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Moyen Orient et Monde - Urgence humanitaire

Daraya la martyre verra-t-elle enfin le bout du tunnel ?

Assiégée depuis 2012, la ville emblématique, située aux portes de Damas, a reçu samedi la visite tant attendue d'une délégation de l'Onu. Une habitante de la localité témoigne pour « L'Orient-Le Jour » du calvaire quotidien.

Photo tirée de la page Facebook du conseil local de la ville de Daraya.

Serait-ce la fin du calvaire pour les 8 300 habitants piégés dans l'emblématique ville de Daraya ?
Malgré le siège de la ville, décrété par le régime en juin 2012, et après presque quatre ans de souffrance marqués par les bombardements intenses et les largages de barils, l'espoir est toujours resté vivant. Si la trêve, conclue en mars dernier, a permis aux civils un répit salutaire, les appels à l'aide du conseil local de la ville sont jusque-là restés sans effet. Et les rassemblements pacifiques quasi quotidiens n'ont que trop peu permis d'attirer le regard de la communauté internationale.

Mais le samedi 16 avril, à 13h, une délégation des Nations unies, dirigée par Khawla Matar, porte-parole de l'envoyé spécial de l'Onu en Syrie, Staffan de Mistura, a pu entrer à Daraya. Le but de cette visite, gardée secrète jusqu'au dernier moment, était d'évaluer la situation humanitaire dans la ville assiégée. Contactée par L'Orient-Le Jour la veille, une source autorisée du bureau de Genève s'était gardée d'attester ou non de la véracité de l'information, selon laquelle une délégation s'apprêtait à se rendre dans la ville martyre. Selon le service de communication du conseil local de la ville, contacté hier, la visite de samedi n'a pas été suivie par un apport d'aide humanitaire à la ville. Les membres de la délégation de l'Onu ont toutefois pu recueillir les témoignages des habitants et prendre note de leurs besoins urgents. Khawla Matar s'est ensuite rendue dans les écoles et a rencontré des élèves et leurs parents, se confrontant ainsi à la réalité des conditions extrêmement difficiles de l'accès à l'éducation. Une réunion a ensuite eu lieu avec un certain nombre de militants et de représentants de la société civile.

Après la visite de l'unique hôpital de campagne dans la ville, la délégation s'est entretenue avec les représentants du conseil local ainsi qu'avec les groupes rebelles affiliés à l'Armée syrienne libre (ASL), Liwa' Chouhada el-islam (le Bataillon des martyrs de Daraya) – soutenu par les États-Unis – et l'Union islamique Ajnad el-Cham. Selon le service de communication du conseil local de la ville, les demandes d'une levée complète du siège et du traitement prioritaire de l'affaire des détenus ont été réitérées et des discussions ont eu lieu au sujet de l'évolution de la solution politique et des négociations en cours à Genève. Même si la délégation s'est gardée de toute déclaration officielle lors de sa visite, elle aurait cependant laissé sous-entendre aux habitants que « les arguments utilisés par le régime pour empêcher l'entrée de l'aide humanitaire ont été jugés "sans fondements" » et qu'elle « fera tout son possible pour apporter cette aide », comme étape intermédiaire vers une future levée du siège.

(Pour mémoire : Daraya, martyrisée mais insoumise)

Immobilisme ?

Cette visite de terrain à Daraya intervient à point nommé. Souvent fustigés dans les médias internationaux, notamment à cause du précédent Madaya, l'Onu, et plus particulièrement le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Ocha) à Damas ont souvent été taxés d'immobilisme face à un gouvernement peu enclin à coopérer, et ce malgré l'urgence de la situation.

Deux jours avant la visite, M. de Mistura s'était adressé aux médias, à l'issue d'une réunion à Genève du groupe de travail sur l'accès humanitaire, coprésidé par les États-Unis et la Russie, et avait déclaré « ne pas pouvoir nier que tout le monde était déçu », et que « beaucoup d'entre eux étaient frustrés par le manque de nouveaux convois atteignant les régions assiégées », comme Daraya. La visite de samedi serait donc le résultat d'intenses négociations entre l'Onu et le gouvernement de Damas, qui avait jusque-là toujours refusé d'accorder les autorisations nécessaires permettant à l'Organisation internationale d'y envoyer ses émissaires.

