De passage à Beyrouth, un des membres de la délégation houthie aux négociations du Koweït raconte les détails des échanges avec la délégation « officielle » appuyée par les Saoudiens. Devant un petit groupe de journalistes, il dresse un premier bilan d'un mois de discussions ardues et complexes qui donne une idée concrète de la tendance générale des développements régionaux. Le responsable houthi donne des détails et explique ainsi le long chemin vers une paix difficile et ajoute que même si un accord est conclu ( il y croit), la solution et la paix qui devrait la suivre seront longues à venir... Mais il affirme que les Saoudiens veulent désormais un accord.
Selon le responsable d'Ansarallah (le nom officiel que se donnent les houthis), les négociations ont commencé officieusement à travers des rencontres à la frontière saoudo-yéménite, d'abord entre des personnalités proches des dirigeants saoudiens et d'autres proches de l'alliance Ansarallah-Ali Abdallah Saleh (l'ancien président yéménite, qui tient une partie importante de l'armée). Ces discussions préliminaires ont évolué vers des rencontres directes entre des responsables saoudiens et d'autres d'Ansarallah. Les deux parties ont convenu d'éviter de se rendre à Genève, préférant que les pourparlers officiels se tiennent dans un pays arabe. Le chef des SR iraniens a effectué dans ce but un voyage secret au Koweït, sachant que l'Iran est pratiquement le seul allié d'Ansarallah. Finalement, toutes les parties ont accepté que l'émirat accueille les délégations impliquées dans la recherche d'une solution à la guerre au Yémen qui dure depuis plus de 15 mois dans une violence sans précédent. Le représentant de l'Onu chargé de ce dossier, Ismaïl Ould Cheikh Ahmad, et son représentant au Koweït qui est aussi le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe, Abdellatif ben Rachid al-Zayani, ont depuis le début parrainé les discussions, tout en étant, selon le responsable houthi, partiaux en faveur de la délégation appuyée par Riyad. Le représentant de la Ligue arabe au Koweït ainsi que l'ambassadeur des États-Unis à Sanaa se sont joints à l'équipe de Ould Cheikh Ahmad en plus d'un représentant de l'Union européenne. La délégation appuyée par Riyad est dirigée par Abdel Malik al-Mekhlafi (actuel vice-Premier ministre et ministre des AE) et l'autre par Mohammad Abdel Salam, porte-parole d'Ansarallah.
Le point de départ des discussions était la conviction de toutes les parties de la nécessité de trouver une solution à cette guerre devenue stérile. C'est d'ailleurs l'ambassadeur d'Arabie saoudite au Yémen qui a donné des garanties à la délégation conjointe d'Ansarallah et de Saleh pour qu'elle fasse le déplacement, celle-ci craignant un piège. L'émir du Koweït s'est aussi mis de la partie et il s'est personnellement engagé à assurer la sécurité des membres des deux délégations.
Appâter pour diviser
Selon le responsable d'Ansarallah, la tactique de la partie adverse était de tenter d'appâter les membres de la délégation conjointe pour la pousser à accepter une solution en sa défaveur. Il y a eu d'abord des appâts nationaux, comme les promesses de la reconstruction des hôpitaux, des bâtiments officiels, de l'infrastructure routière, des écoles, sachant que les régions du Nord et du centre (contrôlées par l'alliance Ansarallah-Ali Abdallah Saleh) sont presque totalement détruites. Il y a eu ensuite des propositions personnelles faites aux membres de la délégation séparément dans le but de les pousser à lâcher les autres. Beaucoup d'efforts ont ainsi été déployés pour diviser Ansarallah et les partisans de Ali Abdallah Saleh, et tenter de les corrompre. Face à l'échec de ces manœuvres, la période d'intimidation a commencé. Des rumeurs ont circulé, sur une décision des États-Unis de se joindre directement à la coalition avec leurs forces militaires. De même, il a été dit que les Saoudiens disposent désormais de nouvelles armes à la puissance inimaginable, alors que les Émirats seraient prêts à mettre tous leurs moyens dans la balance pour défaire les houthis et les partisans de Saleh. Des menaces ont aussi été proférées selon lesquelles la coalition serait désormais déterminée à mettre rapidement fin au conflit militairement et que ces négociations sont celles de la « dernière chance ». Dans le même sillage, la partie adverse a affirmé que celui qui se retire des négociations devra assumer la responsabilité des développements ultérieurs. Bref, une véritable guerre psychologique a été menée pour faire céder ou affaiblir la délégation conjointe, tout en multipliant les rencontres bilatérales pour semer le doute entre les alliés. Par exemple, Ansarallah et le parti de Saleh ont été invités à donner séparément leurs revendications, et des promesses de régler les problèmes concernant les fonds et les déplacements de Saleh ont été données. Autre exemple, il a été question de donner des acquis à chaque partie, indépendamment de l'autre. Mais face à la fermeté de l'alliance, la partie adverse et ses « parrains » ont finalement accepté l'idée d'un gouvernement de coalition formé à moitié des représentants des alliés de Riyad, alors que l'autre moitié est réservée à l'alliance. Les discussions actuelles tournent autour de la personne du président consensuel. Quelques noms sont cités, comme ceux d'Ahmad ben Dagher et Ali Nasser, mais la condition est le maintien de Abed Rabbo Mansour Hadi pour une période allant de 45 à 90 jours. Or, cette condition est jugée inacceptable pour l'alliance qui craint que Hadi profite de ce sursis pour prendre des décisions qui détruisent tous ces acquis.
À ce stade, et toujours selon le membre de la délégation d'Ansarallah, l'alliance considère qu'elle a déjà obtenu d'importantes concessions de la partie adverse. D'abord, le principe de la parité dans le gouvernement et l'idée d'un président consensuel. Ce qui permettra à Ansarallah de devenir partie intégrante du régime, alors que jusque-là, ce groupe était exclu. De même Ali Mohsen al-Ahmar (proche des Frères musulmans et de Hadi) est exclu de toutes les négociations, même si Mekhlafi a essayé dans les négociations d'obtenir, en même temps, celle de Ali Abdallah Saleh. Il n'a pas pu imposer une telle équation et finalement, les négociations se poursuivent péniblement, sachant que sur le terrain, le rapport des forces reste le même : à Sanaa, le chef d'Ansarallah a supervisé la formation de nouveaux officiers alors que Aden, fief de Hadi, est encore sous les bombes. Sur les trois fronts de Jof, Ma'rib et Taez, il n'y a pas de percée significative. Un accord tacite a été conclu entre les belligérants : cesser les bombardements de Sanaa moyennant l'arrêt de la progression des forces de l'alliance en territoire saoudien. Les combats devraient donc se limiter désormais à ceux qui portent les armes et ne plus toucher la population civile. Mais le chemin de la solution est encore bien long...
commentaires (8)
Merci pour vos articles Scarlett , elles nous mènent droit à ce que nous constatons en ce moment , au Liban .
FRIK-A-FRAK
15 h 35, le 06 juin 2016