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À La Une - Conflit

"On aimait Abou Bakr al Baghdadi parce qu'il nous a libérés de l'oppression chiite"

Des détenus de l'EI racontent leur chemin vers le jihad en Irak.

L'ancien boulanger Walid Ismaïl marche avec ses chevilles entravées lors d'une interview avec Reuters dans un complexe de sécurité kurde dans la ville d'Erbil, en Irak, le 28 novembre 2016. REUTERS / Azad Lashkari

Quand les peshmergas kurdes ont commencé à tirer des roquettes sur la maison dans laquelle il se cachait avec d'autres combattants du groupe Etat islamique (EI) dans le nord de l'Irak, Walid Ismaïl dit avoir tenté de convaincre ses compagnons jihadistes de se rendre. Certains lui ont répondu qu'ils préféraient se suicider avec une grenade. Un autre, un Tunisien, a fait exploser sa veste explosive en espérant tuer le plus possible d'assaillants. Au lieu de cela, il a décimé le petit groupe de jihadistes qui était à l'intérieur, tuant cinq d'entre eux et blessant les autres.

Walid Ismaïl, un ancien apprenti boulanger âgé de 20 ans, est le seul à avoir survécu. Lorsque les Kurdes ont commencé à abattre les blessés, il n'a eu la vie sauve que parce qu'il a crié qu'il ne portait pas de bombe. Sur une vidéo visible en ligne, on le voit émerger, l'air terrifié et la main en sang, de la maison dans laquelle il était terré à Bachika, près de Mossoul.

 

(Lire aussi : Recherche jihadistes au milieu des civils fuyant Mossoul)

 

Aujourd'hui, Walid Ismaïl est détenu dans un complexe de haute sécurité à Erbil, au Kurdistan irakien, où les autorités ont exceptionnellement autorisé Reuters à l'interroger, ainsi qu'un autre détenu de l'EI, sous la supervision d'un responsable kurde.

Les deux hommes originaires de Mossoul racontent comment l'EI les a poussés sur le chemin du djihad en alternant promesses et menaces. Tous deux disent que la marginalisation de la communauté sunnite par le gouvernement de Bagdad dirigé par les chiites et par ses forces armées a eu un rôle déterminant.

Leurs témoignages, recueillis séparément et dont Reuters n'a pas pu vérifier l'authenticité, illustrent l'ampleur des divisions confessionnelles qui ont alimenté la deuxième grande insurrection sunnite depuis l'invasion américaine de l'Irak en 2003.

 

"Libérés de l'oppression chiite"
Quand Abou Bakr al Baghdadi a proclamé depuis une mosquée de Mossoul le "califat" sur les territoires contrôlés par l'EI en Irak et en Syrie il y a deux ans, son appel a trouvé un large écho dans la communauté sunnite, assure Walid Ismaïl. "Je croyais en lui. On l'aimait parce qu'il nous a libérés de l'oppression chiite", raconte-t-il.

Lorsqu'ils se sont emparés de Mossoul pendant l'été 2014, les djihadistes ont promis aux habitants de la nourriture et de l'argent, mais aussi la sécurité.

 

(Lire aussi : « Ma fille est morte et mon fils est blessé. Je vais mourir. Je suis brisé »)

 

L'autre prisonnier, Hazem Saleh, dit que ses trois frères avaient été maltraités par l'armée irakienne quelques mois avant l'entrée de l'EI dans la ville. "C'étaient des paysans. Ils (les soldats irakiens) les ont détenus pendant un mois et demi. Ils les ont battus. Ils les ont suspendus par les pieds. Il leur ont brisé les épaules", affirme-t-il.

Le gouvernement de Bagdad a toujours nié les accusations d'exactions contre les civils dont ses forces ont souvent fait l'objet, assurant ne combattre que les "terroristes".

Les deux prisonniers racontent que les motivations des djihadistes varient et que les combattants étrangers adhèrent à une vision radicale de l'islam bien plus fortement que les Irakiens, qui se rallient souvent à l'EI par opportunisme, pour toucher l'argent des kidnappings par exemple, ou parce qu'ils n'ont pas d'autre choix.

 

(lire aussi : L'armée irakienne a tué près de 1.000 jihadistes à Mossoul)

 

Briser puis appâter
Walid Ismaïl dit avoir basculé quand la boulangerie dans laquelle il travaillait a fermé sous la pression de l'EI qui a cessé de lui fournir du gaz, pour pouvoir continuer à subvenir aux besoins de ses six frères et soeurs. "Daech m'a offert 500.000 dinars (environ 400 euros) par mois pour porter une arme et monter la garde dans la rue," explique-t-il.

L'histoire que raconte Hazem Saleh, qui tenait un magasin, est assez similaire, puisque les jihadistes lui ont imposé des taxes exorbitantes avant de lui proposer un salaire généreux pour rejoindre leur cause. "J'ai sept enfants, dont le plus jeune a deux ans. Il fallait bien qu'ils puissent vivre", soupire-t-il. "Il n'y avait plus de travail et une grande pauvreté, c'est ça qui a motivé de nombreuses recrues." Lui dit avoir cédé quand l'EI a menacé d'enrôler son fils de 14 ans à sa place. "Alors j'ai dit adieu à ma famille et je suis parti", conclut-il.

Hazem Saleh, qui s'est aussi rendu aux peshmergas à Bachika, raconte que Daech lui a donné une tenue traditionnelle noire en guise d'uniforme et lui a demandé de rapporter toute activité suspecte, mais sans jamais lui permettre d'approcher les "zones stratégiques" dans lesquelles se cachent les dirigeants de l'organisation qui vivent selon lui dans l'obsession permanente d'être capturés ou tués par une frappe aérienne.

Beaucoup de recrues jihadistes ont vite perdu leurs illusions mais n'osaient pas critiquer leurs chefs de peur d'être jetés en prison, voire pire, dit-il encore.

Aujourd'hui, alors que la bataille de Mossoul fait rage et qu'ils sont sans nouvelle de leurs familles, les deux détenus font de nouveau face à un avenir incertain.

 

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