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Moyen Orient et Monde - Commentaire

La rechute de « l’homme malade »

Des manifestants pro-Erdogan sur la place Taksim. Ozan Kose/AFP

Sur le macadam, des armes, des bardas, des casques abandonnés sur un pont déserté même par les automobiles.

S'il ne devait rester de ce 15 juillet qu'une image, une seule, ce serait bien celle-là, œuvre de l'agence américaine Getty, pitoyable illustration d'une folle et combien absurde équipée appelée, hélas, à avoir un lendemain. À croire que ces apprentis putschistes ont dû lire sans rien en retenir les œuvres des stratèges en la matière, tel Curzio Malaparte, et négliger tout ce que le théoricien de la « Technique du coup d'État » posait comme must. Absence de figure de proue donc, objectifs nébuleux pour ne pas dire inexistants, moyens de communication déficients (on a vu comment Recep Tayyip Erdogan a su, lui, exploiter l'application FaceTime pour rameuter ses partisans), neutralisation de la caste politique, mobilisation des masses... Ce qu'on a vu à l'œuvre, ce vendredi noir, c'est un remake d'une entreprise conduite par des Pieds nickelés au mieux de leur (mé)forme et totalement coupés du peuple.

 

(Lire aussi : Pourquoi les Kurdes n'ont pas soutenu le putsch ?)

 

On aurait aimé, après ces trois heures qui n'auront même pas réussi à ébranler le régime, voir les uns et les autres tirer les leçons qui s'imposent : tourner, d'un côté, le dos au délire sultanesque pour s'atteler à consolider des murs passablement lézardés du fait non point d'une aventure que l'on souhaiterait la dernière mais des multiples errements qui l'ont précédée ; s'engager, d'un autre côté, sur la voie du « zéro problème » tracée il n'y a pas longtemps par un certain Ahmet Davutoglu.

Hélas, rien ne laisse présager de telles « révisions déchirantes ». C'est un président passablement secoué, juché sur le toit d'une voiture, qui a décrété que « ce soulèvement est un don de Dieu qui nous donne l'occasion de nettoyer l'armée ». Une heure plus tard, les imams se voyaient intimer l'ordre de garder ouvertes les portes des quelque 85 000 mosquées du pays pour relayer les appels à une mobilisation de masse en faveur du « sultan ».

Après la mise au pas d'une presse jugée trop impertinente, après la valse des magistrats soupçonnés d'être trop respectueux du code (3 000 d'entre eux renvoyés à leurs chères études durant le week-end), après le coup de semonce à l'adresse de l'administration (suivi tout de même de trop nombreux licenciements, quand ce n'était pas carrément d'emprisonnements), l'heure ne pouvait tarder. Outre le licenciement de 9 000 officiers de police, on a enregistré en quarante-huit heures le limogeage de 6 000 militaires, dont 103 généraux ou amiraux.

 

(Lire aussi : Après le coup d'État manqué, tentatives iraniennes et occidentales de prévenir un retour en force d'Erdogan)

 

En outre, les hélicoptères militaires sont jusqu'à nouvel ordre cloués au sol tandis que les jets de l'armée de l'air sont mobilisés pour le contrôle de l'espace aérien au-dessus de la capitale, Ankara, et de la métropole, Istanbul. Le branle-bas s'annonce vaste, s'agissant d'un corps particulièrement puissant en effectifs, qui représente l'épine dorsale de l'Otan et qui a recommencé depuis il y a quelques mois à croiser le fer avec les indépendantistes kurdes. La tension a atteint un tel degré que les Européens sont intervenus une fois de plus pour appeler, par la voix de Federica Mogherini, à la retenue, à l'instar de Washington qui avait tiré la sonnette d'alarme.

Sur le plan interne, la tournure prise par les événements des trois derniers jours s'annonce favorable pour le chef de l'État. Les Turcs dans leur majorité, et d'une manière notable les Anatoliens dont le soutien n'a jamais faibli, ne veulent plus entendre parler de coups de force sous le fallacieux prétexte de préserver les acquis de Mustafa Kemal, un héros dont il ne reste que des portraits dans les devantures des magasins et aux murs des bureaux de l'administration.

Certes, quoique poussive en ces jours de disette mondiale, la croissance affiche une bonne santé que lui envieraient nombre de pays mais rien n'indique que le temps continuera indéfiniment d'être au beau fixe. Et que l'Union européenne modifiera son attitude, plutôt tiède pour l'heure, face aux tentatives de la Turquie de relancer sa candidature. Et puis, les Européens sont trop occupés présentement, pour cause de Brexit, à recoller les morceaux d'une construction en lambeaux pour consacrer leur attention à une candidature que peu d'entre eux désireraient voir aboutir. D'ailleurs, en décidant de bouder la vieille dame de Bruxelles, Erdogan aura contribué à régler, à tout le moins momentanément, le problème. En l'occultant.

Il restera l'épine représentée par la Syrie où nul ne feint plus de croire à une solution dans un proche avenir – une attitude qui n'était pas sans rappeler, et tout aussi fâcheusement, le dernier quart d'heure cher à Robert Lacoste. Là, le désengagement turc se voudrait évident, après des années d'un soutien sans faille à la guerre contre le pouvoir de Bachar el-Assad. Il en était temps, depuis que se manifeste chaque jour davantage ce qui semble une évidence : la connivence russo-américaine en passe de se concrétiser sur le terrain et qui menaçait de faire apparaître la Turquie comme un acteur condamné à jouer les utilités.

Aux obsèques d'une victime des combats fratricides du week-end, Erdogan a demandé à ses compatriotes de ne pas quitter les places publiques «parce que cette semaine est importante » et parce qu'il ne s'agit pas là d'une affaire de « quelques heures ». Contre les ennemis, les terroristes comme il les appelle, contre les gülénistes surtout, sa bête noire, une chasse effrénée est ouverte. Avec, quand sonnera l'heure de l'hallali, un vainqueur. Vite, son nom.

Blog : « Merville Post »

 

 

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Sur le macadam, des armes, des bardas, des casques abandonnés sur un pont déserté même par les automobiles.
S'il ne devait rester de ce 15 juillet qu'une image, une seule, ce serait bien celle-là, œuvre de l'agence américaine Getty, pitoyable illustration d'une folle et combien absurde équipée appelée, hélas, à avoir un lendemain. À croire que ces apprentis putschistes ont dû lire...

commentaires (3)

UN ARTICLE DIGNE DE CE NOM ! LA CONNIVENCE AMERICANO-RUSSE... QU,UN AUTRE INTERNAUTE ET MOI REPETONS DEPUIS LE DEBUT DE L,INTERVENTION RUSSE EN SYRIE... EST SPECIFIEE CLAIREMENT... MERCI MONSIEUR CHRISTIAN MERVILLE...

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 05, le 19 juillet 2016

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Commentaires (3)

  • UN ARTICLE DIGNE DE CE NOM ! LA CONNIVENCE AMERICANO-RUSSE... QU,UN AUTRE INTERNAUTE ET MOI REPETONS DEPUIS LE DEBUT DE L,INTERVENTION RUSSE EN SYRIE... EST SPECIFIEE CLAIREMENT... MERCI MONSIEUR CHRISTIAN MERVILLE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 05, le 19 juillet 2016

  • Un revenant revient avec son analyse très pointue. Welcome back M. Melville... F. MALAK

    Rotary Beyrouth

    11 h 16, le 19 juillet 2016

  • Devant un article de cette qualité, qui dit tout sans nous donner l'occasion d'y ajouter quelque-chose, le seul reproche qu'on pourrait vous faire Mr Merville c'est que vous n'avez pas le droit de vous faire autant rare .

    FRIK-A-FRAK

    10 h 24, le 19 juillet 2016

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