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Moyen Orient et Monde

La politique étrangère japonaise à l’ère Trump

Vladimir Poutine et Shinzo Abe lors d’une rencontre sur le business russo-japonais, le 16 décembre à Tokyo. AFP/ Pool/STR

Décembre sera un mois de réconciliation pour le Premier ministre japonais Shinzo Abe, puisqu'il rencontre les dirigeants de deux pays qui ont combattu le Japon durant la Seconde Guerre mondiale : les États-Unis et la Russie.
Le fait qu'Abe ait accueilli le président russe Vladimir Poutine (le 15 décembre), puis rende visite (la semaine prochaine) au président américain Barack Obama dans un laps de temps aussi court pourrait sembler prometteur. Pourtant, ces événements présagent en réalité une période inconfortable et potentiellement déstabilisatrice pour le Japon – et l'ensemble de l'Asie orientale.
Le 26 décembre, Abe serrera la main d'Obama à Pearl Harbor – quelques semaines après que les États-Unis eurent célébré le 75e anniversaire de l'attaque japonaise à cet endroit – pour rendre la pareille après la visite d'Obama sur les sites de la bombe atomique d'Hiroshima en mai dernier. Cette démonstration mutuelle de pardon est destinée à insister sur les valeurs que le Japon et les États-Unis partagent à présent.
Ce geste se déroulera à peine dix jours après qu'Abe eut accueilli Poutine dans sa préfecture natale de Yamaguchi ; or la réconciliation entre ces deux hommes sera d'un type bien différent. La Russie est l'un des rares pays avec lesquels le Japon n'a jamais signé de traité de paix après 1945 parce que, dans les derniers jours de la guerre, l'Union soviétique avait occupé quatre îles qui étaient japonaises, juste au nord de Hokkaido, l'île principale la plus septentrionale du pays.
Les quatre îles se trouvent à la pointe sud de la chaîne des îles Kouriles qui sépare la mer d'Okhotsk de l'océan Pacifique. Bien qu'elles n'aient aucune valeur économique particulière outre le fait de fournir des lieux de pêche, elles ont une signification sentimentale pour le Japon – comme cela est souvent le cas avec les territoires perdus. Et, pour la Russie, qui ne cède jamais volontiers de territoire de toute façon, les îles ont une importance stratégique : le Kremlin a récemment décidé d'installer des systèmes de défense antimissile sur deux d'entre elles.
Alors que le différend sur les îles a toujours empêché le Japon et la Russie de formaliser un accord de paix, les deux pays semblent désormais vouloir se rapprocher. Le voyage de Poutine a été sa première visite officielle au Japon en une décennie ; et Abe lui a fait l'honneur d'un traitement personnalisé; leurs discussions ont eu lieu dans l'environnement viril d'un onsen (source chaude), plutôt que dans des bureaux ternes.
Ces ouvertures reflètent les préoccupations respectives de la Russie et du Japon concernant la Chine. Bien que la Russie ait réchauffé ses relations avec la Chine ces dernières années, notamment par la conclusion d'un grand accord de fourniture de gaz naturel et l'organisation d'exercices militaires conjoints, elle l'a largement fait en tant que geste de défi contre les États-Unis et l'Union européenne. À long terme, la Russie ne veut pas être vue comme dépendante de son voisin du sud de plus en plus puissant. Le Japon, pour sa part, craint la domination chinoise en Asie de l'Est, et est extrêmement heureux d'être le nouvel ami asiatique de la Russie.
Auparavant, il aurait été difficile, voire impossible, pour le Japon d'investir dans l'Extrême-Orient de la Russie, en raison de sa participation à des sanctions occidentales contre la Russie, imposées en réponse à l'agression de la Russie en Ukraine. Mais, avec l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, ces sanctions pourraient être assouplies ou supprimées. En effet, cela pourrait expliquer pourquoi Abe a cassé le protocole pour devenir le premier dirigeant étranger à rencontrer le président élu Trump à New York, le 17 novembre.
Si Hillary Clinton avait remporté l'élection, Abe aurait été forcé de minimiser les attentes de son sommet avec Poutine. Du coup, Poutine et Abe avaient plus d'espace pour négocier le statut des îles contestées et développer un futur cadre de coopération économique, qui comprendra probablement des sommets bilatéraux réguliers.
Mais cela ne sera qu'un prix de consolation pour Abe. La victoire de Trump a sonné le glas, pour les 12 pays impliqués, du Partenariat Transpacifique (TPP), qui était la pièce maîtresse de la stratégie d'Obama pour l'Asie. Abe soutenait le TPP, qu'il voyait comme un moyen d'empêcher la Chine de fixer les règles des échanges asiatiques. Sans le TPP, il est maintenant de plus en plus probable que la Chine assumera ce rôle.
Ce sera une grande perte pour le Japon, et le pays va perdre encore plus si Trump donne suite à sa promesse de campagne de faire payer davantage des alliés comme le Japon et la Corée du Sud pour leur propre défense. Et si Trump continue de provoquer la Chine en communiquant avec Taïwan et en mettant en question la politique américaine « d'une seule Chine », les tensions régionales vont augmenter. Cela, à son tour, ne fera qu'augmenter les besoins de défense du Japon, en particulier en ce qui concerne les îles Senkaku dans la mer de Chine orientale, que la Chine revendique comme siennes.
En conséquence, Abe fait face à un danger politique, mais il a aussi une opportunité. L'élection de Trump et l'accroissement des tensions régionales ont créé le prétexte parfait pour qu'Abe parvienne à son but politique ultime : abolir l'article 9 – la clause pacifiste de la Constitution du Japon d'après-guerre, imposée par les États-unis, qui limite l'armée japonaise à une « force d'autodéfense », et a généralement maintenu les dépenses de défense japonaises à 1% du PIB.
Abe dispose déjà d'assez de soutien parlementaire pour atteindre cet objectif, et il pourrait en recueillir encore davantage grâce à des élections anticipées pour la Chambre basse au début de 2017. Mais, outre la majorité des deux tiers dans les deux organes parlementaires, les réformes constitutionnelles exigent également une majorité simple dans un référendum national. Cette dernière condition pourrait être plus difficile, parce que le pacifisme est profondément ancré dans le seul pays qui a été attaqué par des bombes atomiques.
En serrant la main d'Obama à Hawaii, Abe marquera son accord à la croyance pacifiste moderne du pays et signalera que, malgré sa réputation de nationaliste, il nourrit lui aussi de profonds sentiments quant aux dangers de la guerre. Ces promesses pacifiques, dans le contexte de tensions croissantes en Asie de l'Est, pourraient être suffisantes ou non pour convaincre les électeurs japonais qu'il est temps d'élargir les forces armées de leur pays – 75 ans après leur grande mais fatidique triomphe à Pearl Harbor. Ce sera l'une des questions centrales de la politique asiatique au cours des prochaines années turbulentes.

© Project Syndicate, 2016.
Traduit de l'anglais par Timothée Demont.

Décembre sera un mois de réconciliation pour le Premier ministre japonais Shinzo Abe, puisqu'il rencontre les dirigeants de deux pays qui ont combattu le Japon durant la Seconde Guerre mondiale : les États-Unis et la Russie.Le fait qu'Abe ait accueilli le président russe Vladimir Poutine (le 15 décembre), puis rende visite (la semaine prochaine) au président américain Barack Obama dans un...

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