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Culture - La course aux prix

Le triangle amoureux pour retrouver Racine

Parler d'un couple ordinaire où les élans du cœur ne sont pas partagés pour mieux jeter la lumière sur Racine, seigneur du langage et des passions : voilà un défi et une gageure que relève Nathalie Azoulai, dont le dernier roman « Titus n'aimait pas Bérénice » (P.O.L. – 315 pages) est dans l'œil de la tornade de tous les prix de la rentrée.

Nathalie Azoulai est sélectionnée aux Prix Goncourt, Medicis et Femina. Elle a déjà remporté celui du Choix de l’Orient décerné au cours du Salon du livre de Beyrouth.

A aime B qui aime C... Équation à trois inconnu(e)s que tous les bacheliers ont cogitée en passant par les somptueuses beautés des textes dramaturgiques de Jean Racine ! À l'ombrelle de cette déroutante formule des intermittences du cœur, qui a désarçonné plus d'un étudiant et secoué l'algèbre de ses valeurs morales, Nathalie Azoulai brode un palpitant roman à caractère de reconstruction historique et littéraire, d'une histoire dans l'histoire.
Histoire d'un couple moderne qui affronte la même situation d'abandon, de séparation et de rupture que celle d'un empereur et d'une reine. Et surgissent au-devant des pages Titus et Bérénice, personnages éminemment raciniens, ainsi que la limpidité de leurs dialogues en vers faussement cristallins. Qu'ils échangent, sur un ton de protocole compassionnel, loin de toute vraie transparence. Dialogues en arrière-fond de clair-obscur qui enserrent dans l'éclat de leur somptueuse rhétorique une masse de noirceur, de non-dits, de subtils méandres, comme des rivières tortueuses et boueuses, cachées par la densité des forêts toujours à l'avant-plan...

En un puzzle adroit et futé, l'auteure fait alterner les scènes et joue avec les fuseaux horaires, les frontières du temps, les costumes d'époque, les calèches, les perruques, les jabots, les canons de dentelle et les répliques entre théâtre et psychanalyse. Pour mieux dégager la stature de Jean Racine, le plus illustre des écrivains classiques du XVIIe siècle, le siècle le plus éclairé.
Une sorte de biographie maquillée en œuvre de fiction mais où ressuscite l'orchestrateur de l'hagiographie du Roi-Soleil ainsi que le plus brillant orfèvre des mots français, le ciseleur émérite des vers les plus sonores, l'analyste des profondeurs humaines, le rebelle de l'abbaye de Port Royal, le janséniste qui a royalement vécu de sa plume...

Pour les passions, toujours irrationnelles, Nathalie Azoulai (sélectionnée parmi les 4 finalistes du Goncourt, ainsi que pour les prix Médicis et Femina et ayant déjà remporté, au cours du week-end de clôture du Salon du livre de Beyrouth, le Choix de l'Orient), au bout de son sixième roman, se place non seulement du côté des chagrins d'amour ou du cortège millénaire des déceptions sentimentales, mais s'attache à dégager les lignes de force du langage à travers Racine qui avait à lutter contre Molière et Corneille.
Le langage, loin d'être toujours clarté et rayonnement, paravent inattendu pour la vérité et la transparence, est aussi source de malentendus, de secret, de mystère, de combat. Le langage et la langue sont une chimie à manipuler avec attention et précaution.
Dans le désir de l'amour et l'or des mots, de leur pouvoir non incantatoire ou musical, parfois délétère et meurtrier, cela peut exploser, détonner. Tout en camouflant soigneusement la part d'érudition dans la connaissance du grand siècle, l'auteure de Mère agitée s'applique à vider les tiroirs de l'emploi de la langue racinienne, toute en finesse, richesse et subtilité, ainsi que les amours d'un poète de cour avec ses explorations, presque cliniques, des plis et replis de l'âme humaine.

Sur ce thème insaisissable de ce qui brûle les corps et les esprits et qu'on n'a pas fini de sonder, voilà un roman qui consume le lecteur pour mieux le rattacher, par-delà tout deuil, chagrin ou douleur, à l'art de créer. Et de ramener peut-être l'amour, ce sentiment toujours inconnu et brûlant (au sens propre et figuré), à une dimension plus perceptible, plus claire.
Mais peut-on vraiment expliquer tout cela ? Nathalie Azoulai, par-delà ses nombreuses questions et investigations, ne donne pas non plus des réponses à cette énigme des histoires de cœur. Par-delà poésie et imaginaire, à tout ce qui attache et fait courir et transir les êtres, le cœur est obstinément une porte fermée dont on ne retrouve pas facilement la (ou les!) clef(s)...
Reste toutefois cette éclairante et originale approche biographique de Racine. Un nouveau bréviaire littéraire !

 

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