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Culture - Tribune

Beyrouth, vue par Claude Moufarège : une apparition

Au sixième étage de l'immeuble Costa, à Hamra, la galerie Artspace abrite un événement : seize toiles saisissantes de Claude Moufarège sur Beyrouth. La ville est vide, silencieuse, hors le temps, solide et blessée, chaotique et mystérieuse, comme dans les rêves. Vue de haut, parfois de près, plus souvent à grande échelle, elle se dresse, en double d'elle-même, avec une force et une précision impressionnantes. Un même climat de souvenir et d'adieu fixe l'heure : celle où la lumière, sur le point de fuir, détraque la montre, favorise la vision, donne plus de poids aux ombres qu'aux choses. Et, en se raréfiant, se rend inoubliable. « Je suis entrée dans la ville, par les toits, comme un voleur », dit-elle à propos de ce travail mené dans la plus grande des solitudes avec une immense rigueur. L'architecte qu'elle est assiste formidablement le peintre dans son traitement de l'espace. Si bien qu'il y a deux volontés au travail : celle qui construit, mesure, domine, et celle qui renverse, détourne, met son objet à l'épreuve. L'une décline la réalité tandis que l'autre en prend congé. En résulte un mélange de puissance et de mélancolie, de deuil et de résistance, qui se situent au plus près de ce qu'impose l'époque à qui veut créer.

* * *
Née à Dakar, en 1951, venue avec sa famille à Beyrouth à l'âge de neuf ans, repartie après ses études d'ingénieur en France, au Canada, en Australie, à Paris, à Londres, Claude Moufarège a mené, en compagnie de son mari, Alain Moufarège, et de son fils, David, une vie de nomade. En marge des modes et de la vie sociale. La peinture, qui est sa seconde vie depuis l'enfance, est désormais ce à quoi elle se dédie à temps plein. On peine à croire devant la toile intitulée De la lumière (130 / 195 cm) que cet ouvrage aussi subtil que monumental est celui de cette mince petite femme aux grands yeux verts. Ce vaste paysage urbain surgi de l'ombre, d'où émergent trois pans de murs frappés de roses et d'ocres indéfinissables, est une entreprise de titan qui agit simultanément comme une confidence. De la grande peinture. À quoi tiennent l'émotion et la magie de ces toiles obsédées par le plus ingrat des sujets : un désordre de ville en béton au milieu duquel survivent péniblement quelques toits rouges ? À la transformation : celle du dehors par le dedans, de la laideur par le songe, du mur par la conscience de ce qui lui échappe. Il règne, parmi ces bâtiments fantômes, de splendides pans d'ombre debout, pliés, à genoux, tantôt figés, tantôt fuyants comme de l'eau, qui sont le lieu où la forme est saisie par le fond. Victor Hugo dirait : « Où la forme est du fond qui remonte à la surface. » D'où le caractère universel de cette forêt urbaine dont les fenêtres ne sont pas tant des trous percés dans les façades que des ouvertures opérées à partir du noir. Claude Moufarège surmonte alors le poids de la réalité et entre dans sa toile comme un bateau dans la nuit. Ces moments-là nous font souhaiter, pour la suite du voyage, qu'elle larguera de plus en plus les amarres. Sa maîtrise des volumes et des perspectives, alliée à son désir d'évasion, à son obstination, à sa capacité à endurer sans renoncer, me laisse penser qu'elle n'a pas fini de nous surprendre.

Dominique EDDÉ

Au sixième étage de l'immeuble Costa, à Hamra, la galerie Artspace abrite un événement : seize toiles saisissantes de Claude Moufarège sur Beyrouth. La ville est vide, silencieuse, hors le temps, solide et blessée, chaotique et mystérieuse, comme dans les rêves. Vue de haut, parfois de près, plus souvent à grande échelle, elle se dresse, en double d'elle-même, avec une force et une...

commentaires (1)

Très bel article pour cette superbe exposition. Merci à l'artiste Claude Moufarege.

Brunet Odile

22 h 32, le 22 décembre 2016

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Très bel article pour cette superbe exposition. Merci à l'artiste Claude Moufarege.

    Brunet Odile

    22 h 32, le 22 décembre 2016

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