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Diaspora - Société

La transmettre, l’oublier : que reste-t-il de notre langue d’origine aux États-Unis ?

Au pays de l'Oncle Sam, continuer à chuchoter en arabe est un défi journalier. Alors que pour certains émigrés libanais abandonner sa langue d'origine est le prix à payer pour mieux s'intégrer, pour d'autres, la transmettre est un besoin.

Les cours de langue arabe, recherchés par certains, sont boudés par d’autres. Photos fournies par Pauline Karroum

« Quelle langue peut mieux que la langue maternelle saisir les chuchotements subtils de nos confessions inaudibles? » Le chercheur Abdelkader Benarb avait posé la question dans la revue Pensée plurielle datant de 2012 (n° 29). Quatre ans plus tard, elle reste d'actualité.
Plus de 1,7 million de Libanais vivent en Amérique du Nord selon le Moise Khayrallah Center for Lebanese Diaspora Studies. Répartis un peu partout aux États-Unis, les immigrés tentent de maintenir leur culture vivante. Ils fondent des associations, créent des restaurants libanais et organisent des événements culturels et sociaux afin de mieux se regrouper. La question se pose cependant concernant le maintien de la langue arabe. Qui continue à parler arabe ? Qui la laisse tomber et pour quelles raisons ?

Une appartenance identitaire
Notre enquête débute en Caroline du Nord. Plus de 11 500 immigrants d'origine libanaise résident aujourd'hui dans cet État décrit autrefois par des explorateurs anglais comme la « plus belle terre sous le ciel ». Amanda Eads, chercheuse en sociolinguistique auprès de la North Carolina University, a travaillé longuement sur la communauté libano-américaine. Ses entretiens lui ont permis d'aboutir à plusieurs constats intéressants.
« La grande majorité des Libanais qui ont immigré aux États-Unis au début du XXe siècle ont tenu à adopter le mode de vie américain. Ainsi, pour une raison ou une autre, ils n'ont pas enseigné leur langue à leurs enfants. Certes, entre eux, les membres d'une même famille parlaient parfois en arabe. Mais ils encourageaient leurs enfants à parler l'anglais pour éviter qu'ils aient un accent. Par conséquent, la majorité des troisième, quatrième et cinquième générations ne parle que rarement la langue », explique-t-elle.
« Pour les migrants installés aux États-Unis après 1975, c'est une autre histoire, poursuit la chercheuse. Ce groupe tente de maintenir sa langue vivante. Alors, les deuxième ou troisième générations découlant de ce groupe maîtrisent nettement mieux l'arabe. Pour la transmettre à leurs enfants, ces immigrés utilisent diverses stratégies. D'abord, ils parlent l'arabe à la maison et encouragent leurs enfants à le faire. Ils les poussent aussi à assister à des cours de langue proposés par diverses associations. Plus tard, dans le cadre de leurs études universitaires, ces mêmes jeunes apprennent à bien lire et à écrire l'arabe. »
Dans ses entretiens, Amanda Eads a donné la parole à 47 participants nés entre 1930 et 2000. Elle s'est rendu compte que ceux qui ne parlaient pas le libanais s'identifient plus comme « Américains ». Ainsi, note la chercheuse, « il existe une relation claire entre le fait de se sentir libanais et bien maîtriser l'arabe. Tous les participants qui s'identifient comme que Libanais parlent la langue couramment ». C'est donc pour encourager leurs enfants à s'identifier davantage comme Libanais que certains immigrants tiennent absolument à leur transmettre la langue. Le témoignage de cette mère de famille le confirme : « Quand je vois mon enfant me répondre facilement en libanais, se sentir chez lui au Liban, j'ai l'impression d'avoir gagné mon pari. »

Quid des petites villes ?
Cette fierté, certains l'éprouvent également lorsque leurs concitoyens américains chantent les louanges de la langue arabe. C'est ce qui s'est passé au sein d'une association enseignant l'arabe à Atlanta. Une Américaine cinquantenaire, qui n'a aucune attache au Liban, donne son point de vue. Elle est « tombée amoureuse » de la langue et tient à l'apprendre aujourd'hui.
« Si on est fier de là d'où l'on vient, de notre culture, les autres s'en rendent compte, ils nous respectent plus », note à juste titre un membre de cette association, qui a requis l'anonymat. Il ajoute : « La transmission de notre patrimoine culturel et linguistique se fait plutôt facilement. » À Atlanta, une grande ville où les Américains sont habitués à croiser des étrangers, son expérience s'est avérée concluante. Mais le problème se pose dans les petites villes où règne une certaine défiance vis-à-vis des Arabes, de leur langue et de leurs traditions. Dans ce cas, l'immigré libanais décide (souvent) de laisser tomber sa langue maternelle parce qu'il n'a pas envie de dévoiler son origine à tout bout de champ. Il ne veut pas non plus que son enfant subisse des pressions sociales sévères.
« Mes concitoyens décident parfois de changer de nom. Ils boudent les cours d'arabe proposés par des centres culturels et religieux. J'ai l'impression que les choses ne sont pas aussi faciles qu'on le pense », rapporte une immigrée qui a résidé à Buffalo, dans l'État de New York. Elle note également que dans le cas des Libanais, c'est encore plus compliqué et pour cause : « Les nouveaux émigrés sont parfois francophones, dit-elle. Ils ont envie de partager aussi avec les nouvelles générations le français. » Le libanais se trouve ainsi relégué en troisième position... Certains font même le choix d'enseigner seulement la langue de Molière à leurs enfants. « Ils oublient qu'ils ne sont pas français et qu'ils sont en train d'abandonner leur culture d'origine », déplore la présidente d'une association donnant des cours d'arabe en Californie et à Washington D.C.
Les Libanais qui ont fait ce choix ne perçoivent pas les choses sous cet angle. Ce n'est pas du tout un rejet identitaire, assurent-ils. « Nous sommes libanais certes, mais francophones surtout », entend-on souvent.

Pour mémoire, l'apprentissage de l'arabe à Paris : http://www.rjliban.com/orient20110307.pdf

« Quelle langue peut mieux que la langue maternelle saisir les chuchotements subtils de nos confessions inaudibles? » Le chercheur Abdelkader Benarb avait posé la question dans la revue Pensée plurielle datant de 2012 (n° 29). Quatre ans plus tard, elle reste d'actualité.Plus de 1,7 million de Libanais vivent en Amérique du Nord selon le Moise Khayrallah Center for Lebanese Diaspora...