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Moyen Orient et Monde - Reportage

« En Turquie, la liberté de presse est au niveau le plus bas de toute l’histoire de la République »

Bilan morose pour les médias, tenaillés par les autorités depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP d'Erdogan.

Photo d’archives du 4 mars 2011 d’une manifestation à Istanbul pour protester contre la détention de journalistes turcs. Photo AFP

Il y a quelques années encore, la salle aurait été remplie à craquer, les gens souriants. Aujourd'hui ce n'est peut-être pas encore l'atmosphère d'un enterrement, mais les journalistes ont l'air triste, fatigué voire désespéré.
La semaine passée, s'est tenu le 45e Congrès national de l'Association des journalistes de Turquie (TGC), l'unique organisation professionnelle rassemblant plus de 8 mille journalistes, tous médias confondus, du pays. Créée en 1946, au tout début du pluripartisme en Turquie, la TGC célèbre cette année son 70e anniversaire. Le QG de la TGC se trouve à 200 mètres de la Sublime Porte, ancien siège du gouvernement ottoman, également ancien quartier de la presse. « Les choses n'ont pas beaucoup changé depuis 1831 (date de la parution du premier quotidien en Turquie). La presse est toujours à côté du gouvernement », ironise d'ailleurs un délégué.


Altan Oymen, octogénaire et journaliste chevronné, ancien président du Parti social-démocrate, donne le ton du Congrès, dans son discours d'inauguration : « La liberté de presse n'est pas seulement la liberté des journalistes, mais c'est la liberté de l'ensemble de la nation. Et j'avoue qu'aujourd'hui la liberté de presse est au niveau le plus bas de toute l'histoire de la République », soit depuis 1923. « Là où il n'y a pas de liberté, il ne peut y avoir de journalisme », affirme-t-il fermement.
Turgay Olcayto, président élu pour la seconde fois du TGC, rappelle de son côté que « la Turquie est désormais au 151e rang dans la liste de la liberté de presse de Reporters sans frontières (RSF) ». « Avec tout ce qui se passe actuellement dans les régions kurdes, on dirait que le génocide continue », estime pour sa part Celal Baslangic, journaliste spécialiste du problème kurde. « C'est toujours le même État, mais cette fois les victimes ont changé. Les Kurdes à la place des Arméniens. Et je crois que le nombre de journalistes kurdes arrêtés depuis deux mois dépasse désormais le nombre de vingt », ajoute-t-il.

 

« Mainmise diplomatico-commerciale »
« Nous n'avons presque plus de temps pour nous occuper des problèmes économiques de nos membres. Car les visites dans les prisons (actuellement 32 journalistes sont incarcérés en Turquie), les audiences des procès de nos collègues (au moins 46 journalistes sont libres, mais en plein procès) et les cérémonies pour commémorer nos confrères tués nous prennent tout le temps », déplore pour sa part Mustafa Kuleli, secrétaire général du seul syndicat des journalistes de Turquie (TGS), en marge du Congrès. Les portraits des 77 journalistes tués depuis 1905 sont exposés dans le Musée de la presse, toujours dans l'ancien quartier de la Sublime Porte.


Pour rappel, le 23 avril dernier, un groupe de journalistes avaient participé à la manifestation traditionnelle des Mères du Samedi (mères dont les enfants ont été tués ou enlevés par les forces de l'ordre depuis le coup d'État du 12 septembre 1980) sur la place de Galatasaray, au beau milieu de la rue Péra. « On y était avec des posters des journalistes, intellectuels et députés arméniens, victimes du génocide de 1915 », précise M. Kuleli.
Le Dr Esra Arsan, spécialiste des médias de l'Université Bilgi, explique que « la structure et la propriété des médias ont été énormément transformées depuis l'avènement de l'AKP (Parti de la Justice et du Développement du président Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2002) ». « Selon nos études et recherches, plus de 85 % des médias sont désormais dirigés directement ou indirectement par le pouvoir politique, c'est à dire le palais d'Erdogan. Donc les citoyens ne peuvent pas lire ou voir des informations de l'opposition politique ou sociale dans ces médias du gouvernement. Tout est fait pour empêcher la publication et la dissémination des informations, des reportages, voire des photos et caricatures qui vont à l'encontre des intérêts d'Erdogan : la censure, l'autocensure, les menaces de licenciement, les descentes contre les bâtiments des quotidiens, tabasser les chroniqueurs, les procès dans lesquels les journalistes sont accusés soit d'insulter le président de la République soit de faire de la propagande terroriste séparatiste. Et les patrons qui ne sont pas dociles sont également visés, par exemple par des pénalités fiscales. »


Les quotidiens et les chaînes de télévision au service du pouvoir sont devenus maîtres en agitation et propagande ainsi que dans la désinformation. « Désormais, annonce l'avocat Fikret İlkiz, pénaliste spécialiste du droit des médias, se référant à un article du code civil, les tribunaux nomment des administrateurs à la tête des sociétés de médias pour faire taire complètement les voix dissidentes. » En effet, ce sont des avocats, des hommes d'affaires, voire des journalistes proches du pouvoir qui deviennent les nouveaux directeurs de ces quotidiens ou chaînes de télévision. « C'est une mainmise diplomatico-commerciale », conclut Me İlkiz. Reste alors l'Internet et la presse internationale, mais eux aussi sont sous contrôle strict du gouvernement.

 

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