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Moyen Orient et Monde

Trump et le chaudron moyen-oriental

Christopher R. Hill, ancien secrétaire d’État adjoint des États-Unis pour l’Asie de l’Est, est doyen de la faculté Korbel d’études internationales de l’université de Denver, et l’auteur, récemment, de « Outpost: Life on the Frontiers of American Diplomacy ».

L'examen méthodique des politiques menées par le précédent gouvernement constitue l'un des passages obligés de toute transition aux États-Unis. Il s'agit en effet de déterminer quelles politiques doivent être poursuivies, quelles doivent être abandonnées ou modifiées. Tandis qu'approche sa prise de fonction, le président élu, Donald Trump, semble impatient de réaliser de nombreux changements – certains auront des effets plus positifs que d'autres.
Le cas de certaines politiques apparaît réglé d'avance. Ainsi le destin du partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership – TPP), qui regroupe douze pays, semble-t-il déjà scellé, puisque Trump a publiquement affirmé qu'il enterrerait l'accord – signé mais non ratifié par le Sénat américain – dès le premier jour de son mandat. C'est malheureux, car le TPP aurait révolutionné les droits de propriété intellectuelle et permis d'atteindre des niveaux sans précédent de transparence, tout en baissant les barrières douanières et non douanières. Il est peu probable que Trump change d'avis.
Dans un autre domaine crucial de la politique étrangère, pourtant, les nouvelles orientations de la prochaine administration seraient les bienvenues : le Moyen-Orient. Les limites montrées par les deux administrations précédentes, celle de George W. Bush et celle de Barack Obama, dans leur approche globale de la région, se sont traduites par l'incapacité des États-Unis à suivre le rythme des événements.
L'administration Obama, en particulier, a souvent hésité à affirmer son rôle, se projetant dans un futur où cette région du monde, qui, pour reprendre le mot de Winston Churchill sur les Balkans, produit plus d'histoire qu'elle n'en peut consommer, n'accaparerait plus l'attention des États-Unis. Obama n'en a pas moins compris la nécessité de maintenir sur l'Irak une position cohérente – ce que ses détracteurs refusent souvent de lui reconnaître.
À la vérité, c'est Bush qui, après avoir engagé les États-Unis dans les guerres d'Afghanistan et d'Irak, a signé, en 2008, l'accord de retrait (status of forces agreement) qui donnait trois ans aux Américains pour organiser le départ de leurs troupes du territoire irakien. Et les responsables politiques irakiens n'étaient pas disposés à reculer la date butoir sauf en des termes inacceptables pour les Américains : on voit mal la réaction du Congrès – y compris des législateurs qui souhaitaient maintenir une présence militaire en Irak aussi longtemps qu'en Allemagne et au Japon – si l'administration Obama avait répondu favorablement à la demande de Bagdad de soumettre les soldats américains au système judiciaire irakien.
Tout cela n'a guère laissé d'autre possibilité à l'administration Obama que de retirer les forces américaines – et de s'attirer les critiques. De fait, depuis la fin du retrait, les rivalités régionales n'ont fait que s'exacerber, précipitant une zone encore plus vaste dans le conflit.
Trump et son équipe doivent désormais réfléchir soigneusement à ce qui s'est passé au Moyen-Orient et à ce qu'il conviendrait de faire. Cela demandera non seulement de s'interroger sur les problèmes posés à l'échelle de la région, mais aussi de prendre en considération les politiques bilatérales.
Commençons avec l'exportation du radicalisme sunnite depuis la péninsule Arabique, question complexe dans laquelle l'Arabie saoudite et des États du Golfe sont impliqués. Si les groupes extrémistes reçoivent traditionnellement des fonds de la péninsule, il n'est pas de bonne politique d'accuser les Saoudiens d'entretenir tous les maux du Moyen-Orient, pour les punir en conséquence. Si les États-Unis jouissent aujourd'hui d'une plus grande indépendance énergétique, grâce au pétrole et au gaz de schiste, tel n'est pas le cas de nos alliés européens. Une position plus dure à l'égard de l'Arabie saoudite serait-elle réellement dans l'intérêt de l'Amérique ?
