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À La Une - Nigeria

Entre bières et paillettes, la jeunesse de Maiduguri oublie Boko Haram

Chrétiens et musulmans font la fête ensemble, sur des tubes de Wizkid ou M. Balogun, papes de la musique afro-pop.

Maiduguri est réputée être une ville plutôt libre qui attire depuis longtemps les jeunes de tout le nord musulman désireux de s'affranchir des codes. AFP / STEFAN HEUNIS

La jolie Fatima traverse le dance-floor et fonce sur sa proie. Ce soir, s'est promis la jeune femme, elle ne rentrera pas seule. Il lui reste trois heures avant le couvre-feu et la fermeture de la boite la plus branchée de Maiduguri, berceau du groupe islamiste Boko Haram, dans le nord-est du Nigeria.

Au Hot Bites, la bière coule à flot, et sur la piste, femmes voilées se déhanchent à côté de midinettes en robe à paillettes sexy, sous le regard aviné de militaires, qui le temps d'une soirée, oublient la ligne de front.
Dans la ville, la vie nocturne reprend peu à peu après sept années d'une guerre qui a fait plus de 20.000 morts et 2,6 millions de déplacés internes.

Comme tant d'autres jeunes dans le nord-est du Nigeria, Fatima a passé la moitié de sa vie à vivre la peur au ventre. Peur de se faire kidnapper pour être mariée de force aux islamistes... Peur d'un attentat qui la tuerait, elle ou sa famille.

A 18 ans, la lycéenne n'a qu'une envie: "tourner la page". "Je peux rencontrer mon mari ici, pourquoi pas!", rit-elle, ses grands yeux en amande soulignés au khôl. Pour l'occasion, elle a troqué l'habituel hijab contre des talons hauts et un décolleté plongeant: "pas question que ma grand-mère me voit habillée comme ça, elle ne sait pas que je suis là... Je me suis changée sur le chemin!".

La capitale du Borno, Etat conservateur où la charia a été décrétée dès 2001, avant même l'insurrection islamiste, Maiduguri est réputée être une ville plutôt libre qui attire depuis longtemps les jeunes de tout le nord musulman désireux de s'affranchir des codes.

Ici, chrétiens et musulmans font la fête ensemble, sur des tubes de Wizkid ou M. Balogun, papes de la musique afro-pop née à plus de 1.000 kilomètres de là à Lagos, la bouillonnante et dynamique capitale économique du sud.

'Pas vivre sans musique'
Les cheveux dissimulés sous un turban noir et une cigarette à la main, Muna entame sa troisième "Star" (bière locale) accoudée au bar. "Je bois de la bière, ça me suffit, je n'ai pas besoin d'autre chose", confie-t-elle, clin d'oeil à la consommation de drogues qui s'est généralisée dans le nord-est du Nigeria depuis le début du conflit. "Mes amis en prennent beaucoup".

Si le Tramadol - puissant antalgique consommé par les combattants du groupe islamiste - s'achète au coin de la rue, la cocaïne et même l'héroïne circulent désormais facilement à Maiduguri, d'après plusieurs travailleurs humanitaires. Ici "chacun fait ce qu'il veut, tout le monde est le bienvenu, sauf Boko Haram!", assure Sunday, 32 ans, fonctionnaire originaire du sud chrétien et habitué des lieux.

Chacun sait que la guerre n'est pas terminée, et que Maiduguri n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres de la forêt de Sambisa où l'armée combat les insurgés. Les contrôles de voitures et fouilles corporelles à l'entrée de la boîte de nuit sont là pour le rappeler.

Le couvre-feu a été récemment repoussé à 22H00 (contre 18H auparavant), et pendant la nuit, pas de discussion possible avec les militaires qui arrêtent tous les retardataires.
Alors la jeunesse s'adapte. A partir de 19 heures, le bar encore désert se remplit en quelques minutes. Durant les weekends, les plus motivés s'enferment à l'intérieur et font la fête jusqu'au petit matin, à l'heure où les check-points et les treillis ont disparu.

"Nous avons tellement souffert, les jeunes veulent se détendre et oublier", explique le gérant du Hot Bites, Ayo Deji, qui organise aussi des fêtes avec des artistes locaux, dans une ambiance "champagne et chicha" au bord de la piscine de l'hôtel Lake Chad les dimanche après-midi.

Pendant longtemps, rappelle-t-il, le groupe islamistes et ses relais en ville surveillait de près les moeurs des jeunes Haoussa et Kanouri, les deux principales ethnies de la région. "Ils nous interdisaient d'écouter de la musique, même sur le téléphone, c'est tellement bête", lance Ayo Deji. "Ils peuvent mettre des bombes autant qu'ils veulent (...) nous les Nigérians, on ne peut pas vivre sans musique!"


 

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