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Moyen Orient et Monde - Reportage

À Elbeyli, le blues des réfugiés syriens

Dans tous les domaines, le camp turc atteint ou surpasse les spécifications internationales en la matière. Mais pour les réfugiés, il reste une « caserne » ou une « prison ».

Dans le centre-ville d’Istanbul, une fillette syrienne réfugiée fait la manche tandis qu’un autre enfant dort sur ses genoux. Bulent Kilic/AFP

C'est le camp de réfugiés modèle, celui que les autorités turques sont fières de faire visiter. Mais alors que la guerre en Syrie va entrer dans sa sixième année, certains de ses habitants, lassés des grillages et des règlementations, veulent quitter Elbeyli.
Ouvert en juin 2013 dans le sud de la Turquie, près de la frontière syrienne, Elbeyli est aujourd'hui une ville de 3 500 conteneurs alignés en bon ordre, sur un sol pavé, abritant 24 000 personnes. Dans tous les domaines, il atteint ou excède les spécifications internationales en la matière. « Sa construction a coûté plus de 14 millions d'euros et nous dépensons plus de trois millions d'euros par mois pour son fonctionnement. Quelque 550 personnes y travaillent chaque jour », assure Metin Yildiz, porte-parole de l'administration du camp.
Sous un immense drapeau turc flottant sur un mât de 30m, les réfugiés, pour la plupart venus des provinces d'Alep et d'Idleb, sont logés dans des conteneurs préfabriqués formant de petites maisons de deux pièces faisant 21 m2 et toutes surmontées d'une antenne satellitaire. Chaque réfugié, quel que soit son âge, est nourri et reçoit 26 euros par mois.
Le camp comprend un hôpital – sept médecins à demeure –, des centres sociaux, des ateliers où les femmes tissent des tapis ou apprennent la coiffure, deux mosquées aux minarets de tôle, un supermarché, deux laveries, une pharmacie, des jardins d'enfants... Quelque 8 500 écoliers, collégiens et lycéens sont scolarisés. Au mur d'une école, les portraits, dans des étoiles, des premiers jeunes qui, arrivés sans parler un mot de turc, ont intégré des universités.

Une caserne... Non, une prison !
Un pinceau à la main, Mohammad Mahmoud (43 ans) termine dans l'atelier d'art un tableau, une vue du Bosphore à Istanbul, peinte d'après photo. « Au début, c'est un peu dur, dit-il. Mais ensuite, on s'habitue à cette vie. J'étais fonctionnaire au ministère des Finances à Alep, dessinateur amateur. Maintenant, je suis artiste... Parfois, des visiteurs achètent une toile. » Les murs disparaissent sous les tableaux : colombes ensanglantées, barbelés, immeubles en ruines, poings levés, canons de chars et drapeaux syriens.
Le camp est nettoyé par les employés d'une société privée, gardé par les vigiles d'une autre. Les réfugiés ont le droit d'en sortir le matin et d'y revenir le soir, mais ne peuvent le quitter trop longtemps, faute de perdre leurs droits. Comme ceux d'Elbeyli, environ 260 000 réfugiés syriens sont hébergés en Turquie dans 23 camps gérés par le gouvernement, pour une facture estimée par Ankara à plus de 10 milliards de dollars depuis 2011. Soit moins de 10 % des 2,7 millions de Syriens vivant dans le pays, notamment dans les grandes villes.
Assis au soleil près d'un terrain de basket, Mahmoud Eid (35 ans) et trois amis s'abritent du vent froid contre un conteneur et tirent sur leurs cigarettes. Il vit depuis trois ans à Elbeyli. « C'est vrai, nous avons été bien accueillis, dit-il. Mais ce n'est pas une vie. Là, c'est l'hiver, alors on ne travaille pas. Mais en été, on bosse dans les champs pour les paysans du coin. On tente d'économiser assez d'argent pour s'installer en ville, à Kilis ou à Gaziantep. On veut tous partir d'ici. C'est comme une caserne... ». « Une prison », corrige son voisin.
Khadija Hassan, toute petite pour ses 13 ans, sort de la pharmacie, une pochette de médicaments dans une main, tandis que sa petite sœur tient l'autre. « Oui, on est bien ici... » Soudain, elle éclate en sanglots. « Mais nous ne pouvons pas vivre sans notre père. Il est parti à Alep, tenter de vendre des choses pour avoir un peu d'argent. Mais il est resté trop longtemps. Quand il est revenu, ils ne l'ont pas laissé rentrer au camp. Il vit à Kilis. Il vient souvent nous voir, de l'autre côté du grillage. »
Michel MOUTOT/AFP

C'est le camp de réfugiés modèle, celui que les autorités turques sont fières de faire visiter. Mais alors que la guerre en Syrie va entrer dans sa sixième année, certains de ses habitants, lassés des grillages et des règlementations, veulent quitter Elbeyli.Ouvert en juin 2013 dans le sud de la Turquie, près de la frontière syrienne, Elbeyli est aujourd'hui une ville de 3 500...

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