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Culture - Rencontre

Flavie Audi, à la conquête de son espace

Artiste transversale, alchimiste du verre qu'elle a élu comme matériau fétiche, Flavie Audi cultive sa subtilité baroque en s'interrogeant sur l'évolution du monde. Elle présente actuellement « Cell-(estial) »*, son premier solo show à Londres, et expose pour la première fois à Beyrouth dans le cadre de House of Today**.

Flavie Audi suit la marche du monde en faisant cohabiter « des substances naturelles et d’autres synthétiques ». Photos Billal Taright

Puisqu'il faut bien à un moment ou à un autre donner une profession, elle avance «artiste». Sculptrice du verre ou jongleuse des arts ne serait pas plus hasardeux. Flavie Audi façonne sa vie comme elle malaxe le verre, son matériau favori. Elle se raconte, se met en scène, irrigue l'existence de son œuvre et vice versa. Elle «imagine la vie comme une création», se fie aux «énergies de la matière» et se plaît à jouer les équilibristes entre le réel et le virtuel. Inutile de chercher le mode d'emploi chez cette brune volubile, cheveux aux extrémités bleuies qui siéent bien à celle qui aime s'imbiber aux poussières galactiques. Mieux vaut recueillir les cailloux lâchés sur le chemin de ce Petit Poucet, tellement dans l'air du temps. «Je ne suis pas réac», dit-elle, tellement ancrée dans sa génération aux errances assumées.

Ravauder un visuel

De ce flot incessant de vagabondages qui l'ont conduite au Japon, à Murano ou au Liban-Sud, à l'affût d'un matériau ou d'une réponse existentielle, cette fille mosaïque a ravaudé tout un visuel, centré autour du verre essentiellement, qu'elle s'est approprié et qui a déjà fait l'objet de plusieurs expositions dont «Venus Over Manhattan», aux côtés des œuvres d'Ai Wei Wei à New York, en 2014. Mais avant de s'égarer dans le monde de l'art qui « lui est venu naturellement », Flavie a fait ses classes à l'Architectural Association School of Architecture de Londres, puis ses armes aux côtés de l'architecte John Pawson. « Lors de ma dernière année d'études, je construisais toutes mes maquettes avec du verre uniquement. Ce n'est pas commun, mais c'était une manière de renforcer cette matière et de la rendre plus sensuelle aussi, d'en révéler l'humanité », se souvient-elle. Aventureuse, elle veut alors en savoir plus à propos de ce matériau, conçoit un luminaire tout en verre, mais se sent frustrée de ne pas faire part du processus de création. Et de poursuive : « Je me suis donc rendue à Sarafand, au Liban-Sud, pour rencontrer les derniers souffleurs de verre. À cause du manque de ressources, il était impossible d'avancer ou de passer au concret. » Sauf que de cette frustration naîtra un besoin, une détermination: « J'ai eu une révélation, j'ai compris que je voulais pousser mes connaissances et mon contact avec le verre», assène-t-elle avec une opiniâtreté qu'on ne soupçonnerait pas chez cette fille hors cadre, légèrement en retrait, constamment ailleurs.

Alchimiste, laborantine

Toujours en phase avec ses aspirations, elle intègre le Royal College of Art à Londres d'où elle décroche un master en verre et céramique. Elle l'évoque ainsi: «C'est à ce moment que tout a explosé, que j'ai tout appris. Je faisais les choses moi-même, finalement, en mettant mes connaissances d'architecte au service de mes projets.» La jeune fille affiche dès lors un penchant certain pour «une manière expérimentale de faire les choses, de devenir chimiste en quelque sorte». Cet attrait de laborantin se mêlera alors à l'ADN artistique de Flavie Audi qui, depuis son entrée dans le monde de l'art contemporain, ne cesse de brouiller les frontières entre talent et alchimie, entre science et création, entre l'homme et la machine. À travers ses œuvres doucement baroques et joliment foutraques, elle teste ses limites, brusque la neutralité des sensations, célèbre le plaisir d'une technique ancestrale. « J'ai choisi d'envisager la technique des souffleurs de verre à rebrousse-poil, c'est-à-dire en vidant le verre de l'air », explique Audi. Dans des entrelacs colorés « qui résultent du pur hasard, excitant », elle malaxe et chiffonne presque sa matière fétiche comme tant de rêveries éthérées. Le verre se fait alors ovoïde ou géométrie libre, vibrant d'ombres et de lumières sur un support rugueux tel une typologie d'ailleurs. Ou il prend parfois des allures fluides, comme une belle manière de défier la matière.

La route du verre

Dans le flot de la suite, Flavie Audi continue à labourer ce sillon d'ambiguïté qui lui autorise des errances entre le monde du réel et celui du virtuel, «une dichotomie qui me fascine et que j'ai choisi d'examiner au lieu de la réfuter». C'est le cas de son premier solo show «Cell-(estial)» qui se déroule actuellement à la galerie Tristan Hoare à Londres. Explications : «Comme le titre l'indique, cette exposition est une manière pour moi de m'interroger sur les rapports entre l'essence de l'homme, sa biologie et le monde digital et cellulaire.» En confrontant, dans deux salles aux couleurs antipodiques, des médiums et des techniques différentes (photographie analogue et digitale, vidéos et structures en verre soufflé), les créations de l'artiste deviennent cette caravane valsant entre gemmologie et géologie, traversant le fil du rasoir qui sépare le réel et l'artificiel. «Le verre représente finalement toute la complexité qu'est un écran, cette frontière entre l'homme et l'avenir», conclut-elle avec flegme. En touche-à-tout inlassable, en boulimique des matériaux inexplorés et de leurs expériences nouvelles car «je suis la marche du monde en faisant cohabiter des substances naturelles et d'autres synthétiques», elle a également conçu deux tables en marbre, résine et verre pour la biennale de House of Today, une «initiative qui m'a permis d'avoir mes objets exposés à Beyrouth pour la première fois».

Et si la route du verre n'avait pas croisé son chemin, Flavie Audi aurait sans doute été architecte. On l'imaginerait plutôt astronaute aux appétits prononcés pour les expériences fortes, propulsée pour de vrai dans le ciel étoilé où rouille la mémoire de ceux qui aspiraient à conquérir la galaxie quand ils se satisfont, désormais, de barboter dans le réel...

* « Cell-(estial) » à la Tristan Hoare Gallery, Londres, jusqu'au 10 janvier 2017.
** House of Today au Yacht Club, Beyrouth, jusqu'au 29 décembre 2016.

 

 

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