Il n'est pas plus avisé de blâmer les chiites – qui, à bien des égards, sont les victimes– pour les attaques du radicalisme sunnite. L'inflexible Nouri al-Maliki, qui parvint à réaliser trois mandats de Premier ministre en Irak, n'a peut-être pas développé suffisamment l'ouverture envers les sunnites du pays, mais ce n'est qu'une des raisons pour lesquelles le radicalisme sunnite persiste en Irak. L'autre raison tient au fait que certains éléments de la minorité sunnite irakienne refusent d'accepter la condition d'unique population sunnite dans tout le Moyen-Orient arabe contrainte de vivre parmi une majorité chiite.
Puis il y a la Syrie, principal point de concours des dynamiques sociales et politiques complexes de la région. La guerre civile n'est pas seulement imputable à un dictateur sans pitié qui étouffe les aspirations de l'opposition démocratique. C'est à vrai dire un conflit aux multiples visages, où distinguer les « bons » des « méchants » n'est pas une mince prouesse.
Certes, l'État islamique (EI) est l'ennemi numéro un, et Trump le reconnaît déjà comme tel ; il faudra faire preuve, en revanche, pour éliminer l'EI, non seulement de Mossoul mais du monde entier, d'une approche réfléchie, subtile et nuancée. L'équipe chargée de la sécurité nationale qui émerge des consultations de Trump ne semble pas le comprendre.
En outre, la défaite de l'EI ne constitue qu'un premier pas. L'administration Trump devra aussi prendre en compte les acteurs extérieurs impliqués en Syrie. Ainsi lui faudra-t-il concevoir une politique efficace à l'égard de la Turquie, membre de l'Otan, dont les intérêts en Syrie sont puissants – et se heurtent, parfois, à ceux de l'Amérique. Alors que vacille la démocratie turque, et que les dirigeants du pays sont moins préoccupés d'euro-atlantisme que de réaffirmer leurs prérogatives séculaires au Moyen-Orient, les États-Unis vont devoir, là encore, faire preuve de tact dans leur démarche.
Après quoi, il y a l'Iran. Une sortie de l'accord conclu avec l'Iran sur le nucléaire, comme le réclament de nombreux partisans de la nouvelle administration américaine, conduirait-elle à apaiser la crise au Moyen-Orient ? L'Iran ne fait peut-être pas beaucoup pour la recherche de solutions, mais si les États-Unis l'abandonnent, le pays peut facilement ajouter au désordre de la région.
Et comme si cela n'était pas suffisant, les États-Unis devront aussi repenser leur politique à l'égard de l'Égypte, qui, jusqu'à une date récente, a contribué pour une part importante aux efforts diplomatiques dans cette partie du monde. Pour une bonne part, la sécurité d'Israël repose sur l'Égypte, qui soutient le processus de paix avec la Palestine. Aussi délabré qu'apparaisse aujourd'hui ce processus, les limites de sa détérioration sont loin d'être atteintes.
Trump affirme volontiers que son administration sera tournée vers l'intérieur, qu'elle se préoccupera surtout de questions domestiques et de faire passer l'Amérique d'abord dans sa politique étrangère. Mais il ne pourra pas éviter de jouer un rôle au Moyen-Orient. On espère que ce rôle sera constructif.

© Project Syndicate, 2016.
Traduction François Boisivon

L'examen méthodique des politiques menées par le précédent gouvernement constitue l'un des passages obligés de toute transition aux États-Unis. Il s'agit en effet de déterminer quelles politiques doivent être poursuivies, quelles doivent être abandonnées ou modifiées. Tandis qu'approche sa prise de fonction, le président élu, Donald Trump, semble impatient de réaliser de nombreux...

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