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Liban - Polémique

L’affaire Eléftériadès, ou l’instrumentalisation sociopolitique du « sacré »...

Le nonce apostolique et le ministre de l'Intérieur seraient intervenus pour mettre un terme à la campagne menée contre l'homme d'affaires, Michel Eléftériadès, sous couvert de lutte contre le satanisme.

Michel Eléftériadès assume son excentricité.

La chasse aux adorateurs du diable refait une apparition, de toute évidence arbitraire, au Liban.
La nouvelle traque aurait été déclenchée à la suite d'une « rave party » suspecte, organisée au réveillon du Jour de l'An, à Yahchouch, après avoir été interdite à Bayssour. L'un des organisateurs de la fête ainsi que le contractant ont été interrogés, et le second arrêté pour « chèque sans provisions », selon une source des Forces de sécurité intérieure.
Mais il demeure difficile de comprendre comment cette traque a fini par se focaliser exclusivement sur l'influent homme d'affaires et génie du showbiz, Michel Eléftériadès.
Soupçonné de vénérer le démon pour avoir sculpté des statues de bronze excentriques à ses heures perdues, il a été convoqué, le 6 janvier au commissariat de Bourj Hammoud pour subir un interrogatoire de près de cinq heures. Sa collection privée, qui compte une vingtaine de figures, est, depuis, placée sous scellés dont il a été désigné gardien, sur ordre du procureur général de Baabda.
Le dossier se trouve aujourd'hui aux mains du procureur, auquel tous les éléments ont été déférés par les Forces de sécurité intérieure, comme l'a indiqué une source des FSI à L'Orient-Le Jour.
S'adonnant à la sculpture depuis au moins dix ans, Michel Eléftériadès crée des figures originales sur des thèmes néomarxistes, qu'il lui arrive d'exposer dans son bureau ou d'exhiber à la presse dans le cadre d'interviews. L'une de ces statues représente un cochon-tirelire écrasant, de tout son poids, une tête de mouton égorgé, sur un parterre de pièces de monnaie. « Même quand il est couvert d'or et d'argent, le mouton – symbole du suiveur – est écrasé par le cochon-tirelire, c'est-à-dire le Capital », explique M. Eléftériadès à L'Orient-Le Jour. Les enquêteurs ont cru y déceler le symbole de « Satan qui domine l'homme », rapporte-t-il.
L'homme d'affaires a beau qualifier de « mignon » son cochon-tirelire, sa représentation en sphère lisse, ornée de deux petites excroissances pointues, aurait quelque chose de louche...
Surtout qu'il a, à son actif, une autre sculpture d'une tête de mouton, émincée et ornée de cornes, posée sur un clavier d'ordinateur. Cette allégorie de l'enlisement de l'homme, à son insu, dans l'ère technologique, explique-t-il en substance, s'inspire d'une fable qu'il avait écrite en 2005, intitulée Les Moutons d'or, et qui s'achève sur ce vers : « À ne point résister, on finit toujours égorgés. » Pour les enquêteurs, la tête de mouton, longitudinale et qui se termine en deux pointes tordues, serait curieusement similaire à la croix antonine... renversée.

Un interrogatoire « surréaliste »
L'interrogatoire mené, le 6 janvier, avec Michel Eléftériadès était donc, pour le moins, saugrenu. « Pourquoi sculptez-vous ? Est-ce pour un culte précis ? Vos statues ont-elles une finalité religieuse ? Pourquoi sont-elles aussi peu esthétiques? » lui aurait demandé l'officier menant l'interrogatoire. Ce à quoi il aurait répondu : « Je sculpte parce que j'en ai envie. Un artiste n'est pas dans l'obligation d'expliquer aux forces de l'ordre la raison d'être de ses sculptures. Si vous vous adressez à moi en votre qualité de représentant de l'État, je vous réponds que je n'ai pas enfreint la loi. Si, en revanche, vous me posez la question avec la curiosité d'un critique d'art, je suis disposé à discuter longuement avec vous de mes sculptures. Et peut-être pourriez-vous m'inspirer des idées pour des œuvres futures. »
S'il affirme s'être « délecté intellectuellement de cet échange asymétrique avec les enquêteurs » et avoir « plongé dans l'absurde de Ionesco ou le surréalisme de Luis Buñuel », Michel Eléftériadès ne cache pas sa « gêne » de s'être trouvé dans le devoir de « se justifier et prouver que je ne suis pas un adorateur de Satan ». « Dites-moi comment peut-on prouver une telle chose, comment démontrer la portée d'un ouvrage artistique ? » demande-t-il.

