Lors d'un aparté avec le Premier ministre d'Australie, Malcolm Turnbull, à la faveur d'une réunion de l'Apec (Asia-Pacific Economic Cooperation), Barack Obama se désole de constater que l'Indonésie, un pays où il a vécu de nombreuses années, n'est plus ce qu'il était en raison de la présence envahissante et néfaste, juge-t-il, des prédicateurs envoyés par l'Arabie saoudite. Mais, s'étonne son interlocuteur, les Saoudiens ne sont-ils pas vos amis ? L'intéressé a une crispation des zygomatiques qui se veut un sourire. Puis la réponse fuse : « C'est compliqué. » Ô combien !
À en croire Leon Panetta, qui venait d'être nommé directeur de la CIA, l'orthodoxie politique des États-Unis qui les force à traiter avec certains pays, dont le royaume wahhabite, en alliés irrite au plus haut point le président. Déjà en 2002, s'adressant à Chicago à des manifestants contre la guerre en Irak, il critiquait en ces termes son prédécesseur à la Maison-Blanche : « Vous voulez vous battre, président Bush ? Alors battons-nous pour que nos soi-disant alliés au Proche-Orient – les Saoudiens et les Égyptiens entre autres – cessent d'opprimer leurs peuples, de bâillonner les opposants, de tolérer la corruption et les inégalités. » Toujours cette incompréhension, ce rejet des réalités arabes qui lui fait dire, à propos du bras de fer entre Téhéran et Riyad, que les deux parties devraient apprendre à « partager », à s'installer en quelque sorte dans « une paix froide ». Dans le volumineux essay que lui consacrait le mois dernier, sous la signature de Jeffrey Goldberg, la revue The Atlantic le chef de l'exécutif va jusqu'à qualifier les Saoudiens de « free riders », un terme peu élégant, qui peut se traduire par resquilleurs.
Tel est l'homme qui débarquera aujourd'hui de l'Air Force One en terre arabe pour une mission de « réconciliation », écrit la presse américaine, après des années d'un dialogue de sourds qui risque de déstabiliser, encore plus qu'elle ne l'est, l'ensemble de la région. Il y a trois jours, le chef de la diplomatie saoudienne, Adel al-Joubeir, est allé jusqu'à formuler une menace : « Si les membres du Congrès entérinent un projet de loi qui reconnaîtrait la responsabilité de notre pays dans les attentats du 11-Septembre, nous serons amenés à liquider nos placements (bons du Trésor et autres), soit la bagatelle de 750 milliards de dollars. » La mise en garde, assortie d'un intense lobbying auprès du législatif, n'a pas ému outre mesure les responsables américains qui jugent irréalisable l'opération. Sans doute, mais cela traduit l'état des rapports entre des alliés de soixante-dix ans.
Rapide flash-back. En 1943, les émirs Fayçal et Khaled – qui deviendront plus tard rois, tour à tour, sont invités à la Maison-Blanche par Franklin Delano Roosevelt. Un projet d'accord est conclu à cette occasion, prévoyant une assistance de l'Amérique en matière de sécurité en échange d'un accès des firmes américaines au pétrole saoudien. Le texte est dûment entériné en 1945 (le jour de la Saint-Valentin...) par FDR et le roi Abdel Aziz ben Saoud, à bord de l'USS Quincy arrimé dans le canal de Suez.
On en est loin ces jours-ci.
L'émir Turki ben Fayçal, qui a représenté son pays dans la capitale fédérale et dirigé les services secrets, semble être l'un des rares partenaires du drame politique en cours à faire preuve de réalisme. Au New York Times, il confie, lucide et mesuré : « L'Amérique a changé et nous avons, nous aussi, changé. Il est évident que nous devons procéder à un réalignement, une sorte de réajustement de nos visions. » En d'autres temps, le regretté Foster Dulles aurait parlé d'une « révision déchirante ».
Ce que le gardien des lieux saints de l'islam reproche à ses anciens amis, c'est leur lâchage de Hosni Moubarak quand les flammèches du « printemps arabe » venaient d'atteindre les rives du Nil ; c'est la valse-hésitation qui avait, en 2013, préludé à la volte-face en Syrie quand il s'était agi de bombarder les quelques positions encore aux mains de Bachar el-Assad; c'est le flirt avec l'Iran des mollahs et le désintérêt manifeste à l'égard de tout ce qui touche au monde arabe. On le voit, le contentieux est lourd et inquiétante la quasi-certitude que, décidément, l'actuel président est résolument tourné vers l'Asie.
D'où l'abandon de ce qu'il était convenu d'appeler « la diplomatie du chéquier » au profit d'une ligne de conduite plus musclée, comme au Yémen. On notera à cet égard que les dépenses militaires sont passées l'an dernier à 87,2 milliards de dollars, permettant au royaume de devancer la Russie dans la course à l'armement. Le résultat, au vu de la tournure prise par la guerre contre les houthis, paraît plutôt maigre.
Hormis quelques promesses de nouvelles livraisons de matériel militaire ultrasophistiqué et de la réaffirmation d'un engagement inconditionnel contre une éventuelle agression, on ne voit pas ce que Barack Obama pourrait offrir pour regagner la confiance perdue d'un pays qui fut jadis son interlocuteur privilégié. Quand lui-même – est-il cruel de le rappeler ? – est un interlocuteur en instance de départ.
"Condamné a s'entendre " dites vous ...? alors des fissures profondes dans le contrat de confiance , se profilent à l'horizon ....bon soyons logique Obama est en fin de mandat ...il essaie seulement, d'atténuer le résultat de ses fiascos et ceux de ses prédécesseurs dans la région....
13 h 02, le 20 avril 2016