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Liban - Tribune

Arrêtez de bombarder les hôpitaux !

Kunduz, Afghanistan, 36°43'4.52''N, 68°51'43.09''E
Le 3 octobre, aux environs de deux heures du matin, un raid aérien mené par les forces spéciales américaines a commencé à cibler le bâtiment central de l'hôpital de Kunduz, Afghanistan. Plusieurs tours de bombardement ont suivi, entraînant la destruction complète du bâtiment central de l'hôpital de Médecins sans frontières. Cette attaque, qu'on peut aussi qualifier de massacre, a eu des conséquences dramatiques : 30 personnes ont perdu la vie : 10 patients, 13 membres du personnel de MSF et 7 autres dont les corps n'ont pas encore pu être identifiés. Trente-sept autres personnes – dont 19 membres du personnel MSF – ont été blessées dans cette attaque sans précédent pour notre organisation. Et malgré les demandes répétées de MSF de faire cesser le bombardement de l'hôpital, le raid s'est poursuivi pendant plus d'une heure.
L'hôpital de MSF à Kunduz, opérationnel depuis 2011, est l'un des rares centres de traumatologie en fonction dans le nord de l'Afghanistan. Des milliers d'interventions chirurgicales y sont effectuées chaque année et une assistance médicale essentielle y est fournie à tous les patients qui en ont besoin. Il avait été ouvert après de longues négociations avec toutes les parties, afin de garantir la possibilité de soigner tous les blessés, qu'ils soient civils ou soldats hors d'état de combattre, sans distinction d'origine ni d'affiliation politique, conformément aux conventions de Genève. Dans la semaine qui a précédé cette terrible attaque contre notre hôpital, 394 patients étaient ainsi pris en charge après avoir été blessés dans les récents affrontements à l'intérieur et aux alentours de la ville. Au moment de l'attaque, 105 patients et 80 membres du personnel se trouvaient dans l'hôpital.
Le 27 octobre, l'hôpital de Haydan au Yémen est également bombardé par la coalition arabe en guerre avec les rebelles houthis. En réaction aux premières bombes, l'hôpital a pu être évacué, évitant des pertes humaines, mais la population de la province de Saada est privée du seul centre hospitalier à disposition d'une population de 200 000 personnes. C'est le 20e hôpital à être détruit de la sorte, dans une guerre où les structures de soins, les écoles, les marchés, les infrastructures civiles sont quotidiennement ciblés au même titre que des objectifs militaires.
Au-delà de l'intense douleur que nous ressentons quand on perd des collègues et des patients dans des circonstances aussi dramatiques, la question « pourquoi ? » nous vient très rapidement à l'esprit. C'est la raison pour laquelle MSF a immédiatement – après ces terribles événements – demandé une enquête indépendante afin d'élucider les circonstances entourant le massacre à Kunduz et d'obtenir des explications. La compréhension des raisons d'une attaque contre la mission médicale est essentielle afin d'évaluer les risques, pour nos équipes, de continuer à opérer dans un environnement hostile, en Afghanistan et au-delà. Lorsqu'un hôpital est détruit, ce sont des milliers de personnes qui sont privées de soins vitaux, et c'est donc pour les populations la possibilité même de survivre au cœur du conflit qui est en jeu.
Au fond, les armées régulières et forces spéciales se considèrent-elles encore liées par leurs engagements de respect des structures médicales actives en zone de conflit ? Dans leurs divers communiqués, les responsables se cachent systématiquement derrière des explications de type « dommages collatéraux », erreurs malheureuses ou, de manière perverse, rejettent la faute sur les médicaux qui soignent les blessés de la partie adverse.
