Décidément, les rebondissements se succèdent à Tripoli où jusque tard dans la nuit de lundi à mardi, le décompte des voix donnait la liste soutenue par Achraf Rifi gagnante avec 22 sièges au conseil municipal de la ville, contre deux seulement pour la liste soutenue par la coalition de la quasi-totalité des forces vives de la capitale du Nord.
Finalement, ce sont seulement 16 des 24 membres de la liste Rifi qui ont été élus, contre 8 pour la liste adverse, selon les chiffres officiels publiés hier par le ministère de l'Intérieur. Le nouveau conseil municipal de Tripoli sera cependant monochrome. C'est officiel : aucun des candidats chrétiens et alaouites (deux par communauté sur chacune des deux listes) n'a pu être élu, contrairement aux pronostics de la veille qui donnaient Farah Issa, sur la liste soutenue par Achraf Rifi, gagnante.
Ces résultats ont pour ainsi dire constitué une « gifle retentissante » à l'ensemble des composantes de la large coalition qui ont perçu ces résultats comme un désaveu populaire suffisamment grave pour initier une remise en question à plus d'un niveau. Au lendemain de la démission de Robert Fadel qui avait annoncé lundi qu'il ne pouvait plus exercer sa fonction de député « aux dépens d'un peuple devenu misérable », c'était hier au tour d'Ihab Nafeh, responsable politique de la Jamaa islamiya à Tripoli – membre de la coalition qui compte également les anciens Premiers ministres Saad Hariri et Nagib Mikati, les députés Mohammad Safadi, Mohammad Kabbara et Robert Fadel, l'ancien ministre Fayçal Karamé, et des alaouites – de présenter sa démission. Dans le communiqué qu'il a publié à ce sujet, Ihab Nafeh explique que sa démarche a été motivée par les résultats du vote. « Il y a eu des accords et des alliances qui n'ont pas plu à la rue tripolitaine et que plusieurs ont contestés. (...) Les suffrages ont montré que notre choix n'était pas judicieux et conforme aux aspirations de la rue tripolitaine », a-t-il expliqué, en soulignant qu'il assume ses pleines responsabilités et que, par voie de conséquence, il rend son tablier.
Pour tous, l'heure est au bilan. La direction du courant du Futur attend le retour de son chef, Saad Hariri, pour tenir une réunion d'évaluation des résultats des municipales et du comportement des électeurs non seulement à Tripoli, mais à Beyrouth également. Deux facteurs ont joué contre la coalition à Tripoli et fait qu'elle a obtenu une victoire à l'arraché aux municipales de Beyrouth : le vote contestataire des électeurs et le taux de participation excessivement bas dans les deux villes : 20,14 % à Beyrouth et 25,82 % à Tripoli où la forte affluence des électeurs alaouites en fin d'après-midi, dimanche, a permis au taux de participation de franchir la barre dérisoire des 20 %.
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« Victimes collatérales »
Selon le responsable du courant du Futur dans la capitale du Liban-Nord, Moustapha Allouche, le commandement de ce parti devrait assumer la responsabilité du revers qu'il a subi à Tripoli et en tirer les conclusions qu'il faut. À l'agence al-Markaziya, il a expliqué que les candidats chrétiens et alaouites ont été les victimes collatérales du panachage pratiqué à large échelle contre les sunnites de la ville, en faisant observer que les scores obtenus par les candidats chrétiens et alaouites sont plus élevés que le nombre de voix obtenues par ceux de la Jamaa islamiya et des Ahbache, « ce qui montre que les motivations du panachage n'étaient pas communautaires ».
Abondant dans le même sens, le député Samir Jisr a reconnu que le courant du Futur a « mal apprécié les orientations de la population à la faveur des municipales et ne s'est pas investi à fond dans les élections ». « Mais quoi qu'il en soit, ce qui s'est produit dimanche commande une lecture approfondie et minutieuse », a-t-il poursuivi. Le bloc parlementaire du Futur, réuni à la Maison du centre sous la présidence de Fouad Siniora, s'y est attelé hier. Le bloc a salué « la liberté de décision » des habitants de Tripoli. Il a aussi invité le nouveau conseil municipal à « se lancer au travail pour développer la ville, en tant qu'équipe homogène », sans commenter les résultats du scrutin ou le déséquilibre communautaire qu'il a induit, se contentant de relever l'aspect positif de la consultation populaire. « Elle a prouvé que le système libanais est capable de guérir par lui-même et de fonctionner normalement en dépit d'une conjoncture anormale et instable au Liban et des guerres et des discordes qui embrasent la région et qui affectent le pays », selon le bloc qui a en outre considéré que les municipales « ont donné un souffle nouveau au principe de l'alternance pacifique au pouvoir, nécessaire et fondamentale dans tous les systèmes démocratiques, dont le Liban, qui a pu maintenir cette caractéristique en dépit des tentatives hégémoniques du Hezbollah, soutenu par l'Iran et appuyé par le CPL ».
Reste la démission de Robert Fadel. Le député est déterminé à la maintenir, en dépit des appels lancés par ses collègues et par des personnalités tripolitaines pour l'en dissuader. Il faut cependant savoir qu'elle ne sera effective qu'une fois annoncée, lors d'une séance plénière de la Chambre, par le président du Parlement Nabih Berry. Dans ce cas, des partielles devraient être organisées...
Quoi qu'il en soit, le déroulement des municipales a été salué hier par le chargé d'affaires américain, Richard Jones, lors de la réception donnée à l'hôtel Le Royal à Dbayeh, à l'occasion d'une fête nationale américaine. Le diplomate a notamment rendu hommage « aux Libanais qui ont démontré encore une fois leur attachement aux principes de la démocratie, en organisant des élections réussies ». « Il s'agit d'un pas important vers le rétablissement de la démocratie (...) dont l'une des principales caractéristiques est qu'elle permet le renouvellement régulier de ses institutions grâce aux suffrages du peuple », a commenté M. Jones en estimant que « rien ne vaut des élections pour révéler l'humeur du peuple et induire une remise en question ». « En fait, un scrutin n'est pas organisé pour rassurer les hommes politiques mais pour permettre au peuple d'exprimer sa volonté. Pour cette raison (...), nous avons insisté pour l'organisation des élections dans les délais et nous estimons que les législatives ne devraient pas être reportées une nouvelle fois. Pour cette même raison, nous pensons que les Libanais devraient choisir leurs propres leaders », a insisté Richard Jones.
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commentaires (9)
Triste de voir Tripoli devenir la capitale de l’intégrisme total .
Sabbagha Antoine
21 h 44, le 01 juin 2016