Brusquement, l'accord sur le dossier du pétrole a été conclu entre le président de la Chambre Nabih Berry et le ministre des Affaires étrangères et chef du CPL Gebran Bassil. Pour certains, il s'agit de l'une des concrétisations du fameux « miracle libanais ». Mais, pour d'autres, ce soudain accord après des années de divergences profondes serait dû aux pressions occidentales, et plus précisément américaines. Les partisans de cette thèse rapportent que depuis quelque temps déjà, l'administration US est intéressée par le dossier des ressources pétrolières et gazières dans la région. L'émissaire spécial américain chargé de ce dossier, Amos Hochstein, a effectué plusieurs visites au Liban dans ce but, sans réussir à convaincre les parties libanaises de s'entendre sur ce dossier.
Les principales divergences opposaient le camp du président de la Chambre Nabih Berry à celui du chef du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme Michel Aoun. Les divergences portaient essentiellement sur le point suivant : faut-il lancer un appel d'offres pour les dix blocs des eaux territoriales libanaises ou commencer à donner des adjudications au fur et à mesure, sachant qu'il y a une zone de 850 km² qui reste litigieuse, car elle est revendiquée par les Israéliens alors que le Liban estime qu'elle est sous sa propre souveraineté ? En tenant compte de ce conflit sur la souveraineté des 850 km², soupçonnés d'abriter des gisements pétroliers et gaziers importants, le ministre des Affaires étrangères était convaincu de lancer les appels d'offres au fur et à mesure, en commençant par le nord du pays pour finir avec les trois blocs des eaux au large des côtes sud du Liban.
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Gebran Bassil voulait ainsi éviter un conflit ouvert avec les Israéliens et laisser la question des 850 km² en suspens, en attendant un règlement plus général. En même temps, il estimait qu'une fois l'adjudication du premier bloc accordée, les prix des autres devraient monter et qu'il était donc préférable, même sur le plan économique, de ne pas lancer les adjudications d'un seul coup. Nabih Berry pensait au contraire qu'il serait préférable de lancer les adjudications en même temps, d'abord pour ne pas faire d'exclusion et ensuite parce que le fait de laisser les blocs du Sud pour la fin est une façon indirecte de confirmer le sérieux des revendications israéliennes.
Cette divergence de fond semblait impossible à surmonter... jusqu'à ce que les Américains s'en mêlent sérieusement. Selon des sources occidentales, la raison qui aurait poussé Washington à presser les Libanais à s'entendre serait la suivante : les Israéliens auraient des problèmes techniques à exporter leur gaz vers l'Europe via Chypre. Ils auraient donc besoin d'utiliser la ligne maritime passant par la Turquie. Pour cela, ils seraient obligés de passer devant les côtes libanaises. Mais pour que cela soit possible, il faut un minimum de stabilité qui ne peut être assuré que si le Liban est dans le coup et exploite lui aussi ses ressources gazières et pétrolières. C'est d'autant plus important que le Hezbollah, par la voix de son secrétaire général, a annoncé à plusieurs reprises son intention de protéger les ressources énergétiques du Liban, en menaçant de bombarder les installations israéliennes si elles s'approchaient des eaux territoriales libanaises. Le fait que des voix libanaises se soient insurgées contre ces menaces, critiquant le fait que le Hezbollah se soit arrogé la fonction de protecteur des ressources libanaises, ne suffit pas à calmer les inquiétudes des grandes sociétés de prospection et d'exploitation des ressources énergétiques, qui ont besoin de stabilité réelle pour accomplir leur travail et investir dans ce secteur.
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Selon les mêmes sources occidentales, les Américains en auraient parlé avec les Russes qui sont aussi intéressés à avoir leur part dans les adjudications au Liban et en Syrie, d'autant que les Russes ont aussi de bonnes relations avec les Israéliens, qui ont, à leur tour, rétabli leurs relations avec la Turquie. L'accord régional et international a donc commencé à prendre forme, à travers un partage plus ou moins équitable des zones d'influence entre les grandes sociétés américaines et russes avec l'aval des protagonistes, qui, au final, ne peuvent pas s'opposer à un tel montage à l'échelle internationale.
C'est dans ce contexte que les Libanais auraient donc été pressés de s'entendre et qu'une formule de compromis a été trouvée dans l'adjudication de 5 blocs sur dix, dont les trois du Sud (les blocs 8, 9, et 10) et deux au Nord, avec une possibilité, si les protestations internes sont sérieuses, de changer le partage entre deux blocs au Sud et trois au Nord. De fait, des voix internes ont commencé à se faire entendre critiquant l'accord conclu et dénonçant « un partage des parts » entre le mouvement Amal et le CPL. Mais la réalité est autre. Les Américains et les Russes auraient donc fait pression sur les deux parties libanaises pour qu'elles surmontent leurs divergences et facilitent le lancement du processus, qui devrait se concrétiser au cours de la prochaine réunion du gouvernement. Les milieux proches du Premier ministre estiment que les critiques formulées à la suite de cet accord par certaines parties politiques ne portent pas sur le fond et peuvent être traitées, sachant que les Libanais ont tout intérêt à ce que ce secteur fonctionne.
La question qui continue toutefois de se poser est la suivante : cet accord sur le dossier pétrolier est-il un prélude à d'autres accords, notamment sur la présidentielle ? Certains milieux politiques sont convaincus qu'à l'image de l'accord sur le dossier pétrolier conclu à la surprise générale, sans préambule, la présidentielle pourrait suivre le même chemin, le moment venu...
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14 h 04, le 09 juillet 2016