À la veille de la visite du président François Hollande au Liban, aujourd'hui, le président de la Ligue maronite, Antoine Klimos, a adressé au chef de l'État français une lettre ouverte dans laquelle il souligne notamment que « le modèle libanais est le seul valable pour mettre fin aux luttes sanglantes qui déchirent le Moyen Orient », relevant à cet égard que « la protection du modèle libanais requiert le respect des équilibres délicats sur lesquels il repose, des équilibres démographiques dans un espace géographique restreint ». Affirmant que « ces équilibres ont été menacés par la non-application de la lettre et de l'esprit de l'accord de Taëf », M. Klimos souligne que « l'accord de Taëf a provoqué la faillite des chrétiens du fait de la tutelle syrienne, leurs partenaires dans la nation se partageant avec appétit leurs dépouilles ».
Nous reproduisons ci-dessous le texte intégral de la lettre ouverte du président de la Ligue maronite au président Hollande.
« Monsieur le Président François Hollande,
Au nom de la Ligue maronite, nous vous souhaitons la bienvenue au Liban.
Nous avons été très heureux de la publication du communiqué de l'Élysée annonçant que vous alliez effectuer une visite de travail au Liban pour affirmer la forte solidarité qui lie la France au Liban.
Monsieur le Président,
Les maronites ont apporté une participation essentielle à la création du Liban en 1920 et ont contribué depuis 1926 à établir un climat de liberté démocratique inconnu dans la région. De ce fait, le Liban s'est singularisé des points de vue intellectuel, culturel, social et économique par rapport à son environnement, devenant le pays idéal pour y vivre, y travailler et y investir.
Quant au Liban que vous visitez aujourd'hui, il a été le théâtre de toutes les guerres et de tous les malheurs du Moyen-Orient depuis 1948, date de l'exode palestinien. Cependant, ces guerres et ces malheurs, qui ont fait tant de victimes et de dommages, n'ont pas réussi à tuer l'esprit du Liban, qui nous a permis de vivre ensemble dans une même patrie, individus et groupes appartenant à des religions et des croyances diverses.
La Constitution de 1926 reflète cet esprit qui a amené sa sainteté le pape Jean-Paul II à définir le Liban comme étant "plus qu'une nation, un message." C'est pourquoi nous estimons que le modèle libanais est le seul valable pour mettre fin aux luttes sanglantes qui déchirent le Moyen-Orient et y faire régner la paix et la stabilité.
La protection du modèle libanais requiert le respect des équilibres délicats sur lesquels il repose, des équilibres démographiques dans un espace géographique restreint. Ces équilibres ont été menacés par la non-application de la lettre et de l'esprit de l'accord de Taëf, ce qui a abouti à la disparition d'une participation équilibrée au gouvernement.
L'accord de Taëf, que le monde libre à l'époque avait qualifié de nécessaire et temporaire, a provoqué la faillite des chrétiens du fait de la tutelle syrienne, leurs partenaires dans la nation se partageant avec appétit leurs dépouilles.
Le communiqué de l'Élysée qualifie le Liban de pays ami de la France. Nous attendons de votre part des initiatives exprimant cette forte solidarité entre les deux pays, concrétisée par une position claire réaffirmant le retour nécessaire des réfugiés syriens dans leur pays. Cela permettra d'éviter que le drame des réfugiés palestiniens en 1948 ne se répète et que le temporaire se transforme en définitif. Car toute idée ou toute action visant à encourager les Syriens à demeurer au Liban, même sous le couvert de l'initiative humanitaire, est une atteinte à leur droit au retour dans leur patrie et une agression contre la souveraineté du Liban, sans compter que cela risque de déboucher sur des guerres et des conflits sans fin dont toute la région peut se dispenser.
À cet effet, nous pensons que la France doit prendre l'initiative de fournir à l'armée libanaise une aide de poids, sans tenir compte du don saoudien et des ses complications. Le Liban a le droit de protéger son unité, sa sécurité et sa stabilité, ce qui est dans l'intérêt de l'Europe et de la France qui s'est exposée à des attaques terroristes que nous condamnons fortement. Nous estimons que pour empêcher de telles attaques, il faut un État fort au Liban, la stabilité des pays du Moyen-Orient et une solution équitable permettant de créer un État palestinien indépendant.
Permettez-moi, à ce sujet, de rappeler les paroles prononcées devant le Parlement européen par la représentante du Haut-Commissariat pour les Réfugiés relevant des Nations unies, après sa visite au Liban et ses rencontres avec les déplacés syriens :
"Aucun pays au monde n'a connu une telle situation. Par rapport au Liban, c'est comme si la France recevait en même temps les habitants de la Belgique et de la Lituanie, car le nombre des réfugiés syriens au Liban équivaut à un tiers de la population libanaise."
Nous aimerions aussi attirer votre attention sur un point que vous connaissez certainement, celui de l'existence de vastes étendues non touchées par la guerre en Syrie. Les Nations unies pourraient y envoyer l'assistance requise et les maintenir hors des zones de combat.
C'est pourquoi nous attendons de votre part une initiative de solidarité avec les Libanais et les Syriens, par laquelle vous proposeriez aux chefs État des principaux pays de construire des camps pour ces déplacés syriens dans les zones sécurisées, ce qui serait une première étape avant leur retour dans leurs villages et leurs villes d'origine. L'honneur de la France, son amitié et son intérêt permanents pour le Liban requièrent que Votre Excellence s'oppose à tout plan pernicieux visant à acheter notre silence avec des sommes imaginaires pour épuiser la terre libanaise en y implantant réfugiés et déplacés.
« Monsieur le Président,
La France symbolise les valeurs de liberté, de justice et d'égalité, ainsi que les nombreuses valeurs humaines que nous partageons avec elle. Nous appelons donc la France, à travers vous, à tenir compte, en toute amitié et sincérité, des problèmes et des craintes des chrétiens, qu'ils partagent avec un grand nombre de musulmans, et ce afin que le Liban demeure un phare dans notre Moyen-Orient et un modèle pour concrétiser ces valeurs.
En conclusion, cher hôte, nous aurions tant souhaité qu'un président de la République libanaise soit présent pour vous accueillir, entouré des représentants de tous les grands corps de l'État, mais c'est là une question dont vous connaissez, certes, les tenants et les aboutissants.
Le vide à la tête de l'État, malgré le danger qu'il représente, n'empêchera pas les Libanais, et les maronites en particulier, de vous réserver un accueil très chaleureux.
Avec toute notre considération pour votre haute personnalité et notre respect pour le peuple français ami, nous vous disons, à nouveau, soyez le bienvenu.
Beyrouth, le 14 avril 2016
Antoine Klimos
Président de la Ligue maronite »
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Putin quel fayot cette lettre adressée à un (non) président en (non) exercice. .
17 h 28, le 16 avril 2016