C'est samedi, vers 22h15, que l'immeuble où résidait Samir Kantar à Jaramana, dans la banlieue de Damas, a été la cible d'une attaque aérienne israélienne. Le cadre du Hezbollah y a perdu la vie, ainsi que plusieurs autres victimes dont le nombre n'a pas été précisé. L'assassinat de Samir Kantar a aussitôt été confirmé par le Hezbollah, ainsi que par son frère, notre confrère Bassam Kantar, à travers son compte Twitter. Des condoléances ont été organisées hier dans la banlieue sud, où le militant sera inhumé aujourd'hui.
Dans un communiqué, le Hezbollah a attribué l'attaque à « un raid des avions de l'ennemi sioniste sur un immeuble résidentiel de la ville de Jaramana ».
Selon des sources bien informées, au moment du raid, Samir Kantar participait à une réunion dans cet appartement, où il était apparemment en compagnie de deux responsables syriens de la résistance nationale (prorégime) et de trois militaires des gardiens de la révolution iranienne. Le Libanais s'y trouvait en sa qualité de fondateur d'un mouvement de résistance druze en Syrie. Toujours selon ces informations, les participants à cette réunion ultrasecrète, tous tués dans l'attaque, auraient engagé un processus visant à préparer la création d'un mouvement de résistance syrienne à partir du Golan, à l'image de la résistance libanaise à Israël, au Liban-Sud.
L'État hébreu n'a pas confirmé son implication dans l'attaque, mais a décrété l'état d'alerte à ses frontières à l'issue de l'incident, ce qui semble confirmer sa responsabilité dans l'attaque, selon les observateurs.
Ces mêmes observateurs notent la facilité avec laquelle l'opération a été menée, malgré la présence russe en Syrie et son système de défense, ce qui pourrait indiquer un aval russe implicite à l'opération. Ce n'est d'ailleurs pas la première attaque israélienne en Syrie, dont l'une, en janvier dernier, avait tué plusieurs cadres du Hezbollah, dont Jihad Moghniyé, le fils de Imad Moghniyé, grand cadre du Hezbollah également tué en Syrie en 2008. Ces mêmes observateurs estiment que, depuis l'intervention russe, l'Iran peine à trouver son rôle dans la crise syrienne : la création de ce mouvement de résistance au Golan aurait eu pour objectif de lui redonner ce rôle. Quel impact aurait donc cet assassinat sur la crise syrienne ?
(Pour mémoire : Samir Kantar visé dans l'explosion de Roueis ?)
Les observateurs ne pensent pas que le Hezbollah, qui par la voix de son secrétaire général commentera l'attaque aujourd'hui, serait prêt à riposter sur le terrain, et ce pour plusieurs raisons : d'une part, le parti est conscient que la riposte israélienne serait très sévère, sachant que les pays de la région ne sont pas prêts, comme en 2006, à contribuer à la reconstruction du pays. Or le Hezbollah ne pourrait pas assumer une nouvelle destruction de grande ampleur. D'autre part, le parti chiite n'a pas réagi à la mort de Jihad Moghniyé, qu'est-ce qui justifierait une riposte à la mort de Samir Kantar, se demande-t-on de mêmes sources.
Le « doyen des prisonniers » durant près de 30 ans
Samir Kantar, 53 ans, est entré dans la résistance contre Israël très jeune, auprès du Front de la libération de la Palestine (FLP). Devenu une personnalité du Hezbollah durant les dernières années de sa vie, il avait auparavant été emprisonné durant près de 30 ans en Israël, accusé du meurtre d'un policier ainsi que de celui d'un père et de sa fille à Nahariya, en 1979. Il y était qualifié de « doyen des prisonniers libanais ». Il avait été libéré en 2008 dans le cadre d'un échange entre le Hezbollah et l'État hébreu, à l'instar de quatre autres prisonniers.
Peu après sa libération, un haut responsable israélien de la sécurité avertissait toutefois que Samir Kantar restait une « cible pour Israël ».
Du côté du régime syrien, le Premier ministre Waël Halaqi a déclaré que « cibler Samir Kantar équivaut à cibler la résistance », sans accuser clairement Israël. L'Iran a condamné cet « assassinat » et « la violation de la souveraineté nationale et de l'intégrité territoriale d'un pays indépendant ».
