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Lifestyle - Photo-roman

Calippo, flotteurs et écran total...

Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, un photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c'est selon...

Photo Carla Henoud

Nous avons un vilain plaisir à s'inscrire en faux contre nos plages locales qui ne sont plus qu'un souvenir de ce qu'elles étaient, nous éloignant davantage de ces étés d'un passé mordoré que plus personne ne semble regretter. On s'égosille aussi à crier haro sur ceux qui les peuplent: des silhouettes braillardes et brillantes de gazelles à peaux de guépard, des lézards à cigares qui époussettent leurs cendres sur des bides bien graissés. Cela posé, il faut bien avouer que pour un enfant, les vacances à la mer se vivront pour toujours en échappée(s) belle(s), en rêveries fantasmées. Il suffit donc d'en observer un galopant, avec un seau au bras et un cornet glacé à la main, pour ranimer la marée haute de nos cœurs, et renouer, intacts, avec des moments d'une enfance qu'on croyait fanée.

Bouée dégonflée
Les journées de plage commençaient par ces matins qui aimantaient à parité la joie comme le supplice. D'abord, le bonheur ébloui de retrouver toute une panoplie aux relents d'iode et de chlore: une bouée dégonflée à l'effigie du superhéros de l'été dernier, un râteau élimé et édenté, un maillot de bain délavé et désormais trop étroit, chose qui nous valait souvent un «Tu prendras celui de ton frère!». Et puis un tube d'écran total qui rend l'âme dans des crachats de sable brun. À propos de protection solaire, les mamans plus blanches que blanches affirmaient: «À trop bouillir, le soleil pourrait finir par punir», histoire de nous apprêter au calvaire de se tartiner à la crème SPF, résolues à faire la peau à celui qui nous la tanne. Pétrir nos joues chewing-gum, malaxer nos peaux pâte à modeler, il fallait absolument se fourguer derrière un masque de craie pour s'éviter une peau de homard en éruption.
Soit. À l'arrière de la voiture qui perçait l'autoroute trempée d'un bleu lagon, pratiquement pendus aux fenêtres, on jouait à se décoiffer aux mains du tendre vent qui vient rafraîchir les étés bitumés. Belle mer, beau temps, vacances. On ne voyait rien d'autre que ça sur la route qui menait vers des mers encore vierges, sinon les vendeurs de flotteurs et bouées qui fleurissaient le long du trajet sous des bicoques de paille. C'était avant que ne surgissent tous ces resorts façon Ibiza que des grues hurleuses grignotent laborieusement et péniblement.

Papillons de mer
Arrivés à destination, on sautait à pieds joints les quelques marches qui nous séparaient de la Méditerranée. Et là, les épaules croulaient sous l'immensité du grand bleu et le volume de ces flotteurs qui nous donnaient des airs de papillons de mer tétanisés par l'inconnu cobalt. Pour gagner du temps et du terrain, on disait: «Descends avant moi!», «Non, toi avant!», «Est-ce qu'elle est froide?». Sauf qu'il y avait toujours là, au garde-à-vous, le cousin acnéique et antipathique pour nous pousser à l'eau alors qu'on y était encore à s'asperger la nuque en chat apeuré. Puis, malgré les lèvres violacées, mâchoire qui claque, nez qui coule et larmes qu'on contient, il restait quand même la satisfaction du pensum achevé, doublée d'une fougue à aller se perdre là où la terre n'est faite que d'écume. Et ce n'est qu'à l'heure du déjeuner que l'on en ressortait, dégoulinants, la tignasse trempée et la pupille rougie d'avoir fait la course à des crabes fuyards ou des poissons sprinteurs.

Nos châteaux de sable
Manger avec les mains, marcher pieds nus ou sinon avec des méduses, ces petits chaussons de plage en PVC tressé qui nous évitaient de se piquer aux oursins qu'on nous envoyait cueillir, qu'on ouvrait avec des couteaux rouillés et qu'on arrosait de citron. Une fois le repas terminé, on s'en allait observer sur la pointe des pieds le frigo de glace en s'assurant de faire le bon choix car «chacun n'a droit qu'à une!» Et c'était le plus souvent Calippo ou Twister qu'on emportait avec nous dans les bacs à sable où l'on couchait le soleil de ces fins d'après-midi. Ce moment favori parce que les familles ont plié les parasols, que le roussi des joues se révèle enfin, que les maîtres nageurs au torse pain d'épice décapsulent finalement leurs bières, que les vagues s'apaisent. Et qu'on les observe emporter les châteaux de sable qu'on avait passé la journée à ériger.
Mais sans rancune aucune. Plutôt avec l'espoir de revenir demain et d'en construire d'autres, de plus grands, de plus beaux.


Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, un photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c'est selon...

 

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