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Moyen Orient et Monde - États-Unis / Arabie saoudite

Loi 11-Septembre : un levier de pression aux conséquences imprévisibles

Fait significatif nouveau, l'adoption d'une législation, compromettant aussi gravement les intérêts américains, confirmerait une évolution du rapport de force entre administration et Congrès.

Le World Trade Center au moment des attentats du 11 septembre 2001, dans lesquels 19 ressortissants saoudiens étaient impliquées. Stan Honda/AFP

À une majorité écrasante, le Congrès américain a annulé, le 28 septembre dernier, le veto du président américain Barack Obama à une loi autorisant les proches de victimes du 11-Septembre à poursuivre les États impliqués dans le terrorisme. Emboîtant le pas aux sénateurs, la Chambre des représentants a rejeté par 348 voix conte 77 le veto pour bloquer la loi Justice Against Sponsors of Terrorisme Act, une législation qui ne se limite pas spécifiquement aux attentats du 11-Septembre. En cas d'adoption, elle lèverait l'immunité des officiels étrangers et exposerait les États accusés de liens avec le terrorisme aux poursuites devant les tribunaux américains, notamment l'Arabie saoudite, un pays dont des ressortissants étaient impliqués dans les attentats du 11-Septembre.

Au-delà des logiques internes et des considérations électoralistes qui en président l'adoption, cette décision pourrait peser lourd dans l'évolution des relations entre les États-Unis et leurs alliés. D'une part, la grande méfiance que pourrait susciter cette législation risque d'aboutir à l'accentuation des contradictions avec des pays alliés ; d'autre part, c'est une boîte de Pandore qui s'ouvrirait avec la création d'un cadre légal pour exercer des pressions et soutirer des concessions dans des relations internationales. Cette spectaculaire décision est d'autant plus hasardeuse que cette législation est sur la table du Congrès depuis plusieurs années et qu'elle est finalement réactivée dans un contexte où la relation américano-saoudienne connaît des vicissitudes et pourrait déclencher une crise aux effets immédiats.

 

(Lire aussi : Loi sur le 11-Septembre : Riyad pourrait riposter ontre Washington après le vote du Congrès)

 

« Extorsion de fonds »
Quel est le sens politique de cette nouvelle loi en faveur des victimes du 11-Septembre, mais susceptible de compromettre le principe de souveraineté des États ?

Pour l'analyste politique libanais, spécialiste des institutions américaines, Ziad Hafez, il s'agit « d'une extorsion de fonds en bonne et due forme. Elle n'est pas la première et certainement pas la dernière. On se souvient ainsi du gel des avoirs de l'Iran, ou ceux de la Libye, etc. Les 15 ans qui séparent le vote et l'attaque du 11/9 reflètent toutefois la détérioration graduelle des relations entre Riyad et Washington ». Selon lui, le veto d'Obama reflète une inquiétude sur les conséquences de cette loi, qui pourrait décrédibiliser davantage les États-Unis dans leurs relations avec leurs alliés. « L'Arabie saoudite détient près de 700 milliards de dollars en bons du Trésor américain selon certaines estimations plus ou moins crédibles. Pour l'ensemble des avoirs (gouvernement et particuliers), nous sommes dans la fourchette de 2-3 trillions! » La décision a d'ores et déjà entraîné de fermes réactions de la part de Riyad, car si la survie et la pérennité du pouvoir saoudien a largement dépendu du soutien américain, les conséquences d'une telle législation seraient redoutables et pourraient conduire le royaume à la faillite.

« Les États-Unis disposent aujourd'hui d'un levier de pression efficace, qui équivaut à une déclaration de guerre. Ce projet proposé au Congrès depuis quelques années révèle surtout l'absence de vision quant aux implications profondes d'une décision contraire aux intérêts américains. Il n'y a plus de stratégie élaborée et claire, nous sommes face à des politiques contradictoires qui n'affectent pas seulement les relations entre les États-Unis et l'Arabie saoudite, mais aussi celles avec un certain nombre d'autres pays », explique pour sa part Mounir Chafik, expert des questions internationales et stratégiques. Selon lui, l'exacerbation des contradictions serait la conséquence première et fondamentale de la fin du consensus au sein de l'establishment américain sur les grandes orientations stratégiques.

En effet, depuis la victoire de Barack Obama à l'élection présidentielle américaine de 2008, et l'annonce faite d'une réorientation stratégique vers l'Asie du Sud-Est, l'ajustement de la stratégie et de la politique étrangère n'a été que très limitée. La gestion de l'émergence de nouvelles puissances, mettant en péril la suprématie américaine, ne semble pas avoir été une grande réussite. Les États-Unis n'ont pas pu exclure la Russie de la confrontation pour se concentrer sur la Chine, et encore moins renforcer les relations avec des alliés historiques, qui se sont au contraire détériorés, comme en témoigne la très forte tension ressentie dans les relations saoudo-américaines.

 

(Lire aussi : Loi autorisant des poursuites contre Riyad : place au veto d’Obama)

 

Conséquences redoutables
Fait significatif nouveau, l'adoption d'une législation, compromettant aussi gravement les intérêts américains, confirmerait, selon Ziad Hafez, une évolution du rapport de force entre administration et Congrès. L'annulation du veto qui embarrasse profondément l'administration traduit « l'ascendant du Congrès sur la Maison-Blanche. Ce n'est pas pour la seule raison que son occupant est Barack Obama et ce qu'il représente, mais aussi du fait de la structure politique en place où les groupes de pression ont la main haute sur le financement des campagnes des députés et des relations incestueuses émanant du complexe militaro-industriel avec les différents niveaux de l'administration ».

Si cette loi est adoptée, elle pourra constituer un levier de pression politique efficace contre des États alliés qui, loin d'être suivistes, s'autonomisent au point d'entrer en conflit avec les intérêts de politique étrangère américaine. Elle aurait des conséquences redoutables, dont la Maison-Blanche semble avoir compris les risques. Le secrétaire à la Défense, Ashton Carter, a mis en garde les sénateurs non seulement sur le risque d'actions en justice contre les militaires déployés outre-mer, mais aussi sur « le processus d'enquêtes intrusives » dont pourraient faire l'objet les bases américaines dans le monde.

 

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