Mais un hôpital fonctionnel ne se bombarde pas, tout simplement, et sous aucune circonstance ! Il ne s'agit pas – pour nous – seulement du respect de la législation internationale, notamment les conventions de Genève, qui visent à épargner la population civile des effets dévastateurs de la guerre ; ou du respect des « rules of engagement » des armées modernes, qui interdisent – y compris en cas de présence de combattants actifs dans la structure médicale – les attaques sans qu'un avertissement ne soit donné, permettant l'évacuation de la structure. Il s'agit surtout de bon sens : un hôpital avec son personnel et ses patients à l'intérieur ne se bombarde pas !
Un hôpital est le lieu dans lequel se concentrent les plus vulnérables en temps de guerre : les malades et les blessés. C'est un lieu d'espoir, un lieu d'humanité au centre d'un chaos souvent meurtrier. Pour la population prise au piège d'un conflit armé, les structures des soins médicaux sont l'assurance que si – par malchance – on se trouve entre les lignes de feu, on peut se faire soigner ; qu'on peut recevoir de l'attention médicale et humaine ; qu'on ne va pas mourir tout seul ! Le fait de s'attaquer aux hôpitaux est une barbarie comparable aux pires exactions vécues en temps modernes.
Que dirait n'importe quel peuple au monde si d'un moment à l'autre ses hôpitaux de proximité étaient pulvérisés, que toute possibilité de recevoir des soins médicaux était détruite ? Peut-on demander aux Afghans, aux Syriens ou au Yéménites de subir ce qu'aucun être humain n'acceptera jamais ? La violence n'a pas de place dans une structure de santé.
Malheureusement, s'ils sont spécifiques, les événements de Kunduz et de Haydan ne sont pas des cas isolés. Les structures de santé sont – d'une manière incompréhensible – devenues une partie intégrante de la zone de guerre. De l'Afghanistan au Yémen, de la Syrie aux deux Soudans, de l'Irak à la Somalie. Et nos collègues – médecins, paramédicaux et personnel d'appui – payent souvent le prix fort. Ce n'est pas seulement un problème pour MSF, mais surtout un grave problème pour tous les professionnels de la santé travaillant dans les pays en conflit, et par conséquent pour des millions de personnes vivant aujourd'hui dans les théâtres de la guerre contemporaine.
Dans un monde qui est en train de se radicaliser, où la logique du « vous êtes soit avec nous soit contre nous » a gagné du terrain de part et d'autre du spectre des acteurs, où les espaces de négociation et de compromis sont réduits comme peau de chagrin, l'action humanitaire – a fortiori médicale – en faveur des populations court le risque d'être sacrifiée au nom de raisons supérieures toujours plus cyniques. La fin justifie les moyens, indépendamment de quelconque principe ou valeur. Comment s'étonner ensuite du niveau de désespoir qui pousse des populations entières sur les routes de l'exil à la recherche d'un avenir possible ? Certains dirons : « Rien de nouveau, la guerre est une sale entreprise. » Nous disons : s'il n'y a plus d'espace d'humanité en temps de guerre, la civilisation humaine entière perdra à long terme. De ce fait, il est de la responsabilité de tous de se mobiliser et de demander d'une manière insistante aux politiques, gouvernements et groupes armés non étatiques de respecter les espaces des soins médicaux.

*Tammam Aloudat est directeur médical adjoint de Médecins sans frontières.

Kunduz, Afghanistan, 36°43'4.52''N, 68°51'43.09''ELe 3 octobre, aux environs de deux heures du matin, un raid aérien mené par les forces spéciales américaines a commencé à cibler le bâtiment central de l'hôpital de Kunduz, Afghanistan. Plusieurs tours de bombardement ont suivi, entraînant la destruction complète du bâtiment central de l'hôpital de Médecins sans frontières. Cette attaque, qu'on peut aussi qualifier de massacre, a eu des conséquences dramatiques : 30 personnes ont perdu la vie : 10 patients, 13 membres du personnel de MSF et 7 autres dont les corps n'ont pas encore pu être identifiés. Trente-sept autres personnes – dont 19 membres du personnel MSF – ont été blessées dans cette attaque sans précédent pour notre organisation. Et malgré les demandes répétées de MSF de faire cesser le...
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