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Culture - Musique

Rakans, l’ouragan imprévisible

Le jeune Rakan Suleiman livre huit morceaux expérimentaux avec son premier album « Lujäh », soit autant d'hymnes à la tolérance, à la liberté et à l'acceptation de soi-même.

« Je n’ai pas peur d’être au contact de ma féminité car, grâce à cela, depuis que je sais me mettre à la place des autres, je me sens en capacité de mieux comprendre le monde.» Photo Mohammad Moe Sabbah

Cela le démangeait à chaque fin d'année. Le spectacle de l'école était le moment de gloire de Rakan Suleiman, alias Rakans. L'artiste a grandi avec cette passion de la performance scénique, que ce soit de la danse ou du chant. «Je me suis focalisé sur mes études par la suite car je ne savais pas ce que l'avenir me réservait. Mais, adolescent, je sentais que quelque chose me manquait», confesse le musicien de 26 ans qui a appris à composer au clavier et sur ordinateur de manière autodidacte récemment.
En 2012, le jeune homme a un déclic: il choisit de «ne plus se laisser dicter ce qu'il doit faire (ou être) par la société». À la même période, il rencontre le producteur et musicien Zeid Hamdan. Ensemble, ils enregistrent un morceau électronique, mais cela ne plaît pas à Rakan, qui travaille alors plusieurs nouvelles compositions pendant un an. Après avoir été séduit par les démos, Zeid Hamdan et le jeune artiste s'enferment à nouveau dans un studio, bientôt rejoints par Marc Codsi, du duo LUMI. «Zeid a un style très acoustique, tandis que le son de Marc est davantage électronique et nerveux. Les deux musiciens ont des sonorités très différentes, comme certains de mes morceaux, et c'est cela qui m'a plu», explique Rakan Suleiman.

 

 

 

Éponge artistique
Directeur artistique pour plusieurs agences de pub le jour, chanteur déluré la nuit, Rakan(s) malaxe pop et dance, électro et musique industrielle sans vergogne dans son album Lujäh. Il n'a pas le sentiment d'appartenir à un genre spécifique, la musique expérimentale s'impose à lui, qui se considère comme «une éponge». Le Beyrouthin – aux origines palestiniennes et allemandes – s'alimente de musiques diverses. Sans se soucier de leur provenance, il les emmagasine et les digère longuement. «J'aime Blurt, Nine Inch Nails, mais j'adore aussi Rihanna et Lady Gaga», explique-t-il en souriant. «J'ai mis longtemps à mettre des mots sur ce que je faisais. Je crois que j'invente de la pop avant-gardiste», estime-t-il. 911 rappelle les mélodies anxiogènes de Marilyn Manson, Redsulfur possède les gimmicks sonores de MIA, tandis que Luci emprunte la funk de Prince et le flegme de Jamiroquai. Lujäh est un grand-huit sonore, sonique et éprouvant qui en laissera plus d'un sur la touche. À l'inverse, ceux qui parviendront à pénétrer son monde devraient en ressortir étourdis et enrichis par le flot de sons, de mots et de couleurs.
Selon le musicien, cette dispersion tient au fait que ce premier album est «plus un voyage mental qu'une création», ayant tenté de concentrer tous ses sentiments les plus extrêmes au sein de son œuvre. De la joie pure aux pensées les plus sombres vis-à-vis de la société consumériste et du monde actuel, Lujäh passe de l'ombre à la lumière en un clin d'œil. «Toutes ces chansons viennent d'expériences que j'ai vécues, que j'ai surpassées. J'ai souhaité incorporer ces hauts et ces bas dans ma musique, car tu ne peux être fort que lorsque tu montres tes sentiments. C'est pour cela que je n'ai pas peur de les montrer.» Toucher un auditeur avec sa musique est ce qui l'émeut le plus : «C'est comme donner du mouvement aux émotions», explique celui qui partage désormais sa vie entre le Liban et l'Allemagne.

 

Alléluia sarcastique
Lujäh devait au départ s'appeler Alléluia, mais cela sonnait trop pacifique et religieusement connoté. Le musicien a alors imaginé le terme Lujäh «pour exprimer le sarcasme et son désaccord avec les croyances trompeuses», mais surtout pour «critiquer de manière constructive la société actuelle». «Les médias, les réseaux sociaux et, plus généralement, la société te disent toujours ce que tu dois être et comment tu dois y parvenir», s'indigne l'artiste. Aussi, le sarcasme n'est jamais loin lorsqu'il parle de ses chaussures Louboutin en singeant un accent américain dans sa chanson Bow Bow Bow. Il critique ainsi «ceux qui se cachent derrière leurs apparences pour oublier la vérité et la dureté du monde contemporain». La chanson Neophobia, courte mise en bouche qui ouvre l'album énergiquement, est un clin d'œil à ceux qui sont «effrayés par le changement au sein de la société, au Moyen-Orient ou en Europe, mais qui supportent tout ce qui vient de l'étranger».
Pourtant, Rakans prête une réelle attention aux aspects visuels de ses œuvres, ses vidéoclips colorés et fantasques en sont une preuve flagrante. «Quelquefois les images sont 100 fois plus parlantes que les mots.» Dans sa musique, dans sa manière de chanter, une dualité se fait. L'artiste n'hésite pas à se mettre dans la peau de deux personnages, pour se montrer tel qu'il est, avec ses contradictions. «D'un côté, il y a un personnage coloré qui est très libre dans tout ce qu'il veut faire. De l'autre, une entité plus conservatrice, qui se remet en cause, qui attend qu'on lui dise quoi faire, et qui se pose lui-même des limites.» C'est justement ce dernier qui apparaît sur la couverture de l'album, avec une robe et des gants noirs.
Ce premier album est l'histoire d'une acceptation. La sienne. Dans la chanson Lujäh, Rakans chante «I don't wanna be a different version of me» (Je ne veux pas devenir une version différente de ce que je suis). «Je n'hésite pas à montrer mon côté féminin et féministe à travers mes vêtements et mon comportement. Je n'ai pas peur d'être au contact de ma féminité car, grâce à cela, depuis que je sais me mettre à la place des autres, je me sens en capacité de mieux comprendre le monde», insiste le jeune homme qui prône la tolérance et le respect de la différence. Sa musique bouscule tout sur son passage, mais connaît très bien sa direction: foncer, sans s'arrêter, droit vers sa liberté.

* L'album « Lujäh » de Rakans est en écoute gratuite ici

Cela le démangeait à chaque fin d'année. Le spectacle de l'école était le moment de gloire de Rakan Suleiman, alias Rakans. L'artiste a grandi avec cette passion de la performance scénique, que ce soit de la danse ou du chant. «Je me suis focalisé sur mes études par la suite car je ne savais pas ce que l'avenir me réservait. Mais, adolescent, je sentais que quelque chose me...

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