Des forces rebelles accompagnant l’armée turque dans la ville d’al-Bab en Syrie. Khalil Ashawi/Reuters
D'un côté, Washington, Paris, Londres et Riyad, qui considèrent qu'il n'y aura pas de solution en Syrie tant que Bachar el-Assad restera au pouvoir. De l'autre, Moscou et Téhéran qui ont décidé de sauver le régime syrien par tous les moyens. Et au milieu, la Turquie : le principal parrain de l'opposition qui a décidé de revoir ses priorités en Syrie et qui ne réclame plus le départ de M. Assad comme préalable aux négociations politiques. Et qui décide de mener des négociations sans les Occidentaux, à Astana, en compagnie des Russes et des Iraniens. En découle une situation pour le moins alambiquée : la Turquie, deuxième armée de l'Otan, fait ami-ami avec le pays que l'organisation atlantique considère comme la principale menace pour sa sécurité.
En période de guerre froide, on aurait dit que la Turquie se retrouve coincée entre deux blocs. Mais la guerre froide est finie et la logique de blocs n'est pas toujours pertinente. La Russie et l'Iran ont beau coopérer dans leur soutien au régime syrien, ils ne forment pas un bloc pour autant. Moscou et Téhéran sont concurrents au moins autant qu'ils sont partenaires, et leurs intérêts divergents, notamment en Syrie, seront un jour source de tensions, s'ils ne le sont pas déjà. De l'autre côté, l'arrivée au pouvoir aux États-Unis du président élu Donald Trump, qui souhaite coopérer avec Vladimir Poutine, risque de faire éclater le bloc occidental. Et pourrait faire les affaires des Russes tout en compliquant le jeu des Iraniens.
La situation reste extrêmement instable. Personne n'avait prévu l'intervention massive des Russes en Syrie en 2015. Tout comme personne n'avait prévu le revirement turc en 2016 et son intervention dans le Nord syrien. En 2017, Ankara pourrait bien réserver encore de nouvelles surprises. Pour une raison très simple : la politique turque en Syrie est pétrie de contradictions et de zones d'ombre, à tel point qu'on se demande si elle découle d'une véritable stratégie ou si elle navigue à vue en fonction des priorités du moment.
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Le pari
La Turquie a fait de la lutte contre ce qu'elle considère être des groupes terroristes, à savoir la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et l'État islamique (EI), sa priorité en Syrie. Elle cherche à sécuriser sa frontière, alors qu'elle est touchée par une vague d'attentats sans précédent, et à empêcher la formation d'un territoire kurde unifié au sud de sa frontière avec la Syrie. Combattant, de façon plus ou moins continue, le PKK et ses filiales depuis 30 ans, Ankara craint plus que tout que l'irrédentisme kurde ne déstabilise son territoire et remette en cause ses frontières. De ce point de vue-là, la politique turque en Syrie est tout à fait logique : les Turcs sont intervenus en Syrie parce qu'ils estimaient que c'était le seul moyen pour eux d'éviter l'ancrage territorial de deux groupes ennemis à leur frontière.
Le problème est qu'ils n'ont pas forcément les moyens politiques et militaires de leurs ambitions. Les Kurdes syriens sont toujours soutenus par la coalition internationale menée par les États-Unis et ils entretiennent de bonnes relations avec la Russie. Si Moscou acceptera sans doute de les lâcher en contrepartie d'une offre turque intéressante, on ne sait pas grand-chose sur les intentions de M. Trump à leur égard. Mais s'il souhaite combattre l'EI avec des forces locales, comme l'ont expliqué ses conseillers depuis son élection, il est difficile de croire qu'il pourra se passer complètement des Kurdes. La politique turque repose donc essentiellement sur le pari que les Kurdes vont finir par être abandonnés par leurs alliés respectifs.
Dans le cas contraire, Ankara risque de compliquer encore davantage ses relations avec ces alliés en question.
L'armée turque a été profondément affaiblie par les purges menées par les autorités au pouvoir. Les difficultés qu'elle éprouve à reprendre le fief d'al-Bab aux mains de l'EI en témoignent. Les risques que l'opération « Bouclier de l'Euphrate » se transforme en bourbier ne sont pas inexistants. D'autant plus que la Turquie n'a pas été claire quant à la finalité de l'opération, réclamant vouloir participer à la bataille pour la reprise de Raqqa tout en affirmant qu'elle va déloger les Kurdes de Manbij.
Avec plus de trois millions de Syriens – dont la majorité a fui le régime Assad – sur son territoire, la Turquie ne peut pas se permettre de s'aligner complètement sur les positions de Moscou et de Téhéran en Syrie. Elle y laisserait sa crédibilité, mais aussi son influence historique, dont elle a déjà perdu une grande partie à Alep comme à Mossoul, au profit des Russes et des Iraniens. Elle a besoin de Moscou pour régler la question des Kurdes syriens et pour envoyer un message fort aux Occidentaux. Mais à quel point sera-t-elle prête, en échange, à modérer sa position par rapport au régime Assad ? Et pourra-t-elle faire accepter cette position aux membres de l'opposition ? La question reste ouverte.
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20 h 05, le 09 janvier 2017