La ligne diplomatique de François Fillon, qui a remporté dimanche l'investiture présidentielle à droite après une campagne marquée par des prises de position prorusses, promet un tournant qui pourrait toutefois se heurter à la réalité du terrain, estiment diplomates et observateurs.
L'ancien Premier ministre, favori des sondages pour succéder à François Hollande en 2017, sera probablement amené à « nuancer ses positions » en cas de victoire, souligne un diplomate, qui note déjà de légers ajustements dans son discours.
Au nom de la « realpolitik », il plaide depuis plusieurs années en faveur d'un rapprochement avec la Russie et n'a jamais caché sa proximité avec Vladimir Poutine, tout en récusant toute « amitié » avec le chef du Kremlin qu'il a côtoyé entre 2008 et 2012, quand tous les deux étaient Premiers ministres. Dans le programme du candidat de la droite, qui se décrit comme « souverainiste » et « patriote » et se pose en défenseur des valeurs chrétiennes, la coopération avec Moscou en Syrie, où l'aviation russe appuie les forces du régime de Bachar el-Assad – dont Paris demande le départ –, figure en bonne place et a donné lieu à de vifs échanges avec Alain Juppé.
Ce rapprochement, qui constituerait une rupture avec la ligne de Paris qui accuse Moscou de crimes de guerre à Alep, manque de réalisme, estime Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). « Nous n'avons ni les mêmes méthodes ni les mêmes objectifs que la Russie en Syrie », dit-il à Reuters. « L'objectif de la Russie, c'est de préserver le régime syrien, ce qui explique d'ailleurs que seulement à peu près 10 % des frappes russes depuis le début de leur intervention touchent Daech (acronyme arabe de l'État islamique). » « Nous n'avons pas non plus les mêmes méthodes puisque celle de la Russie c'est "on écrase et Dieu reconnaîtra les siens" », ajoute-t-il, citant le cas des quartiers est d'Alep où plusieurs milliers de civils ont été tués par les bombes russo-syriennes.
Opposition syrienne fragilisée
Par ailleurs, souligne le chercheur, le dialogue n'a jamais été véritablement rompu entre Paris et Moscou qui se parlent « quasiment tous les jours ». « La dernière fois que la France a voulu aborder le sujet de la Syrie de manière approfondie avec Vladimir Poutine, c'est ce dernier qui a annulé sa venue à Paris, il ne faut pas inverser les responsabilités », dit-il, dans une allusion aux crispations diplomatiques survenues en octobre.
Au-delà d'une coopération avec Moscou, François Fillon juge indispensable de discuter avec Bachar el-Assad, qu'il voit comme un rempart contre le « terrorisme islamique », pour protéger les chrétiens d'Orient. Face à l'impasse des négociations de paix intersyriennes, il appelle à la réouverture « au moins d'un poste diplomatique » pour avoir un « canal de discussions avec le régime syrien ». L'ambassade de France à Damas avait été fermée en 2012 sous la présidence de Nicolas Sarkozy face à la répression de manifestations orchestrée par Bachar el-Assad.
« Il n'y a que deux façons d'arrêter cette guerre : ou bien une intervention massive des Occidentaux en Syrie, personne ne pense qu'on pourra le faire ; ou alors il faut trouver un accord, a indiqué François Fillon récemment sur TF1. Si vous voulez trouver un accord, il faut parler avec tous les gens qui sont sur le terrain, à l'exception de l'État islamique. Moi je propose qu'on parle avec ceux qui ont les moyens d'arrêter ce massacre. »
Cette ligne, qui vise à sortir de l'impasse diplomatique, a-t-elle une chance d'être entendue ? Un diplomate relativise. Trois ans après la volte-face américaine qui avait suspendu une opération militaire annoncée comme imminente contre le régime syrien, la France n'a pas la capacité à elle seule d'influer sur le cours des choses en Syrie, estime-t-il. « Avec le président élu américain Donald Trump qui s'engage également dans cette voie (d'un rapprochement avec Moscou), je ne suis pas certain que nous aurons beaucoup de prise sur ce qui va se passer », dit ce diplomate.
Il n'empêche que « tout signal diplomatique vers Damas contribuerait à désespérer encore un peu plus les sunnites syriens et donc à les pousser dans les bras de Daech », estime Bruno Tertrais, qui met en garde contre une « stratégie contre-productive ».
Inquiétudes européennes
Un rapprochement avec Moscou pourrait également avoir un impact sur les relations entre la France et les pays de l'est de l'Union européenne, inquiets des manœuvres militaires russes depuis l'annexion – non reconnue par la communauté internationale – de la Crimée par Moscou en mars 2014.
Quel avenir pour les mesures de « réassurance » mises en place par l'Otan, auxquelles la France contribue et qui sont perçues d'un mauvais œil par Moscou ? Comment réagiraient la Pologne ou les pays baltes si, comme le souhaite François Fillon, les sanctions adoptées contre Moscou sont levées ?
« La rupture de la solidarité européenne sur ces questions contribuerait à créer une division en Europe, ce qui satisferait la Russie, et à faire se gripper le moteur franco-allemand », souligne Bruno Tertrais.
L'avenir de la relation franco-allemande pourrait également pâtir des positions prises par François Fillon en matière de gestion des flux de migrants et sur l'Union européenne, pour laquelle il est sur une ligne souverainiste. Car si Berlin regarde d'un bon œil le programme économique de l'ex-Premier ministre, à l'exception du ralentissement du rythme de réduction des déficits, son appel à renforcer le contrôle aux frontières se rapproche plus des positions hongroise et polonaise qu'allemande.
Reste à savoir si les positions défendues par François Fillon pendant la campagne survivront à un exercice du pouvoir.
Ces positions sont aujourd'hui « un argument de campagne » qui peut lui permettre d'attirer des électeurs hésitant entre le Front national et Les Républicains et de se démarquer du PS, a estimé Cyrille Bret, maître de conférences à Sciences Po, dans une récente tribune. « Des arguments de campagne à la conduite d'une politique étrangère, il y a loin », a-t-il ajouté, émettant des doutes sur la volonté même de la Russie de voir aboutir un rapprochement avec Paris. « Paradoxalement, les sanctions européennes et le contre-embargo russe raffermissent la popularité du président » Poutine.
(Marine PENNETIER et John IRISH/Reuters)