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Liban - Tribune

Entre Samir Frangié et Hani Fahs*

Samir Frangié et Hani Fahs sont deux statures différentes au sein d'une seule et même valeur morale. Je me hâte de préciser que j'ai préféré utiliser le mot « moral » plutôt qu'un autre, comme intellectuel, culturel ou politique. Et pour cause : notre condition humaine, en ce moment de crise nationale, régionale et internationale, est désormais liée à la moralité plus qu'à tout autre chose. La paix, dans ce cadre, n'est que le stade le plus élevé de moralité, sa vocation la plus noble.

Il y a près d'un an, Samir Frangié, entouré de ses amis qui venaient de l'introniser président d'un Conseil national qu'il voulut pour tout le Liban, avait pris la parole pour dire : « J'ai entamé ma vie politique depuis plus d'un demi-siècle en brandissant le slogan "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous", et voici qu'aujourd'hui, devant vous, je vous lance l'appel suivant : "Modérés du Liban et du monde, unissez-vous !" »
Un voyage qui a commencé sous la bannière rouge, puis qui s'est stabilisé sous les oripeaux du blanc, ce mélange ravissant de toutes les couleurs, à en croire la physique, mais sans jamais passer par le noir, la non-couleur, toujours selon cette même science.


(Lire aussi : Samir Frangié, défenseur de la paix, à l’honneur une fois de plus)

 

Entre le rouge et le blanc, entre la violence et la paix, Samir a effectué une quête méditative, un voyage au bout de la violence, à la recherche des sources abyssales de cette dernière dans les tréfonds de l'âme humaine en général, et de la société libanaise en particulier. Aussi a-t-il vu ce qu'aucun autre regard n'a su percevoir. Il y a beaucoup appris et a su nous livrer ses enseignements. C'est pourquoi nous l'avons sans cesse retrouvé à l'œuvre, assidu, pour créer cette culture du lien, du consensus et de la réconciliation durant des décennies... et parfois même seul, en terre particulièrement aride et rocailleuse...

Deux mois avant la parution de son ouvrage, un ami qui avait lui-même expérimenté en profondeur les deux violences palestinienne et libanaise, séparément et ensemble, me confiait : « Avant ton arrivée, j'ai fini pour la troisième fois la relecture de ce chef-d'œuvre, qui nous apprend vraiment comment vivre ensemble en paix, différents et égaux. Je pense vraiment qu'il mériterait d'être un manuel unifié d'éducation civique nationale dans vos écoles publiques... si vous n'étiez pas toujours à la recherche – comme nous, les Palestiniens – d'un État pour votre belle nation et pour votre peuple qui le mérite. » Je lui répondis : « Il s'agit en fait d'un voyage au bout de la paix... Nul n'accède à la paix avant d'avoir fait l'expérience, au préalable, d'un déluge de violence. » La violence, aux yeux de notre ami, n'est plus une faute ou un péché simplement. Il s'agit de la forme la plus aiguë d'idiotie, en référence aux propos de Martin Luther King, qui disait que « nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots »...

 

(Pour mémoire : Le prix Hani Fahs, pour perpétuer la pensée modérée face à l’extrémisme)

 

Hani Fahs a pour sa part effectué un voyage similaire au bout des choses : la violence révolutionnaire – toute violence prétend d'ailleurs être révolutionnaire et salutaire –, le radicalisme confessionnel sous ses différents extrêmes, jusqu'à un cosmopolitisme n'accordant pas une grande attention aux patries. Il s'est finalement amarré au dialogue, à la tolérance, la modération, le centrisme et le relativisme... Il s'est ancré au patriotisme libanais, dans le sens de la diversité, du pluralisme et de la différence, qui sont une grâce, si nous savons la gérer par le dialogue permanent et le consensus noble et sans cesse renouvelé. C'est pourquoi la rencontre entre musulmans et chrétiens au cœur d'une église, après son décès, afin de réciter ensemble une prière pour le salut de son âme, qu'il avait lui-même rédigée de sa main, était une forte marque d'espérance.

