Rechercher
Rechercher

Lifestyle - La mode

De Milia Maroun à Milia M., histoire d’un voyage sur la planète mode

Pionnière de la « nouvelle couture » libanaise dans les années 90, Milia Maroun, qui crée sous le label Milia M., ferme sa boutique à Beyrouth pour mieux repenser sa démarche. Voici ses réponses à nos questions et à celles de la mode dans un monde déboussolé.

Milia Maroun, alias Milia M. Photo DR

Tout au long des années 90, le paysage libanais de la mode se reconstruit après une longue et frustrante déconnection des tendances mondiales. Il se limite encore à quelques marques importées et, surtout, à un luxueux artisanat soutenu par une riche clientèle arabe qui y trouve une meilleure réponse à ses attentes que celle proposée par le marché occidental. Entre les deux, émerge une génération de jeunes créateurs formés en Europe, nostalgiques de leurs racines culturelles et avides d'intégrer leur identité dans la mouvance mondiale. À l'heure de mettre la clé de sa boutique de Saifi Village sous la porte, Milia Maroun qui reste, avec Rabih Kayrouz, le chef de file de cette « nouvelle couture » libanaise, raconte à L'Orient-Le Jour l'évolution de sa marque vers une nouvelle démarche.

À quel moment s'est confirmée votre passion pour la mode ?
Dans les années 80, j'admirais beaucoup la manière dont s'habillait ma mère. Elle était toujours à l'avant-garde et dégageait une aura de femme forte. Pour ma part, à 7 ou 8 ans, j'étais déjà très soucieuse, jusqu'à l'obsession d'ailleurs, de préparer mes tenues pour l'école de manière à me démarquer. Le vêtement avait une place centrale dans mon quotidien. Il ne s'agissait pas de mode. Je n'étais pas vraiment consciente de ce que c'était. Évidemment, quand je m'y suis immergée, durant mes années d'études à Esmod Paris, c'était déjà très clair.
Quels sont les créateurs dont le style vous attirait au départ, quels sont ceux qui vous inspirent aujourd'hui ?
Au début des années 90, quand j'étais bien partie pour faire mes études dans la mode, les Japonais et les Belges étaient sous le feu de la rampe. Ils créaient le changement avec une nouvelle perception de la femme. On passait de la femme sexy en fourreau, style Dynasty, à une femme plus intellectuelle, fluide et sensible. J'étais fascinée par Dolce et Gabbana à leurs débuts, Jean-Paul Gaultier, Romeo Gigli, Yohji Yamamoto. On travaillait de nouvelles textures, le Lycra, le jersey. Aujourd'hui, je suis toujours fan de certains Japonais, comme Yunya Watanabe, qui, à part leur génie de la coupe, n'en finissent pas de surprendre par leur modernité. J'admire aussi Raf Simons, étonnamment versatile et toujours moderne.

À qui pensiez-vous en créant une pièce ou une collection ? À qui pensez-vous aujourd'hui ?
La silhouette et l'attitude de la femme Chanel des années 30. Cette femme m'inspirera jusqu'au bout. Elle incarne dans son attitude la modernité suprême. C'est une femme souple, émancipée et d'une extrême féminité. Quelle que soit l'époque, la femme Chanel des années 30 reste actuelle par son intemporalité.

Quel est le maître qui vous a le plus influencée au cours de vos études ? Que vous en reste-t-il ?
Isabelle, mon professeur de technique. Ses conseils résonnent encore en moi quand je travaille. Sinon, indéniablement, Jean-Paul Gaultier. Les pièces que je possède de lui sont jusqu'à présent une école. De toute manière, toute formation est l'apprentissage d'un langage qui va nous aider à lire ce que nous percevons, à écrire ce que nous pensons et sentons. Cela reste pour la vie. Tout le reste est expérience.

Qu'est-ce qui a changé dans le comportement et le goût des clientes depuis vos débuts ?
Au niveau des goûts, peu de choses ont changé. En revanche, c'est leur attitude au moment de l'acquisition qui a changé. Avant, elles étaient probablement plus réfléchies, mais aussi plus fidèles. Aujourd'hui, elles sont dans l'immédiat, dans la surconsommation et aussi la « starification ». À mes débuts, elles regardaient longuement, touchaient, rêvaient. Aujourd'hui, elles regardent le label, le prix, et pensent avant tout à se montrer. Elles ont de moins en moins le sens de l'intime. Le rêve a moins de place dans leur démarche. C'est l'ère des réseaux sociaux. Heureusement, il y a parallèlement une prise de conscience qui nous ramène à l'essentiel.

