Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Décryptage

Ankara et Moscou, nouveaux arbitres du conflit syrien ?

Erdogan et Poutine ont aujourd'hui des intérêts communs à préserver de bonnes relations, en particulier sur la question syrienne.

Le ministre russe des Affaires étrangères entouré de ses homologues turc et iranien, hier, lors d’une réunion à Moscou consacrée au dossier syrien. Natalia Kolesnikova/AFP

Les éléments de langage sont les mêmes. D'un côté comme de l'autre, on dénonce une « provocation » visant à torpiller la normalisation des relations « russo-turques ». Coup de téléphone de Recep Tayyip Erdogan à son homologue russe Vladimir Poutine, confirmation de la réunion tripartite sur la Syrie à Moscou, accusation à l'encontre des réseaux gülenistes : tout a été fait pour calmer le jeu lundi soir, quelques heures après l'assassinat à Ankara d'Andreï Karlov, ambassadeur de Russie en Turquie, par un policier turc identifié comme étant Mevlüt Mert Altintas.

Le contraste avec l'escalade verbale entre les deux dirigeants en novembre dernier, après que la Turquie eut abattu un avion russe à la frontière syro-turque, est frappant. La réconciliation est passée par là et les deux dirigeants ont aujourd'hui des intérêts communs à préserver de bonnes relations, en particulier sur la question syrienne.

Si l'assassin de M. Karlov a fait plusieurs fois référence à Alep après avoir abattu sa victime, pointant du doigt la responsabilité russe dans l'étranglement et la destruction d'une partie de la deuxième ville syrienne, cela n'a eu a priori aucune incidence sur la coopération entre les deux États concernant ce dossier. M. Erdogan a d'ailleurs réaffirmé hier après-midi être convenu de poursuivre la collaboration bilatérale avec son homologue russe : « Nous partageons avec le président Poutine le même point de vue selon lequel notre coopération dans les divers domaines, particulièrement sur la Syrie, ne sera pas entravée par cette attaque », a-t-il déclaré.

 

(Lire aussi : L'assassinat du diplomate russe ne peut être aujourd'hui interprété comme un casus belli)

 

Ankara n'en ressort pas indemne pour autant. Cet assassinat va certainement « affaiblir la position d'Erdogan », selon Bayram Balci, expert franco-turc, chercheur au CNRS et à l'Institut français d'études anatoliennes d'Istanbul. « L'acte de ce jeune policier est une façon de braver l'autorité du président turc », précise l'expert. « On a désormais la preuve intangible que son autorité est contestée au sein de son propre camp, mais également la preuve que sa politique de rapprochement avec Poutine est contestée. Erdogan montre à Poutine qu'il n'est pas capable de maîtriser ses troupes », poursuit M. Balci.

Moscou et Téhéran, parrains de Damas, et Ankara ont appelé hier à étendre le cessez-le-feu « élargi » en Syrie, lors de discussions tripartites à Moscou. Au terme de la rencontre entre les ministres russes, turcs et iraniens des Affaires étrangères et de la Défense, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a présenté une « déclaration commune » sur la Syrie. « Nous sommes prêts à contribuer à l'élaboration du projet d'accord, aux pourparlers entre le gouvernement syrien et l'opposition », a-t-il indiqué.

Américains et Européens ont été mis à l'écart de ces discussions, qui sonnent comme un début de « partenariat » entre les Turcs et les Russes. « Un partenariat qui peut être ponctuel, ou sur le long terme, mais qui est surtout révélateur du fait que ni la Russie ni la Turquie ne considèrent plus les États-Unis comme partenaires », affirme Tarek Mitri, ancien ministre et directeur de l'Institut des politiques publiques et des affaires internationales à l'AUB.

 

(Lire aussi : L'assassinat de l'ambassadeur russe n'affectera pas les liens Moscou-Ankara, affirme la presse russe )

 

Configuration diplomatique essentielle
Après la démonstration de force de Moscou à Alep, réduite en cendres et quasiment vidée de la population des quartiers rebelles, l'heure est aux négociations politiques. Cette nouvelle configuration diplomatique est nécessaire pour Moscou comme pour Ankara à plusieurs niveaux.

« Peut-être que (Bachar el-)Assad continue de croire en une solution militaire, et peut-être que les Iraniens le poussent à croire cela. Mais les Russes jugent, maintenant que le rapport de force est nettement favorable au président syrien, qu'il est temps de trouver une solution politique », estime Tarek Mitri.

Pour ce faire, il faudra d'abord sécuriser la Syrie utile et reprendre Idleb, l'un des derniers bastions de la rébellion syrienne. Les Turcs auront un rôle à jouer comme ce fut le cas lors de la reconquête d'Alep. Si la Turquie n'avait pas mobilisé des combattants rebelles dans le nord du pays, notamment à al-Bab, l'offensive du régime syrien et de ses alliés n'aurait pas été aussi fulgurante. Ensuite, pour que Moscou puisse parvenir à un accord diplomatique avec une partie de l'opposition rebelle, Ankara aura un rôle d'intermédiaire à jouer, au vu de ses liens avec certains groupes rebelles. Enfin, en intégrant un troisième acteur à la table des négociations, Moscou espère contrer l'influence de l'Iran et s'imposer définitivement en maître du jeu.