Selon l'Ocha, Daraya a toujours été une « préoccupation majeure », d'autant plus ces derniers temps, rappelle le bureau, car le Programme alimentaire mondial (Pam) a fait état, la semaine dernière, de rapports inquiétants concernant le manque de nourriture au sein de la ville.

Mais pour Neil Sammonds, chercheur sur la Syrie pour Amnesty International, « Daraya n'a pas reçu autant d'attention qu'elle méritait ». Contacté par L'OLJ quelques jours avant la visite surprise de l'Onu dans la ville, le chercheur explique que l'organisation internationale avait fait de multiples demandes auprès de Damas jamais abouties. Elle « avait alors cessé de demander », sans toutefois abandonner l'espoir de se voir octroyer un accès humanitaire. À ce jour, dix villes syriennes sont en état de siège. Mais pourquoi l'une ou l'autre, comme ce fut le cas pour Madaya, a-t-elle plus de probabilité de recevoir en urgence une aide providentielle ? « Il y a quelque chose qui est du ressort de la chance. Il suffit que soient publiés une image ou un témoignage pour que l'attention de la communauté internationale soit happée, comme nous avons pu le constater avec la photo iconique de Yarmouk se vidant de ses réfugiés palestiniens », explique Neil Sammonds. Selon lui, plusieurs personnes fortunées permettraient aux autres de survivre à Daraya. Comme il est quasiment impossible de faire rentrer de la marchandise, les habitants se débrouillent comme ils le peuvent.

(Lire aussi : Syrie : 2015, "la pire" année pour les civils)

Soupes et feuilles d'arbres

« Nous nous nourrissons essentiellement de soupes et de légumes comme les épinards, de la salade et même des feuilles d'arbre », confie Soumaya. Cette jeune femme professeur à l'école Amal el-Oumma enseigne l'anglais, les mathématiques et la biologie depuis le début du siège en 2012. Avant que sa ville ne se retrouve encerclée par le régime, Soumaya était encore étudiante en biologie à l'université. « C'est très dur de vivre ici, il n'y a ni électricité ni eau potable. On utilise des générateurs pour avoir une heure de courant tous les deux jours. Et nous avons des problèmes pour trouver du fuel », témoigne-t-elle pour L'Orient-Le Jour. « La vie est devenue presque normale depuis que le régime a arrêté de bombarder notre ville, mais il ne laisse personne entrer, pas même les ONG, poursuit-elle. Au moins, les enfants peuvent jouer à l'air libre et se rendre à l'école. »

« Nous avons besoin de nourriture et de médicaments, il y en a très peu et nous n'avons pas de vaccins pour nos enfants », déplore cette jeune femme, mère d'un garçonnet. Si les femmes font de leur mieux pour s'entraider, le poids du conseil local est déterminant, notamment puisqu'il organise des rassemblements de manière régulière, dont les photos et vidéos sont postées sur sa page Facebook. Comme ces femmes et ces enfants descendant dans les rues ravagées pour en appeler à la communauté internationale afin qu'elle intervienne, munies de pancartes disant : « Nous voulons du lait et du pain. » Tout comme cette mère qui se plaint de ne pas pouvoir se procurer du lait maternisé ou cette autre qui ne trouve pas de batteries pour la prothèse auditive de sa petite fille handicapée. Une autre encore brandissant une pancarte imitant le drapeau de l'EI sur lequel il est écrit : « Peut-être que sous cette forme vous porterez plus d'attention à notre souffrance » et « Nous ne voulons pas mourir ». « Attendez-vous que nous ressemblions à ça pour nous envoyer de l'aide », voit-on sur un autre écriteau montrant un enfant décharné.

La visite de l'Onu à Daraya permettra-t-elle aux 8 300 habitants de pouvoir se raccrocher à quelque chose, après quatre ans de non-intervention ?


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