« Vous pouvez conduire un cheval à l'auge, mais vous ne pouvez pas le forcer à s'abreuver. » Pour exprimer son exaspération, le pourtant inlassable John Kerry avait choisi, la semaine dernière, Vientiane, la capitale du Laos. Trois jours plus tôt, Staffan de Mistura avait sonné la charge se plaignant – oh à mots couverts, on n'est pas diplomate pour rien – que l'Arabie saoudite faisait de tout pour l'empêcher de ramener à la table des négociations les frères ennemis syriens.
Croisons les doigts : aux dernières nouvelles elle se tiendrait vendredi, cette reprise du dialogue, pourvu que les deux parties fassent montre d'un brin de bonne volonté, remisent les couteaux au vestiaire et se montrent capables de tenir la distance (six mois, tel est le délai fixé par les parrains de cette drôle de conférence dont le menu ressemble à celui d'une auberge espagnole). Ce qui ne veut pas dire pour autant que les finasseries seront absentes si l'on en juge par les propos des uns et des autres. Les Américains nous tordent le bras, se plaint le Haut Comité de négociations. Ce qui n'empêche pas ledit organisme, dûment chapeauté par les Saoudiens, de poser ses conditions. Énumérons : arrêt des bombardements, levée du blocus frappant certaines localités, libération des prisonniers. Question : à supposer satisfaites ces revendications posées en préalable, que resterait-il à discuter dans la cité de Calvin ?
On est loin de la teneur de la feuille de route traçant le parcours à suivre : cessez-le-feu immédiat, gouvernement de transition dans les six mois, élections dans les dix-huit mois. Cela, c'était il y a une éternité, soit décembre 2015. Depuis, tout se déroule comme si, de guerre lasse, les organisateurs d'une rencontre qui n'en sera pas une tentaient de faire l'impasse sur les innombrables points de divergence. La tactique avait été jadis énoncée comme suit par un orfèvre en la matière, l'inoxydable politicien français de la IIIe République Henri Queuille : « Il n'existe pas de problème que l'absence de solution n'ait fini par résoudre. »
(Lire aussi : « Si on veut être optimiste, la réunion de Genève a de faibles chances de réussir »)
Pour avoir une idée des contorsions auxquelles il a fallu se résoudre afin de donner un semblant de sérieux à la conférence il suffirait de prendre connaissance du modus operandi. Au siège des Nations unies, les protagonistes seront installés dans deux pièces séparées, Volker Perthes, directeur de l'Institut allemand pour les affaires étrangères, se chargeant d'assurer la navette. À la demande expresse d'Ankara et malgré l'insistance de Washington à les inclure dans les groupes d'opposants, les Kurdes joueront, à leur grand dam, l'Arlésienne. Quid de Jaych al-islam, cheval de Troie des Saoudiens, de l'ex-vice-Premier ministre Kadri Jamil dont Bachar el-Assad ne voulait à aucun prix, de la représentativité d'une opposition dont il faudrait parler au pluriel tant elle est morcelée, d'une dizaine d'autres noms dont la seule évocation donne des urticaires aux uns ou aux autres ? Motus et bouche cousue, répond ce cachottier d'émissaire onusien qui juge « trop sensible » le sujet.
Malgré ce black-out, chacun s'emploie, « pour la bonne cause », à organiser des fuites savamment calibrées. On sait d'ores et déjà que tout comme al-Nosra, une émanation d'el-Qaëda, Daëch sera absente, que le spectre de l'échec pourrait amener les deux parties à accepter un nouveau report, bien qu'un tel recours soit de nature à servir les objectifs du régime. C'est que, soutenu par les frappes russes ainsi que par l'arrivée de nouvelles armes et d'un nombre impressionnant de munitions, encouragé par les gains territoriaux engrangés ces dernières semaines, boosté par le retour sur la scène internationale de l'indispensable et omniprésent allié iranien, Bachar el-Assad ne semble pas prêt à donner des gages concernant le proche avenir politique, ni même à faire la moindre concession, surtout que ses adversaires continuent à se présenter en rangs épars. Surtout aussi que, sous la férule de l'impétueux Mohammad ben Salmane (Adel Jubeir n'est que l'exécutant d'une politique étrangère définie par le véritable numéro 2 du pays), l'Arabie saoudite de son côté ne se départit pas de son intransigeance. À titre d'exemple, Staffan de Mistura n'a pas oublié qu'en décembre dernier, Riyad avait convoqué ses obligés (Jaych al-islam et Ahrar al-Cham) à une réunion dont il avait été tenu, lui, à l'écart.
Envoyé spécial de la Maison-Blanche, Michael Ratney vient de conseiller aux opposants de « saisir l'occasion qui leur est offerte (les négociations) de mettre à l'épreuve le sérieux du régime » et aussi de parler d'une même voix. Un avis qui, il y a tout lieu de le craindre, risque de ne pas être entendu des Syriens qui ont porté leur incapacité à s'entendre au niveau d'un art justifiant bien mal l'échec.
Blog : Merville Post
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SUR L'ÉCHIQUIER GENEVOIS LE PLAN ET LE CHEMIN À SUIVRE SONT AGRÉÉS... MAIS L'EMPLACEMENT DES PIONS DE CHACUNE DES DEUX PARTIES ( LES PARTIES SE MULTUPLIENT ET L'ÉCHIQUIER N'EST FAIT QUE POUR DEUX) ET LEURS NOMBRES EN SONT L'ENJEU.. ILS PRÉFÈRENT TOUS ALORS LA ROULETTE ET VONT AU "QUITTE OU DOUBLE"...
12 h 23, le 29 janvier 2016