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Liban - Mémoire de la guerre

Quand deux anciens combattants sensibilisent les jeunes aux méfaits de la violence

« Lorsque la guerre s'est terminée, je me suis enfermé dans ma chambre pendant 6 mois. Puis j'ai décidé que j'avais envie de bricoler. J'ai nettoyé les anciennes caisses en bois où on mettait les munitions. J'ai récupéré le bois et je l'ai utilisé pour tapisser le plafond de la maison », confie Ziad Saab, ancien combattant.

Les deux anciens combattants posant hier avec les lycéens. Photo IF Deir el-Qamar

Deux anciens « ennemis » qui se sont peut-être tiré dessus sans le savoir durant la guerre civile, derrière leurs barricades respectives, sillonnent aujourd'hui le Liban ensemble afin de faire comprendre à la jeune génération que la violence n'est pas la solution. Assaad Chaftari et Ziad Saab partent à la rencontre du public, notamment des élèves, depuis 2014, dans le cadre de l'association Fighters for Peace (Combattants pour la paix) et espèrent amener les jeunes à remettre la guerre en question.

« Quand j'étais jeune, je rêvais d'un Liban occidentalisé. J'avais des préjugés contre les musulmans et je ne comprenais pas pourquoi ils collaboraient avec les Palestiniens. J'ai donc décidé de prendre les armes et j'ai rejoint un parti chrétien qui avait une milice », explique Assaad Chaftari, ancien numéro 2 des renseignements des Forces libanaises. Il s'adressait, ainsi que Ziad Saab, à quelque 150 lycéens du Chouf venus les écouter, hier, dans les locaux de l'Institut français de Deir el-Qamar. Organisée par le Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ), en collaboration avec l'ambassade de Suisse au Liban, à l'occasion du 25e anniversaire de la fin de la guerre, la rencontre a été l'occasion pour les anciens combattants de revenir sur leur parcours et leur reconversion.
« À l'époque, je pensais qu'il fallait tuer les autres et protéger les chrétiens. Il suffisait, à mes yeux, d'avoir été dans une milice ennemie pour mourir. J'avais la conscience tranquille », indique M. Chaftari qui a présenté des excuses publiques en 2000, demandant « le pardon à ceux à qui (il a fait) mal et pardonnant à ceux qui (lui ont) fait mal ». Il a même publié un livre en 2015, La vérité même si ma voix tremble (éditions Dergham), où il se livre à un véritable devoir de mémoire.

Ziad Saab, lui, a été responsable de la section militaire du Parti communiste à partir de 1985. La fin de la guerre a été pour lui un choc d'une ampleur considérable dont il est sorti peu à peu. « Lorsque la guerre s'est terminée, je me suis enfermé dans ma chambre pendant 6 mois. Puis, j'ai décidé que j'avais envie de bricoler. J'ai nettoyé les anciennes caisses en bois où on mettait les munitions. J'ai récupéré le bois et je l'ai utilisé pour tapisser le plafond de la maison », confie-t-il à L'Orient-Le Jour. « Ce sont les munitions que vous utilisiez contre nous, pas contre Israël », rétorque Chaftari d'un ton taquin, ce qui fait rire Ziad Saab. Cette scène était impensable il y a 26 ans, lorsque ces combattants n'avaient pas encore eu la force de se détacher du conflit.
Le mea culpa de ces anciens combattants a fait grincer des dents lorsque ces derniers ont admis publiquement leurs erreurs. « Nous avons d'abord été critiqués par nos propres partis. "Qu'est-ce que vous faites ? Ce n'est pas nous qui avons commis des erreurs durant la guerre", nous ont-ils dit », précise M. Saab, avant d'ajouter : « Quasiment aucun parti ayant pris part à la guerre civile n'a été capable de faire son autocritique. »

 

(Lire aussi : La petite histoire de Faouzi Mahfouz et du Tanzim, ou comment les jeunes chrétiens ont commencé à s’armer dans les années 60)

 

Des combattants pour la paix
Saab et Chaftari se sont rencontrés en 2005, alors qu'ils militaient chacun de son côté contre la violence. « Un jour, j'ai été invité à témoigner à l'Université américaine de Beyrouth. J'avais préparé pendant toute la nuit ce que je dirais en réponse à Assaad, qui y était également convié, et ce pour le discréditer. Mais il a pris la parole avant moi et a dit tout ce que je voulais dire moi-même. Je n'avais plus rien à dire. J'étais troublé », souligne M. Saab.
Fighters for Peace naîtra quelques années plus tard, à la suite du 7 mai 2008, lorsque sunnites et chiites se sont affrontés dans Beyrouth, puis en réponse aux affrontements de Bab el-Tebbené et Jabal Mohsen, à Tripoli, en 2012, qui ont fait craindre le pire pour le pays à ces anciens combattants. L'association Fighters for Peace est officiellement créée en 2014, et a rencontré jusqu'à maintenant 6 000 lycéens et étudiants à travers le Liban. « On demande aux lycéens de remettre les choses en question. On n'est pas dans l'illusion qu'on va changer le monde, mais si on peut pousser ne serait-ce que 10 % d'entre eux à se poser des questions, c'est déjà bien », explique Saab.


(Lire aussi : Un Marseillais retrouve enfin la tombe de son père tué à Beyrouth en septembre 1975)

 

« Certains jeunes viennent nous parler de leurs parents. Ils nous disent qu'ils auraient voulu que ces derniers entendent ce que nous avons raconté, qu'ils savent que leurs pères ont combattu mais qu'ils n'en parlent jamais. Ils nous demandent s'ils doivent essayer de changer la mentalité de leurs parents, parce que parler de la guerre est tabou chez eux », confie Chaftari.
Pour Nour Bejjani, de l'ICTJ, « il est important de sensibiliser la jeunesse pour éviter que la guerre ne se répète ». « Nous avons organisé une exposition itinérante sur la guerre avec les élèves afin de les sensibiliser et elle est maintenant ouverte au public à l'Institut français de Deir el-Qamar. Nous avons tous souffert ou perdu des gens, mais notre but est de montrer que la violence ne sert à rien. Il ne faut pas tourner la page avant de l'avoir lue », indique-t-elle.

Concernant les 17 000 disparus de la guerre civile dont le sort est encore inconnu à nos jours, Assaad Chaftari et Ziad Saab estiment que les anciens miliciens seraient prêts à livrer des informations sur ce dossier, à condition de trouver une autorité non libanaise qui puisse garantir leur anonymat et leur sécurité.
« Nous avons suggéré que la Croix-Rouge internationale soit l'organisme qui puisse recueillir ces témoignages. Cette demande est en dehors de son mandat, mais la Croix-Rouge œuvre à faire peut-être une exception pour le Liban », indique M. Saab.
Aujourd'hui, si Ziad Saab et Assaad Chaftari ont un conseil à adresser aux anciens combattants, c'est surtout de ne pas avoir peur d'assumer leurs responsabilités.
« On peut toujours changer et il n'est pas trop tard pour le faire ni pour s'excuser si on en sent le besoin », dit Ziad Saab. « Cessez de glorifier la guerre. Arrêtez de vous cacher derrière des barricades, de parler de vos exploits ou de vous murer dans le silence. Vous pouvez devenir des membres actifs de la société », conclut Assaad Chaftari.

 

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