Confrontez un proxénète et une femme qu'il prostitue, et vous obtenez, pour ce show, un audimat imbattable – au nom de... la vérité.
Le proxénète c'est Imad el-Rihawi, le principal accusé (d'abus physiques) dans l'affaire du trafic sexuel de la maison close Chez Maurice, perquisitionnée à Maameltein il y a quelques semaines et fermée à la cire rouge dans l'ultime épilogue d'un soi-disant éveil moral d'une République noyée jusqu'aux oreilles dans la dépravation et la corruption.
Les deux invités par téléphone sur le plateau de Hki Jaless sont des Syriens qui vivaient et s'épanouissaient dans le quartier rouge de Jounieh, où tout le monde se plaignait du voisinage et de la prostitution, et où ne cesse de se dandiner cette catégorie de gens rejetée par les uns, mais ô combien désirée par d'autres. Sally, victime d'abus sexuels et physiques, est d'abord encouragée à prendre la parole afin de dénoncer l'enfer dans lequel elle a vécu durant une période de sa vie. Ensuite, le modérateur et hôte du programme la fait taire pour, assure-t-il, laisser une chance au proxénète, en fuite dans la Békaa (refuge absolu des repris de justice), qui se présente comme simple employé impuissant et qui se défend en accusant de plus gros poissons, comme Maurice Geagea et Ali Hassan, les pourvoyeurs en argent et gérants de l'établissement.
Le fameux procureur de la télévision, qui a visiblement choisi son parti (faire l'avocat aux yeux bleus du diable), ridiculise alors les propos de la jeune femme en l'accusant d'être soutenue par une autre journaliste, visiblement concurrente dans le domaine des scandales. Il se permet de laisser le proxénète demander à la jeune femme, avec un plaisir sadique et misogyne, quelle était exactement sa profession actuelle, pensant qu'elle allait se noyer dans la honte. La réponse de Sally a été cinglante de réalisme : « Je travaillais dans la prostitution et je travaille toujours comme prostituée, mais je ne travaillais pas dans les conditions inhumaines que tu nous avais infligées. » Le proxénète s'est alors retranché dans un dédain total, affirmant avoir posé ses propres conditions avant de se rendre à la justice et assurant que la jeune fille se prostituait salement bien avant qu'il fasse sa connaissance.
(Lire aussi : Trafic sexuel au Liban : une Syrienne raconte l'enfer)
Clown pathétique
Ce qu'il faut que tous les Joe Maalouf de la télévision libanaise comprennent, c'est que le problème n'est pas la prostitution ni le proxénétisme, mais qu'il s'agit plutôt du trafic humain et sexuel, de la torture, du droit de la femme sur son corps et des droits des réfugiés à la protection et à l'abri. C'est encore une question humanitaire qui dépasse la logique d'entrepreneur de ces combats médiatiques contre la corruption. Les gérants de ces lieux de plaisir n'étaient pas seuls à plonger leurs gros doigts dans le pot de miel: les agents de police et les grosses pointures de l'État étaient probablement invités à cette orgie financière. Les protecteurs officiels des mœurs fermaient probablement souvent l'œil, et le bon, en tout cas celui qui donne sur le Kesrouan et sur d'autres régions du littoral où l'amour de 30 secondes est loué au plus bas et où la concurrence se fait de plus en plus rude avec l'affluence des femmes syriennes croulant sous la misère.
Sally est une prostituée, certes, mais avant tout un être humain qui a des droits : le droit à la parole et donc le droit d'être écoutée, celui de ne pas être jugée par un journaliste de télé qui a visiblement raté sa vocation de magistrat, et surtout le droit de disposer de son corps. Le proxénète, quant à lui, voulait clairement, dans un plan orchestré à l'avance avec la production, attendrir l'opinion publique en lui projetant une image douce et même innocente du proxénétisme, ce qui est complètement aberrant. Peut-être n'est-il pas le seul coupable, mais il en fait sûrement partie, et devrait donc être incarcéré au lieu de se donner en spectacle, clown pathétique, un lundi soir, et s'adresser au public comme s'il s'agissait d'un procès où l'on zoomerait sur la défense des droits des proxénètes face à la cruauté des propriétaires des maisons closes. Le plus grave était notamment le droit que M. Rihawi a revendiqué de séquestrer et de monopoliser le corps de la pauvre femme car elle lui a emprunté de l'argent.
Et la prostitution médiatique, et notamment télévisée? Faut-il tout autant protéger ses proxénètes...
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LA MISERE POUSSE... ET LA HONTE EXPLOITE !
19 h 52, le 21 mai 2016