L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) a confirmé la mort de Samir Kantar qu'il a présenté comme le « chef de la résistance syrienne pour la libération du Golan », un groupe créé depuis deux ans par le Hezbollah pour lancer des opérations dans cette région. D'après l'OSDH, l'aviation israélienne avait visé à plusieurs reprises Samir Kantar en territoire syrien, sans l'atteindre.
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Plusieurs responsables israéliens se sont félicités de la mort de Samir Kantar, mais sans confirmer que les forces israéliennes sont à l'origine de l'opération. La ministre israélienne de la Justice Ayelet Shaked s'est déclarée « heureuse d'avoir appris la nouvelle » de sa mort, mais a tenu à préciser que « l'État d'Israël n'a pas revendiqué » le raid aérien.
« Sa famille savait qu'il allait mourir »
Sur une note plus personnelle, Samir Kantar avait, peu après sa libération, épousé une journaliste libanaise dont il a eu un enfant, aujourd'hui âgé de quatre ans. Il était de confession druze, originaire de Abey, un village près de Aley.
Un ami de la famille, qui n'a pas voulu être identifié, a indiqué à l'AFP que Samir Kantar s'était rendu en Syrie depuis l'annonce, par le chef du Hezbollah, en avril 2013, que sa formation participait aux combats contre les rebelles. « Sa famille savait qu'un jour il allait mourir, a-t-il précisé. Je le connaissais très bien, je le saluais souvent, a témoigné l'un de ses voisins. Il est arrivé hier dans son appartement après s'être absenté pendant plus de deux mois. »
Un correspondant de l'AFP a constaté sur place que des pelleteuses étaient à l'œuvre pour essayer de dégager les décombres de l'immeuble où seraient ensevelis des dizaines de blessés.
Les journaux israéliens ont, de toute évidence, largement relayé les détails de la mort de Samir Kantar, ainsi que les craintes de riposte à la frontière.
« Terrorisme d'État et terrorisme takfiriste »
Autant les opposants que les adhérents à la ligne politique que suivait Samir Kantar ont dénoncé hier, en termes forts, son assassinat. Les leaders druzes n'étaient pas en reste. Le député Walid Joumblatt, chef du Parti socialiste progressiste, a estimé que Kantar « demeurera un symbole de militantisme et de résistance ». « En dépit des divergences dans la position politique vis-à-vis de la crise syrienne, nous dénonçons l'assassinat du militant Samir Kantar dans un raid israélien à Jaramana », a-t-il déclaré.
Le député Talal Arslane, chef du Parti démocratique libanais, a qualifié Samir Kantar de « fierté de la résistance, du Liban et de l'arabité ». Quant au cheikh Akl druze, le cheikh Naïm Hassan, il a lui aussi fortement dénoncé l'assassinat de Kantar.
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« Cette agression abjecte prouve que l'ennemi sioniste poursuit ses opérations criminelles, qui représentent un terrorisme d'État organisé, à l'origine du terrorisme takfiriste », estime pour sa part le mouvement Amal. Même son de cloche du côté de l'ancien président de la République Émile Lahoud, qui n'a pas hésité à déclarer que « l'ennemi sioniste prouve une fois de plus que le terrorisme d'État et le terrorisme takfiriste sont les deux faces d'une même médaille ».
Le Parti syrien national social (PSNS), en la personne de son président Assaad Hardane, a estimé que « l'assassinat de Samir Kantar vient rappeler que le combat doit être dirigé vers cet ennemi criminel ».
D'autres réactions indignées ont été exprimées par des personnalités telles les anciens ministres Fayçal Karamé et Adnane Mansour, le député Kassem Hachem, le chef du Mouvement des nassériens à Saïda Oussama Saad, etc. Même des opposants à la ligne politique de Kantar ont réagi à sa mort : le député Marwan Hamadé a dénoncé « l'assassinat du militant à Jaramana, une zone sûre, ce qui prouve que les Israéliens n'ont pas abandonné leurs méthodes fondées sur le meurtre, la trahison et la destruction ».
Pour mémoire
Contre la venue du Libanais Samir Kantar, les salafistes tunisiens sortent les sabres
Bonne gueule de boucher, cette photo.
15 h 21, le 21 décembre 2015