Concernant les leçons tirées de son périple, Hani Fahs affirme : « Au bout de cette expérience qui s'est prolongée jusqu'à la fin des années 80, j'ai compris en profondeur et de manière définitive que ma place n'est pas ici. J'ai procédé à la lecture de l'accord de Taëf en tant que Constitution et que pacte, et c'est le vivre-ensemble que j'y ai retrouvé comme principe fondamental. C'est là que j'ai trouvé ma place ! J'ai aussitôt commencé à apprendre et à enseigner le langage du dialogue et à en diffuser la culture. J'ai découvert que le lien, le dialogue et le partenariat améliorent la raison, la religion et la morale, et que la modération nécessite un large éventail d'instruments de travail et beaucoup de rationalisme, de religion, de morale et de courage. J'ai également découvert que l'autre différent est une part intégrante de ce qui nous définit, nous le formons comme il nous forme, et que la patrie est formée de tous ses fils et pour tous ses fils... sinon, elle n'est pas. »

 

(Pour mémoire : Hani Fahs, le génie de la modération...)

 

Certains m'accuseront sans doute de confondre Hani Fahs et Samir Frangié, et d'intervertir les propos de chacun des deux. Je reconnais mon embarras et ma confusion les concernant, qui plus est si l'un se détachait des habits de l'imamat et l'autre des apparats du bey... J'ai d'ailleurs fait part de cette confusion à chacun d'eux, séparément, ce qui, du reste, n'a fait qu'aggraver mon cas. Samir m'a d'ailleurs répondu un jour : « Je ne sais plus, dans ce chantier de réflexion commune, s'il faut que j'attribue toutes ces idées à moi-même ou à mes partenaires... » Quant à Hani Fahs, qui, à l'instar de son compagnon, n'a rien fait pour dissiper ma perplexité, c'est sa compagne de ce voyage au bout de la peine et de l'espérance, Nadia Allao, qui m'a secouru, en me transmettant cette formule que lui a confiée son mari au sujet de Samir Frangié : « Je remercie Dieu tous les jours d'avoir placé ce bonhomme sur mon chemin ! »

Je comprends mieux, à présent, comment Samir Frangié a mérité son prix Hani Fahs pour le dialogue, le pluralisme et la paix... voire comment le prix l'a mérité. Je comprends aussi comment une république amie de l'idée de la Méditerranée du vivre-ensemble l'a récemment décoré de la Légion d'honneur, au moment où notre république sombrait dans un profond sommeil, que dis-je, expirait presque sous les débris des petits jeux mesquins des chefs de communauté et des chenapans de la violence sans frontières !

Par Mohammad Hussein CHAMSEDDINE
Écrivain et chercheur

* Allocution prononcée lors de la remise du Prix Hani Fahs à Samir Frangié, jeudi, à l'USJ.

 

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Samir Frangié et Hani Fahs sont deux statures différentes au sein d'une seule et même valeur morale. Je me hâte de préciser que j'ai préféré utiliser le mot « moral » plutôt qu'un autre, comme intellectuel, culturel ou politique. Et pour cause : notre condition humaine, en ce moment de crise nationale, régionale et internationale, est désormais liée à la moralité plus qu'à...

commentaires (2)

Fier de ces libanais du terroir , bon teint et sincère, loin de nous les pièces rapportées avec des conseils qu'on leur souhaiterait de s'appliquer à eux mêmes en Occident à la dérive.

FRIK-A-FRAK

09 h 29, le 03 décembre 2016

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Commentaires (2)

  • Fier de ces libanais du terroir , bon teint et sincère, loin de nous les pièces rapportées avec des conseils qu'on leur souhaiterait de s'appliquer à eux mêmes en Occident à la dérive.

    FRIK-A-FRAK

    09 h 29, le 03 décembre 2016

  • MALHEUREUSEMENT LES GRANDES PERSONNALITES CHIITES A L,APPARTENANCE NATIONALE SONT DEPASSES PAR LES ASSUJETTIS PERSES A L,APPARTENANCE NON NATIONALE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 59, le 03 décembre 2016

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