L'ingérence du Centre catholique d'information
Et cette sommation de se justifier a cela de plus oppressant que c'est par les instances non officielles (c'est-à-dire religieuses et sociales) qu'elle est formulée contre lui avec le plus de sévérité.
Après l'ébruitement de l'affaire, le directeur du Centre catholique d'information, le père Abdo Abou Kassm, a multiplié les apparitions médiatiques pour dénoncer le phénomène du satanisme. Il a même organisé une conférence de presse avec des représentants des différentes autorités religieuses, pour dénoncer « un vice qui sévit dans notre société » et mettre l'accent sur l'enjeu de « préserver la famille et les bonnes mœurs ». L'une de ses apparitions à la télévision lui a valu en outre une altercation verbale directe avec Michel Eléftériadès, qui y intervenait au téléphone. En outre, ses interviews à la presse ont permis de révéler son point de vue sur la symbolique des statues controversées : le cochon serait l'un des symboles du diable, par exemple.

L'opinion d'une source universitaire
Une source universitaire autorisée rapporte à L'OLJ succinctement sa lecture de l'affaire :
– D'un point de vue théologique, le cochon serait au pire « une préfiguration du mal », selon les textes coraniques et juifs. Cela sans compter que certains experts – non moins croyants – vont jusqu'à arguer que « ni les anges ni les démons n'existent ».
– Une lecture fondée sur le bon sens conduit en outre la source à s'interroger sur le ressort des autorités religieuses en matière de répression des pratiques satanistes. « Ces pratiques ne sont-elles pas une atteinte à la sécurité, qui devrait relever de la seule compétence des forces de l'ordre ? Pourquoi le Centre catholique s'en mêlerait-il ? Et comment expliquer le souci constant de fédérer les différentes communautés autour des affaires touchant soi-disant aux bonnes mœurs, si ce n'est par la volonté des instances religieuses de maintenir leur autorité de tutelle sur des composantes sociales naïves, frileuses et repliées sur leur appartenance communautaire? »

Le Vatican
Pour sa part, Michel Eléftériadès se désole qu'on puisse encore aujourd'hui « mobiliser une partie non négligeable de l'opinion publique par des accusations archaïques et infondées ». Ce qu'il dénonce surtout, c'est l'écart qui se creuse entre le Vatican et certaines instances de l'Église au Liban. « Il n'est pas permis, à l'heure où le pape François œuvre à révolutionner l'Église et la faire entrer dans la modernité, qu'un curé tente un retour à l'époque de l'Inquisition médiévale au Liban », s'indigne-t-il. C'est dans ce cadre qu'il révèle avoir rendu visite au nonce apostolique, qui se serait montré très réceptif à sa plainte. L'homme d'affaires envisagerait d'adresser une lettre au Vatican.
Contacté par L'OLJ, le père Abou Kassm s'abstient de s'exprimer sur l'affaire de M. Eléftériadès. « Ni je le connais ni je l'ai nommé dans mes interventions, précise-t-il. C'est lui qui a tenté de me mêler dans son affaire. Lorsque certains médias m'ont demandé d'interpréter certains symboles, je ne savais pas qu'on m'interrogeait indirectement sur les statues, affirme le père Abou Kassm. Le CCI n'a pas un rôle policier répressif, mais seulement un rôle d'orientation, une obligation de diriger nos jeunes et nos familles », ajoute-t-il.
Sa récente campagne contre le satanisme a pour « seul fondement » la fête suspecte du Nouvel An à Yahchouch, « qui avait été dénoncée avant tout par les habitants de la localité et ceux de Bayssour », souligne-t-il, tout en précisant que « le CCI ne répond qu'aux prescriptions du patriarcat dans les affaires de mœurs et de censure », conclut-il, démentant par ailleurs toute intervention du nonce apostolique.
Ces facteurs socioreligieux qui se sont greffés sur l'affaire ne sauraient toutefois expliquer les motifs réels des poursuites engagées contre Michel Eléftériadès.
Les premières informations fournies sur ce plan par les FSI avaient fait état de « statues de bronze suspectes » saisies sur les lieux de la fête de Yahchouch. Le fondeur de ces statues, Boulos Bizri, un syrien-arménien qui a son atelier depuis vingt ans à Bourj Hammoud, aurait pour clients des sculpteurs professionnels de renom. La saisine des statues de Michel Eléftériadès, qu'il avait confiées à l'atelier pour des retouches finales, serait le résultat d'une confusion, d'une erreur faite dans la foulée de l'enquête menée avec M. Bizri. D'ailleurs, parmi les statues saisies dans l'atelier, certaines auraient été attribuées à tort à M. Eléftériadès.

