En dépit des développements importants sur la scène régionale, un événement local a dominé la scène libanaise au cours des derniers jours : l'annonce d'une rencontre entre le chef du courant du Futur Saad Hariri et le chef des Marada Sleiman Frangié. Une information qui a eu l'effet d'un séisme politique, surtout qu'elle a été considérée comme le prélude à un compromis sur l'élection présidentielle, alors que la tendance générale était de considérer que ce dossier est reporté pour quelques mois au moins. Ce fut aussitôt un branle-bas de combat dans l'ensemble du monde politique, chacun voulant d'abord savoir (une particularité purement libanaise) si cette démarche dispose d'une couverture politique et régionale et ensuite si l'accord a bel et bien été conclu et sur quels points il repose.
C'est surtout dans les milieux chrétiens, du 14 et du 8 Mars et alliés, que la surprise était totale, sachant que ni Saad Hariri ni Sleiman Frangié n'avaient tenu leurs partenaires chrétiens au courant de leur rencontre. Au contraire, ils ont d'abord commencé par nier qu'elle ait eu lieu, officiellement pour des raisons de sécurité, en réalité pour prendre le temps chacun de son côté d'en convaincre leurs alliés respectifs. L'information aurait donc été divulguée par la presse trop tôt, sciemment par une partie qui souhaite l'échec de cette initiative, ou tout simplement par pur hasard. Toujours est-il que sur la base d'efforts déployés par l'homme d'affaires Gilbert Chaghouri, proche à la fois du leader de Zghorta et du président de la Chambre, la rencontre a donc eu lieu « dans un climat constructif », disent ceux qui en ont été informés, et avec un feu vert régional et international.
Selon les organisateurs de la rencontre, le moment était particulièrement bien choisi : pour Saad Hariri, le retour au Liban et en particulier à la tête de la présidence du Conseil est devenu une urgence, en raison de l'état désastreux de ses affaires en Arabie et aussi parce qu'au sein du courant du Futur, les tiraillements se font de plus en plus aigus, en l'absence du chef. Au point que Mme Bahia Hariri est en train, depuis quelques semaines, de rouvrir régulièrement le domicile de Saad Hariri au centre- ville pour recadrer le leadership du courant du Futur, de plus en plus dispersé. En même temps, le pari de Saad Hariri sur la chute du président syrien et de son régime, avec un affaiblissement du Hezbollah qui devait l'accompagner, a montré ses limites. Cinq ans après le début de la guerre, le président syrien est encore là et il est devenu un partenaire pratiquement indispensable pour la période transitoire et même au-delà. Faisant preuve de pragmatisme politique et parce qu'il est important pour lui de revenir aux commandes au Liban, Saad Hariri a estimé que le seul moyen de parvenir à ses fins est d'accepter un président du 8 Mars, qui a, en plus, de bonnes relations avec le régime syrien qu'il pourrait éventuellement mettre à profit pour rapprocher les courants internes et permettre ainsi une relance de la vie politique, institutionnelle et économique du pays.
En acceptant Sleiman Frangié à la présidence, Saad Hariri sait en effet qu'il est en train de placer à la tête de l'État un président ferme, qui ne cache pas ses positions politiques. C'est un allié du Hezbollah et du régime syrien et il est ouvertement dans un axe hostile à celui du 14 Mars au sujet des options régionales. De plus, il fait partie des quatre pôles chrétiens consacrés par la fameuse réunion de Bkerké, il a sa propre assise populaire et un bloc parlementaire. Mais à ce stade des développements, M. Hariri estime que les échéances régionales ne sont plus les plus importantes puisque, après tout, l'Occident lui-même est en train de revoir ses positions à l'égard du régime syrien, la priorité étant à la lutte contre le terrorisme. C'est pourquoi, avec son interlocuteur, il a essentiellement évoqué les questions internes, notamment l'accord de Taëf et la nécessité d'adopter une loi électorale qui assure une représentation équitable pour toutes les communautés.
Face aux dispositions de M. Hariri, Sleiman Frangié pouvait en toute bonne foi estimer qu'il était en train de faire remporter à son camp une grande victoire, lui qui a depuis le début affirmé que son candidat est le général Michel Aoun, mais si pour une raison ou une autre, ce dernier se retirait, c'est lui qui deviendrait le candidat du 8 Mars. Pendant un an et huit mois, il a donc en toute honnêteté laissé sa chance au général Aoun, et même lorsque Saad Hariri l'a approché, il n'a jamais été question pour lui de prendre une décision ou de s'engager dans un accord quel qu'il soit, sans en référer à ses alliés. Mais l'information l'a devancé, dans une volonté de court-circuiter le projet.
Après la publication de la nouvelle sur la rencontre entre les deux hommes, le malaise était d'ailleurs palpable, au sein du 14 Mars et dans celui du 8 Mars et de ses alliés. Un peu comme lorsque la nouvelle de la rencontre entre le général Michel Aoun et Saad Hariri, tenue il y a bientôt deux ans, avait été connue. Là aussi, Aoun n'en avait pas parlé à Sleiman Frangié, tout comme Saad Hariri n'en avait pas parlé à ses alliés chrétiens. Le projet n'avait d'ailleurs pas abouti et aujourd'hui, certains cherchent à faire échouer cette nouvelle tentative, chacun pour ses propres raisons. La démarche est compréhensible au sein du 14 Mars, parce qu'elle concrétise un sentiment d'échec avec l'élection du leader chrétien le plus marqué aux côtés de la résistance et de Bachar el-Assad. Elle l'est moins du côté du 8 Mars et de ses alliés, d'autant que, contrairement à ce qui se dit dans les médias, il n'y a eu aucune entente entre Frangié et Hariri sur le maintien de la loi électorale actuelle ou sur le refus de la proportionnelle. Simplement, et à juste titre, le courant aouniste s'est senti trahi, lui qui considérait son chef comme le favori.
Toujours est-il que la proposition actuelle est, pour l'instant, une façon de sonder le terrain, sans engagement d'aucune sorte et avec la possibilité de discuter de tous les sujets, maintenant ou après l'élection, sachant que Aoun et Frangié sont des alliés. Aoun a certes une assise populaire plus large, celle de Frangié est en tout cas réelle et constante.
Peut-on donc dire aujourd'hui que cette initiative a tourné court ? Les organisateurs de la rencontre continuent de miser sur son aboutissement. Selon eux, la rencontre entre le chef du CPL Gebran Bassil et Sleiman Frangié, dimanche soir, a permis d'ouvrir la voie à une discussion franche et amicale, d'autant que Frangié considère son arrivée à Baabda comme une victoire pour ses alliés et pour le général Aoun en particulier, puisqu'elle va dans le sens de ses positions. Enfin, le Hezbollah, qui a évité jusque-là de se prononcer officiellement sur le sujet, a fait savoir à tous les intéressés qu'il n'est pas question pour lui de lâcher le général Aoun. Ce dernier reste son candidat numéro 1 tant qu'il le souhaite. La balle est donc dans le camp des deux alliés, Aoun et Frangié.
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commentaires (9)
LA REMARQUE SUR SAAD HARIRI EST DU MOINS OFFOSANTE ET JE PROPOSE À LA TRÈS CHÈRE MADAME SCARLETT HADDAD DE S'EN EXCUSER LE PLUS VITE !
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 24, le 01 décembre 2015