Si vous n'aviez pas travaillé dans la mode, quelle aurait été votre « autre » option ?
L'architecture, la sculpture. Aujourd'hui, avec ce que je sais ou ne sais pas faire, j'ai toute une liste de domaines qui me passionnent.

Avec Rabih Kayrouz, dans les années 90, vous incarniez la « nouvelle couture » libanaise. Quelle était votre marque de fabrique? À quoi se reconnaissait votre patte ?
Quel était votre message ?
Nous nous sommes installés très vite, il est vrai. En même temps, il se passait encore très peu de choses dans un pays qui se relevait de la guerre. Je ne dirais pas que c'était facile, mais la place était à prendre. Personnellement, je me suis démarquée tout de suite par mon choix de faire du prêt-à-porter de créateur. Cette démarche était inexistante au Liban, jusqu'à récemment. Ma patte, c'était surtout une certaine pureté, un minimalisme du style. Mes collections apportaient un vent nouveau qui faisait un pied de nez au bling-bling ambiant de l'époque. Ma passion pour la maille a été déterminante. Elle a porté mes collections 15 ans durant. Mes clientes en demandent toujours. Notre message, je pense, était surtout ce souffle de jeunesse, ce coup de pied dans la fourmilière qui a contribué à dépoussiérer un paysage encore archaïque, coincé dans le système des années 70.

Vous avez sans doute fait une différence, introduit une influence auprès des jeunes créateurs libanais d'aujourd'hui. Comment la définissez-vous ?
Avec le recul, je me rends compte effectivement que mes choix ont été des inspirations. Pour pouvoir faire mon travail, il me fallait créer un système qui n'existait pas. Nous n'étions plus dans l'artisanat. Tout en gardant un côté précieux et une attention particulière à chaque pièce, il fallait trouver un moyen de systématiser le savoir-faire, le standardiser sans priver le vêtement de son âme. Tout était dans le détail. Il fallait former des personnes, une main-d'œuvre. Petit à petit, un chemin s'est ouvert. Une façon de faire s'est établie qui continue à aider, inspirer et soutenir la génération de créateurs d'aujourd'hui.

La fermeture de votre boutique à Saifi Village est-elle uniquement due à la conjoncture économique locale ou à tout un ensemble de facteurs différents ?
Mon choix de fermer cette boutique relève de plus d'une question auxquelles je n'ai pas toutes les réponses. La conjoncture économique libanaise, difficile depuis plusieurs années, n'en est pas la principale raison. Ma décision s'est imposée au bout d'une longue réflexion. Mon incompréhension et mon ressentiment grandissaient envers un système de la mode qui se cherche. Un système archaïque dans un monde connecté. L'équilibre est perdu. La réponse et l'adaptation à ce changement sont une éternelle bataille. Le processus créatif n'en est plus un. On travaille à une vitesse inouïe pour essayer de répondre à une attente qui, elle, ne nous attend plus. Il me fallait trouver ma réponse et mon propre équilibre dans un marché déboussolé.

Quelle va être votre prochaine démarche ?
En racontant l'histoire d'un produit, la Kimabaya, j'espère faire basculer la balance en ma faveur. Ne plus être victime de cette course effrénée, de prendre le temps de penser, sentir, composer, rencontrer, présenter et non me représenter. Mon autre projet de monoproduit, des hauts signature, passera quant à lui par le e-commerce. Ce sera ma réponse à la démocratisation du vêtement par le biais d'une pièce populaire que je souhaite traiter comme un archétype. Le e-commerce est le meilleur moyen de diffuser cet article, mais il ne remplacera en rien la vente organique. À travers ces deux approches différentes, je raconte deux histoires, l'une basée sur la standardisation démocratique et l'autre sur l'exclusivité, le toucher, l'émotion.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes créateurs libanais sur la manière d'être en phase avec leur époque ?
Il y a un chemin inévitable à parcourir pour se définir par rapport à son public. Une fois cette relation ancrée, il faut se donner les moyens de questionner l'ordre établi. Qu'est-ce qui s'impose ? Qu'est-ce qui peut ou doit être changé ? Il y a toujours un prix à payer pour cela, mais je fais partie de ceux qui croient que le voyage est plus inspirant que la destination finale.

 

Lire aussi

Nouveau chapitre pour Milia M.

Kimbaya, entre Japon et Liban

Tout au long des années 90, le paysage libanais de la mode se reconstruit après une longue et frustrante déconnection des tendances mondiales. Il se limite encore à quelques marques importées et, surtout, à un luxueux artisanat soutenu par une riche clientèle arabe qui y trouve une meilleure réponse à ses attentes que celle proposée par le marché occidental. Entre les deux, émerge une...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut