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Culture - Disparition

La magnanerie de Freykeh orpheline de son patriarche

Mounir Abou Debs est mort à l'âge vénérable de 88 ans, en France, à La Rochelle qu'il a tant aimée et où il a longtemps travaillé. Mais sa terre natale, d'élection et de prédilection reste Freykeh, à deux pas de la demeure d'Amine Rihani. Si l'activisme politique était l'apanage de son voisin essayiste, lui avait la poésie et le théâtre dans le sang. Retour sur un parcours riche, scindé entre deux rives, foudroyé par la guerre, mais toujours debout tel un chêne que nul n'abat.

Mounir Abou Debs restera la figure d’un patriarche du théâtre libanais, barbe blanche et regard pétillant...

Il a régné en monarque héraldique sur l'âge d'or du théâtre libanais, et ce n'est guère par hasard qu'on l'a surnommé, en 1960, le père du théâtre libanais. Une époque qui connaissait alors le répit, la paix, l'opulence et était propice à l'éclosion de nouveaux talents et à la création.
Après des études de beaux-arts à Paris et la fréquentation des cercles d'acteurs autour de la Sorbonne, Beyrouth, vivier de découvertes et société cosmopolite aux personnages interlopes, est une étape d'expérimentation et de succès. Pour un théâtre certes avant-gardiste mais bien perçu jusqu'alors par un public bien pensant. Et c'est la fructueuse collaboration avec le Festival de Baalbeck dans les années 70. De cette union heureuse naîtront des spectacles au grand air qui marqueront les esprits. Dont un chapelet de titres restés dans la mémoire de ceux qui ont connu le temps des pétrodollars : Œdipe, Les rois de Thèbes, Le roi se meurt, Faust...

Innovations audacieuses et mysticisme
Et puis, sans crier gare, virage imprévu chez le metteur en scène et le dramaturge. Rupture, sans éclat précis, avec Baalbeck, pour une route solitaire et inédite. Mounir Abou Debs, au faîte de sa gloire, vire du côté du yoga, de Stanislavski, et harponne le théâtre dit de divertissement ou consumériste. Il s'oppose farouchement aux vaudevilles triomphants et aux tartes à la crème insipides. Et il s'érige en défenseur d'un théâtre singulièrement grave, pointant le doigt sur une spiritualité éthérée, solennel et grandiloquent dans sa simplicité dépouillée. Comme celui de l'Antiquité avec un rôle plus que prépondérant pour l'acteur, pivot et âme de ce qui vibre et vibrionne sous les spots. D'ailleurs, on retient cette formule lapidaire qu'il avait un jour lancée à l'auditoire : « Pas de sens au texte dans le théâtre. L'acteur c'est le théâtre. »

Et c'est la brèche, superbe magie et torrent d'innovations audacieuses, pour une expression nouvelle habitée de mysticisme, de silence, de déclamation, d'emphase à la ponctuation scandée ou psalmodiée, de gestes étudiés et parcimonieux, de chœur, de teintes soufies, de poésie impalpable, chuchotée ou éructée en trombes de lamentations. C'est la période faste d'al-Tawafan (Le déluge) où se marient en grande pompe le Cantique des Cantiques, les psaumes, le sermont sur le mont des Oliviers, le rituel, le cérémonial...

Et le public, envoûté, a largement mordu à cet univers se déployant telle une vision et une fresque, soyeuse et apocalyptique. Grâce surtout au talent d'une kyrielle d'acteurs qui ont trouvé inspiration et puissance créatrice dans le giron du maître de la magnanerie de Freykeh, vaste espace sans décor aucun, balayé par une pénombre éclairée aux chandelles et aux photophores... Une magie et une féerie nouvelles, au-delà du visible, sont nées du talent de l'acteur libéré d'un texte qui le conditionnait et le muselait.
Et on cite, dans ce sillage scintillant, Reda Khoury, Mireille Maalouf (à l'époque on courait pour l'applaudir dans sa lévitation et ses murmures scéniques !), Antoine Kerbage qui ne haussait pas encore le ton jusqu'à écorcher les oreilles comme si le public était atteint de surdité, Joseph Bou Nassar qui ne faisait pas ses minauderies sur petit et grand écran... Dans la même veine, viennent allonger la liste l'œuvre frémissante sur Gebran, l'éblouissant mystère de Jésus, L'heure du loup, Babel...

Quand la guerre a tout éclaboussé et fracassé au sein des frontières libanaises, Mounir Abou Debs, en 1976, s'en est allé à La Rochelle. Et là le travail a pris de la maturité car la navette avec le pays d'origine ne s'est jamais arrêtée. Et le bâton de pèlerin du dramaturge, barbe blanche, regard pétillant, mot juste et béret vissé sur la tête, a agrandi le cercle des amateurs d'un théâtre qui se déploie, incantatoire, grandiose dans sa modestie (on serait presque tenté de dire sa pauvreté !), d'une lenteur de fleuve profond et imposant, tel un retentissant poème gravé sur le mur du vent...

Toutefois, par-delà cette école à la pédagogie particulière fondée pour gainer la pulsion des jeunes acteurs émergents, avec le temps, tout se démode. Ce théâtre reste un beau souvenir dans la mémoire des mordus des planches, même si aujourd'hui, en cette période de tornade et de rapidité hystérisée, il n'a plus les faveurs d'antan. C'est, malgré tout, un moment de grâce intouchable, rédempteur.
En toute abnégation, détermination, ténacité et tout courage, Mounir Abou Debs aura servi le théâtre, pour plus d'un demi-siècle, avec zèle et passion. Il lui a donné le meilleur de lui-même.

Il a régné en monarque héraldique sur l'âge d'or du théâtre libanais, et ce n'est guère par hasard qu'on l'a surnommé, en 1960, le père du théâtre libanais. Une époque qui connaissait alors le répit, la paix, l'opulence et était propice à l'éclosion de nouveaux talents et à la création.Après des études de beaux-arts à Paris et la fréquentation des cercles...

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HOMMAGE A CET AUTEUR EXCEPTIONNEL !

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 54, le 16 juillet 2016

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Commentaires (2)

  • HOMMAGE A CET AUTEUR EXCEPTIONNEL !

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 54, le 16 juillet 2016

  • Inoubliable!!! Il restera à jamais dans la mémoire de son public, qu'il a émerveillé durant un demi-siècle. Son oleuvre défie le temps... Il a droit à tous les éloges et un grand hommage! Que son âme repose en paix!

    Zaarour Beatriz

    13 h 53, le 16 juillet 2016

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