Des circonstances floues
Afin de lever l'ambiguïté sur la question, les FSI édulcorent cette version des faits : « La saisine des statues de M. Eléftériadès a été faite par hasard, par une patrouille des FSI de passage à Bourj Hammoud, alertée par la campagne contre le satanisme, et qui les a repérées à travers la vitre de l'atelier », confie la source sécuritaire à L'OLJ.
En somme, ce que l'on retiendra, de sources concordantes, ce sont les faits suivants : les poursuites engagées contre M. Eléftériadès sont sans aucun lien avec la fête de Yahchouch, et, d'une manière générale, sans rapport avec quelque culte de satanisme. Le ridicule de l'affaire a d'ailleurs vivement mécontenté le ministre de l'Intérieur, auquel l'homme d'affaires a tenu à adresser des remerciements.
Un ridicule qui, au Liban, dégage une odeur familière de manipulation politique...


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commentaires (9)

De la foutaise, du blabla , des bêtises!

Salibi Andree

19 h 37, le 24 janvier 2016

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Commentaires (9)

  • De la foutaise, du blabla , des bêtises!

    Salibi Andree

    19 h 37, le 24 janvier 2016

  • L’affaire Eléftériadès, ou l’instrumentalisation sociopolitique du « sacré » L'une de Ses statues représente un cochon-tirelire écrasant, de tout son poids, une tête de mouton égorgé, sur un parterre de pièces de monnaie. QUAND SHOWBIZ,FRIC ET POLITIQUE SE MELENT LE TOUT ASSASONEES DE TETES DE PORCS ARGENTIERS ET DE MOUTONS MILITARISTES ENRAGEES ILS PEUVENT NATURELLEMENET REVEILLER LA BETISE INQUISITORIALE DE POUVOIRS SECURITAIRES DE L'ANIMAL FARM LIBANAIS

    Henrik Yowakim

    16 h 35, le 24 janvier 2016

  • Ils sont fort ces poulets / et autre "instances non-officielles" ! Lorsqu'il s'agit par contre de dénoncer une corruption qui gangrène notre société, ou les abus de ces mêmes "instances" ... circulez y'a rien à voir.

    Khalil S.

    13 h 16, le 23 janvier 2016

  • Et dire que tous les jours surgissent des preuves flagrantes de tous les côtés qu'il se peut que certains adorateurs du diable soient innocents et bien moins nocifs que certains adorateurs de Dieu !!

    Halim Abou Chacra

    12 h 34, le 23 janvier 2016

  • Mais foutez lui la paix a michel. Les adorateurs de satan c'est nos politiciens et pretendument homme de religions qui pensent detenir la verite et gerent le pays comment une porcherie. c'est a eux qu'il faudrait faire le test de l'oeuf

    George Khoury

    12 h 06, le 23 janvier 2016

  • Des "fous furieux", certains de ces maronitiques religieux !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 18, le 23 janvier 2016

  • Un certain mouvement "Christiste" va t'il faire suite au mouvement islamiste ? Le Père Abou Kassm a t'il été déconnecté du calendrier de son iPhone ? Nous sommes au XXIEME siècle mon père ! Fini les chasses aux sorcières ! Au moment où l'on vient de découvrir le charnier des sorcières de Salem, va t'on creuser à Beyrouth des tombes aux sorciers de l'Art et de la culture ? Après l'interdiction du jeu des échecs en Arabie, va t'on interdire la sculpture à Beyrouth ? Alors qu'un ayatollah écervelé interdit l'utilisation du mot vin en Iran, un parti armé tout aussi écervelé interdit les débuts de boisson au Sud. Je ne parlerai pas des cinq films interdits par notre Critique de Cannes Spécialisée du Liban ( critique militaire allant à Front de la Culture à défaut d'ennemis visibles) pour interdire les chef-d'oeuvre cinématographiques....

    Saleh Issal

    08 h 30, le 23 janvier 2016

  • Mais quel pays!!! Ces gens la sont-ils serieux??!! Kafka vit toujours au Liban. Monsieur Eléftériadès, je vous prie d'ecrire une piece de theatre musicale inspiree de votre experience absurde.

    B. Bejjani

    02 h 38, le 23 janvier 2016

  • tout cela n'est pas innocent ..

    Bery tus

    02 h 25, le 23 janvier 2016

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