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Aux sources de la terreur

Dix petites secondes : c'est le temps d'antenne que plus d'un journal télévisé occidental consacrait, lundi, aux suites de l'effroyable attentat au camion piégé qui, la veille, avait dévasté le quartier commercial de Karrada, situé en plein centre de Bagdad et massivement peuplé de chiites. Le monde serait-il donc trop absorbé par ses propres angoisses sécuritaires pour s'encombrer des malheurs s'abattant au loin ?

Ne serait-ce que d'un point de vue purement arithmétique pourtant, l'affaire aurait bien mérité, de la part de ces présentateurs, une ou deux observations de plus. Cela, par exemple, pour s'effarer de l'épouvantable ampleur du bilan, même pour un pays où l'horreur est aussi quotidienne que l'infortuné Irak : 213 morts et plus de deux cents blessés, sans compter la trentaine de personnes disparues, soit qu'elles aient été volatilisées par la gigantesque explosion, soit qu'elles gisaient encore sous les décombres.

Les survivants méritaient bien, eux aussi, quelque marque d'intérêt quand, criant tout à la fois leur douleur et leur colère, ils abreuvaient de malédictions (et, à l'occasion, arrosaient de cailloux) leurs dirigeants aussi incapables que corrompus. Le Premier ministre irakien est fortement soupçonné en effet de s'être acoquiné avec un escroc britannique pour doter son pays, à grand prix, de détecteurs d'explosifs qui ne détectent rien du tout. Épilogue classique : plutôt que de rendre son tablier, Haïder al-Abadi s'en est tiré avec la démission de son ministre de l'Intérieur...

Ce qui vient rompre cependant la sanglante routine irakienne, c'est la frénésie meurtrière dont fait montre désormais Daech contre les États sunnites de la région, longtemps soupçonnés, eux, d'avoir généreusement octroyé soutien financier et facilités logistiques à divers groupes jihadistes. Après la Jordanie et la Turquie, c'est l'Arabie saoudite qui était ainsi prise pour cible lundi, avec les trois attentats-suicide qui ont visé, outre la province chiite de Qatif, Djeddah, capitale économique du royaume, et Médine. Tout se passant comme si ses récentes défaites sur le terrain, tant en Syrie qu'en Irak, poussaient Daech à un spectaculaire regain d'activité sur les théâtres extérieurs les plus divers : une attention particulière étant réservée à ces puissances imprudemment complaisantes naguère et qui viennent soudain de changer leur fusil d'épaule. Campant, hier encore, sur d'immenses étendues de désert en se jouant des frontières issues de l'accord Sykes-Picot, le soi-disant État islamique a, chaque jour un peu moins, les attributs géographiques d'un État, notamment une solide assise territoriale ; chaque jour un peu plus, en revanche, il arbore les traits de ce même el-Qaëda dont il s'était détaché car Oussama Ben Laden prônait un jihad global, universel, avant toute tentative d'instaurer un califat.

Calife vraiment, ce Abou Bakr al-Baghdadi qui, à la veille de la fête du Fitr, s'en prend à la
deuxième ville sainte de l'islam, et plus précisément à la mosquée portant le nom du Prophète ? Point n'était besoin, en réalité, de ce triple sacrilège pour que les Arabes, et plus généralement les musulmans, se décident enfin à prendre le monstre par les cornes : plus que jamais, plus que pour tout autre pan d'humanité, la lutte contre la terreur prétendument religieuse est leur affaire.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Dix petites secondes : c'est le temps d'antenne que plus d'un journal télévisé occidental consacrait, lundi, aux suites de l'effroyable attentat au camion piégé qui, la veille, avait dévasté le quartier commercial de Karrada, situé en plein centre de Bagdad et massivement peuplé de chiites. Le monde serait-il donc trop absorbé par ses propres angoisses sécuritaires pour s'encombrer...