Rechercher
Rechercher

La guerre à distance

Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Face aux atrocités qui jalonnent le conflit de Syrie, les Occidentaux, eux, font désormais de la distanciation. Et ils savent très bien ce qu'ils font, même s'ils répugnent à le reconnaître.

Gymnastique des plus singulières, en vérité, que cette distanciation qui n'est pas tout à fait de la neutralité, comme on la pratique en Suisse ou en Autriche. C'est nous, Libanais, qui avons façonné et breveté le concept ; mais au vu des résultats, nous n'allons tout de même pas jusqu'à en tirer la même fierté que pour l'invention de l'alphabet ou du procédé d'extraction de la pourpre de murex, découvertes qui firent la gloire de l'antique Phénicie.

Comme son nom l'indique, la distanciation consiste, pour un État, à se tenir éloigné d'une quelconque crise se déroulant hors de son territoire. Des années durant, les pays occidentaux ont pourtant choisi leur camp. Ils ont réclamé à tue-tête le départ du tyran sanguinaire Bachar el-Assad, mais sans jamais participer effectivement à son déboulonnage autrement que par de chiches livraisons d'armes à certains groupes de rebelles. Refroidis par les ultimatums bidon de l'administration américaine, impressionnés (et parfois séduits) par la détermination de la Russie, durement atteints par le terrorisme jihadiste, désarçonnés ensuite par l'élection d'un Donald Trump pressé de faire équipe avec Vladimir Poutine, ils ont procédé à une révision déchirante de leurs priorités. Oh, ils continuent bien, ces pays, de dénoncer sur tous les tons la barbarie de la répression, ils parlent de crimes de guerre, ils ameutent l'Onu. Mais c'est à peu près tout ; et tant qu'à parler de distances, il y a bien loin, on le voit, de l'indignation à l'action...

Il y a plus loin encore de la théorie à la pratique dès lors que l'on considère la distanciation à la libanaise : érigée en ligne officielle, elle souffre au contraire d'un excès d'action, avec la participation active du Hezbollah aux combats de Syrie et aussi l'aide morale ou logistique qu'apportent d'autres parties locales aux rebelles. C'est avec les uns et les autres que l'on s'échine, depuis des semaines, à former un gouvernement dit d'unité. Le plus extraordinaire cependant, c'est que la politique politicienne n'est en aucun cas occultée par les choix géopolitiques ; ce n'est pas en effet le mariage de l'eau et du feu, des pro et anti-Bachar, qui retarde la naissance du gouvernement, mais l'âpre compétition dont sont l'objet les ministères juteux.

Honteuse, n'osant dire son nom en Occident, et parfaitement mensongère en Orient : la distanciation n'a pas encore dit, hélas, son dernier mot...

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Face aux atrocités qui jalonnent le conflit de Syrie, les Occidentaux, eux, font désormais de la distanciation. Et ils savent très bien ce qu'ils font, même s'ils répugnent à le reconnaître.
Gymnastique des plus singulières, en vérité, que cette distanciation qui n'est pas tout à fait de la neutralité, comme on la pratique en...