« Depuis le début de la crise syrienne, Erdogan est tellement vulnérable qu'il n'a pas d'autre option que de jouer la carte russe », explique Bayram Balci. L'établissement d'une zone tampon dans le Nord syrien si cher aux Turcs, dans le but de contrer le projet d'unité kurde et de sécuriser la zone frontalière, pourrait ainsi être remis sur le tapis lors des prochaines discussions avec les Russes et les Iraniens.

 

(Lire aussi : Conflit syrien : Ankara dément tout "marché" secret avec Moscou)

 

Lors du lancement de l'opération Bouclier de l'Euphrate, le 24 août dernier, visant le groupe État islamique et les Forces démocratiques syriennes (FDS), les Russes ont « laissé aux Turcs la marge d'intervenir militairement dans le but de créer cette zone » en « fermant en quelque sorte les yeux », rappelle Tarek Mitri, qui estime cependant que Moscou ne soutient pas réellement ce projet. L'intervention militaire en Syrie et le rapprochement avec Moscou font aujourd'hui d'Ankara l'acteur le plus légitime pour représenter l'opposition au régime, mettant de facto hors jeu les puissances du Golfe et les Occidentaux.

Un rapprochement nécessaire donc, qui permettrait à chacun des deux acteurs de trouver son compte, mais qui ne dissiperait pas pour autant certaines divergences. Notamment la question du départ de Bachar el-Assad, qui reste la pomme de discorde entre les deux puissances. Le président Erdogan n'aurait toutefois plus les moyens de continuer à exiger son départ. « Les Turcs continuent de camper sur leurs positions de principe, mais dans les faits, c'est autre chose. Ils ont laissé Alep tomber, ils n'ont pas bougé le petit doigt, non pas parce qu'ils ne le voulaient pas, mais parce qu'ils sont devenus incapables de le faire », souligne Tarek Mitri. « On parle d'un Erdogan fort et puissant, mais ce n'est pas le cas, il est faible et vulnérable », confirme Bayram Balci.

Reste à savoir si l'alliance entre la Turquie et la Russie sur le dossier syrien permettra aux deux pays d'être les « garants » de négociations de paix entre régime et opposition, comme annoncé hier à l'issue de la réunion tripartite à Moscou.

 

 

Lire aussi

Alep, une victoire militaire, diplomatique et personnelle pour Poutine

Après Alep, la nature de la guerre contre le régime pourrait changer

Çavuşoğlu : Assad ne peut plus rester au pouvoir

Erdogan revient sur ses propos sur la Syrie et Assad

Les éléments de langage sont les mêmes. D'un côté comme de l'autre, on dénonce une « provocation » visant à torpiller la normalisation des relations « russo-turques ». Coup de téléphone de Recep Tayyip Erdogan à son homologue russe Vladimir Poutine, confirmation de la réunion tripartite sur la Syrie à Moscou, accusation à l'encontre des réseaux gülenistes : tout a été...
commentaires (5)

ON NE PEUT PAS COMPRENDRE QU,ANKARA A ETE MANDATE PAR L,ONCLE SAM QUI VEUT SE GARDER EN DEHORS D,ACCORDS PEU PROBABLES ET AVOIR LES MAINS LIBRES POUR LA SUITE...

ECLAIR

13 h 17, le 03 janvier 2017

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • ON NE PEUT PAS COMPRENDRE QU,ANKARA A ETE MANDATE PAR L,ONCLE SAM QUI VEUT SE GARDER EN DEHORS D,ACCORDS PEU PROBABLES ET AVOIR LES MAINS LIBRES POUR LA SUITE...

    ECLAIR

    13 h 17, le 03 janvier 2017

  • Il ne s'agit pas d'écarter l'Iran mais de le contenir, car aucune partie ne saurait écraser les autres. C'est bien toute l'intuition de cette solution à 3 garants, chacun représentant schématiquement un groupe de communautés/parties. Et la diplomatie américaine semble perdre définitivement le leadership dans la région, clôturant un chapitre de 15 années depuis son fourvoiement en Irak des années Bush aux louvoiements des années Obama.

    AntoineK

    10 h 55, le 03 janvier 2017

  • Par quel miracle de quel claquement de doigt on pourrait écarter l'Iran NPR ? La Russie de Poutine est loin d'être crétine à ce point , elle tire sa force grâce à cet axe solide formé avec l'Iran l'Irak et les hezb résistant , pensez vous sérieusement qu'elle irait le balancer pour une alliance avec erdo que votre interlocuteur présente comme affaibli ???? Après, c'est pas interdit de rêver ..

    FRIK-A-FRAK

    12 h 31, le 21 décembre 2016

  • CONTINUEZ A NOUS FAIRE PRENDRE DES VESSIES POUR DES LANTERNES , CELA N'ECLAIRERA PAS NOTRE HORIZON .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 01, le 21 décembre 2016

  • ""Moscou espère contrer l'influence de l'Iran et s'imposer définitivement en maître du jeu."" Pour ceux qui encore pensent que l'iran a son mot a dire dans ce conflit !!! d'où le front de la résistance n'a rien gagner du tout ....

    Bery tus

    04 h 36, le 21 décembre 2016

Retour en haut