Après un éloignement du Liban de quelques décennies, j'atterris à l'aéroport international de Beyrouth qui, vu du ciel, est un trou béant en forme de U où le tarmac est confiné entre des bâtiments géants perpendiculaires à la mer.
Pour arriver chez moi à Jounieh, il faut deux heures et demie dans l'auto-taxi sans pilote. Les bouchons devenus historiques sont hystériques. Beyrouth n'est plus une ville, son expansion a atteint les confins des autres bourgs. Il n'y a plus de villages et de bourgades dispersés çà et là, toutes les localités qui existaient se sont développées en 2016 jusqu'à se fondre en une seule. Le pays est une seule et unique cité-État, une mégalopole à la dimension du territoire de 11 millions d'habitants. Tous les espaces verts, bois, champs, prés et guérets ont disparu. En l'absence de végétation, les oiseaux ont déserté, la faune et la flore n'existent plus. Les abeilles et leurs ruches ont abandonné le territoire, partout un agglomérat de tours et de gratte-ciel transpercent les nuages.
Dans les rues de Jounieh devenu un bourg de la cité du Kesrouan, les buildings plus hauts que des montagnes tels des tunnels de béton forment des barreaux géants isolants nous écrasant de leurs ombres omniprésentes et froides. Plus de traces du soleil, les tours bloquant l'accès de tout rayon solaire au sol. Plus de vue sur le ciel coupé de notre vue par ces murs gigantesques. Ce pays qu'on disait de miel et de lait n'est plus qu'un amas de bitume, de béton, d'acier, de ferrailles et de vitres en hauteur.
Je retrouve un territoire sur lequel toutes les espèces d'arbres, cèdre, pin, ficus, olivier, cyprès, chêne, figuier, bougainvillier, tremble et bouleau ont été décimées par les bâtisseurs de tours. Et l'on me recommande de visiter un nouveau musée, le musée de l'Arbre.
Là, des spécimens uniques d'arbres fauchés, massacrés par les constructeurs y sont précieusement préservés. Et les nouvelles générations qui n'ont jamais vu d'arbres ni de végétation y viennent pour s'initier aux troncs majestueux, aux ramures, ramées, branches, à la fenaison, à la floraison.
Et on y apprend qu'il existe hors du pays, dans des contrées pas si lointaines, quelque chose qui s'appelle la nature sauvage : des endroits féeriques où des forêts, des espaces verts, des montagnes vierges et des chutes d'eau forment un territoire fertile imprégné de soleil et d'espaces ombragés sous les arbres et leurs ramures, des jardins naturels de verdures, de plantes et de fleurs jalonnés de rivières, de lacs et de cataractes où il fait bon vivre et se laisser vivre, où l'on ressent au plus profond de notre être un sentiment d'appartenance et d'harmonie avec dame Nature qui nous prodigue l'air, l'eau et tous nos moyens de subsistance.
Il paraît que les Libanais d'aujourd'hui ignorent que la nature féerique était là, sur leur terre même du Liban où leurs aïeuls étaient nés et avaient vécu, que le Liban était une magnifique forêt de pinèdes, de guérets et de plantes où d'abondantes rivières coulaient entre vallons et vallées, un Liban qui devait son nom aux cèdres majestueux et millénaires tellement cet arbre s'associait au pays et qui ont disparu.
Mon retour au Liban eut lieu en 2060.
Dounia MANSOUR ABDELNOUR
Londres, Royaume-Uni
RETOUR ET FUTUR NE VONT PAS ENSEMBLE ! RETOUR AU PASSE... OU PLONGEE OU FUITE DANS LE FUTUR...
13 h 48, le 13 juillet 2016