivement...
LA GIROUETTE TURQUE TOURNE AU GRE DES VENTS...
08 h 12, le 10 janvier 2017