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Liban - Conférence

Comment ils ont réveillé nos peurs ancestrales en utilisant des boucs émissaires

Une table ronde, l'image et la terreur « nouvelle vague », a été organisée dans le cadre du Salon du livre autour de la construction et de l'exploitation visuelle.

Face aux manipulations de l'image photographique, qui devient une image de propagande terroriste, comment le photographe conçoit-il la photo qu'il va prendre, lui qui est aux devants de toute communication, comment doit-on lire cette image et comment cette image est-elle diffusée ?
Devant un parterre de professionnels du domaine médiatique, trois spécialistes ont partagé leur expérience au cours d'une conférence qui s'est tenue à ce sujet au Salon du livre.
Le phénomène d'exploitation de l'image s'est récemment intensifié vu la montée du terrorisme et l'exacerbation des conflits dans diverses zones géographiques à l'échelle de la planète, notamment au Moyen-Orient : c'est autour de ce sujet très actuel que s'est déroulée la table ronde organisée par l'Association des francophones de journalisme (Afej) ayant pour titre L'image ou la terreur (nouvelle vague) / Aylan (le petit naufragé kurde) et Daech (l'État islamique) en perspectives. Les invités de ce débat modéré par Youmna Chacar Ghorayeb étaient le directeur-photo de l'AFP Moyen-Orient Patrick Baz ; le consultant en image et professeur à l'USJ Rabih Haddad, et Stéphane Bazan, directeur en Web sciences et éducation à la société Keeward.

L'impact de l'image
Patrick Baz entame directement le débat en donnant comme exemple l'impact qu'a eu sur le public la photo d'Aylan. Pour lui, « le message était bien défini : c'était le retour de vacances des Européens et l'image a réveillé une mémoire visuelle des enfants sur la plage, une photo sans présence de sang, sans indice de danger immédiat, une image tout en douceur mais qui a provoqué un choc international ». Alors qu'une autre image, qui aurait dû avoir plus d'impact d'après le directeur-photo, est celle des réfugiés palestiniens à Yarmouk. Elle comprend toutes les composantes des photos de guerre : destruction, réfugiés, peur, rappelant plusieurs photos similaires de la Seconde Guerre mondiale. Mais publiée au mauvais timing, un moment où les gens n'étaient plus intéressés, elle ne fera pas de remous.

Les photographes parlent avec la lumière
Pour donner un aperçu sur sa technique photo, Patrick Baz explique que « le photographe voit avec un œil spécifique ; la photo est le résultat d'un instant fugace, elle montre une partie de la réalité, même si elle devrait toujours intégrer les cinq W ». Le journaliste écrit avec des mots, le photographe parle avec la lumière. Quant à la personne qui regarde, la perception du message transmis par l'image dépendra de son bagage intellectuel.
Autre point que M. Baz souligne : l'ampleur médiatique des images des exécutions de Daech. Pourquoi cette répercussion mondiale alors que les exécutions existent depuis la nuit des temps ? « C'est tout simplement que l'image de nos jours est à la portée de tout le monde grâce à l'Internet. Tout est photographié, enregistré. L'AFP diffuse 3 000 photos par jour, beaucoup sont censurées : trop de sang, des scènes brutales qui ne vont rien apporter. » Les médias s'autocensurent.

Comment interpréter le message ?
Sur le plan de la lecture du message, Rabih Haddad entame son exposé en parlant de l'industrie du cinéma qui, semble-il, « est née dans la duplicité ». Il donne comme exemple le film du couronnement du roi Édouard VII qui est une reconstruction filmée dans les studios de Montreuil trois jours avant le jour J. Ou bien les longs métrages comme The Birth of a Nation de D.W. Griffith qui a changé l'histoire de la guerre. Ainsi la fiction créée à partir de la réalité donne des archétypes qu'elle réinjecte dans la réalité. « C'est ainsi que Daech procède pour atteindre ses trois buts : recruter des volontaires en Occident, déstabiliser cet Occident sans frontière aucune, apeurer l'islam moderne et terroriser la population. Tout cela selon un dessein bien conçu : réveiller nos peurs ancestrales en utilisant des boucs émissaires, les images. »
L'esthétique de la communication, quant à elle, suit un scénario d'entertainment à l'américaine. Ici, Rabih Haddad donne des exemples typiques d'images comparatives de propagande de Daech : celles des films Mad Max, Indiana Jones ou du jeu Call of Duty. La similitude des postures, du choix des véhicules, des pauses des personnages est édifiante. Toute une gestuelle, une mise en scène pour faire rêver une génération de recrutés potentiels.
Pour conclure, Rabih Haddad constate que Daech a terminé une 1re étape, celle de la communication et des conquêtes, pour entamer la 2e, la consolidation de son « califat ». Toute une stratégie pour en fin de compte copier un résultat à l'américaine : la victoire des USA sur la Russie par l'image.

La photo est multipliée à l'infini
La troisième partie de la table ronde étant consacrée aux procédés de diffusion des images, c'est au tour de Stéphane Bazan de partager son savoir. Spécialisé en Web sciences, Stéphane Bazan commence sa causerie en affirmant « qu'il n'existe aucun moyen de nos jours de ne pas savoir ce qui se passe. On peut observer le monde entier grâce aux outils que l'on a construits. L'Internet constituant le meilleur exemple. »
M. Bazan estime aussi que « la force de la communication des jihadistes réside dans une propagande véhiculée avec deux types de supercheries : on ne peut voir que les images qu'ils diffusent sans pouvoir les supprimer. Elles sont sur tous les services médiatiques. L'identité numérique devient ainsi une identité personnelle, celle du monde que l'on voit ». L'impact du Web, donc de la photo, est multiplié à l'infini. Tout cela pour que Daech atteigne ses trois objectifs : structurer sa communication ;
montrer ce qu'est Daech, se structurer lui-même en informant sur les résultats des opérations par messages politico-militaires internes sur des sites bien précis ; et en dernier, édifier la constitution d'un cybercalifat pour lutter contre el-Qaëda.
Toutes ces tactiques indiquent que ce ne sont pas des amateurs qui prennent en charge cette communication, mais nécessairement des consultants de grosses boîtes de communication.

Comment protéger les jeunes ?
Après les participants, c'est au tour du public d'intervenir. En réponse à une question relative à la protection des jeunes, M. Bazan souligne qu'il faudrait promouvoir un raisonnement, un outil de réflexion pour étudier les raisons en posant les bonnes questions. Les réseaux sociaux, de leur côté, font leur possible : Facebook annule chaque semaine quelque 6 000 pages de jihadistes.
Comment réagir donc ? En informant encore et encore. Car « l'élément le plus violent en société est l'ignorance » (Emma Goldman).

Myrna ZAHHAR
Afej

Face aux manipulations de l'image photographique, qui devient une image de propagande terroriste, comment le photographe conçoit-il la photo qu'il va prendre, lui qui est aux devants de toute communication, comment doit-on lire cette image et comment cette image est-elle diffusée ?Devant un parterre de professionnels du domaine médiatique, trois spécialistes ont partagé leur expérience au cours d'une conférence qui s'est tenue à ce sujet au Salon du livre.Le phénomène d'exploitation de l'image s'est récemment intensifié vu la montée du terrorisme et l'exacerbation des conflits dans diverses zones géographiques à l'échelle de la planète, notamment au Moyen-Orient : c'est autour de ce sujet très actuel que s'est déroulée la table ronde organisée par l'Association des francophones de journalisme (Afej) ayant pour titre...
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