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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Remettre nos pendules à l’heure

Le week-end dernier, pour les chanceux qui étaient (encore) là, la «nightlife » se décarcassait, elle avait le vent en poupe et retrouvait toute sa splendeur. Pourquoi ? Nous sommes passés à l'heure d'hiver, les nuits se sont prolongées. Mais elles ont surtout été ponctuées par un bourgeonnement d'événements culturels et artistiques venus réveiller un pays Belle au Bois dormant et ronflant...

Photo Carl Halal

Dans la nuit de samedi à dimanche dernier, le Liban est passé à l'heure d'hiver et les « fracasseurs » de réveil se sont rendormis tout guillerets d'avoir gagné un répit duveteux inespéré. Vu l'état de déliquescence de notre brave vivre-ensemble, étant donné la violence des affrontements publics et l'amplification des acrimonies privées, il serait intéressant pour une bonne partie de notre cher et vieux pays, secoué par une hystérie morbide, de dérégler son horloge interne et de s'endormir pour le compte jusqu'au passage à l'heure d'été. Au minimum...Car nous osons espérer que nos Rambo et autres desperados politiques en profiteront pour se mettre un bonnet sur le crâne et un cacheton sous la langue. Là, étonnées, nos grandes oreilles n'enregistreront plus, depuis les soupentes de ces quelques institutions branlantes, que les trémolos d'un ronflement régulier. Cette cure de sommeil impromptue aura des avantages évidents, alors que nos problèmes sembleront hiberner, plantigrades enfin tout miel.

Autruches ensablées
Sur la pointe des babouches, la nuit étendra donc désormais son règne sur le coup des 17 heures, au moment où les réverbères qui grésillent au néon seront déjà délicieusement brûlants. Leur lumière incertaine masquera alors le sempiternel décor des soirs de cet été meurtrier : les citernes ronronnant retiendront leur respiration, les amoncelllements de déchets se feront discrets, les tuyaux lacérés se soigneront et les voies barrées, barricadées se détendront sous nos yeux. Toutes ces choses seront là, à leur place, certes, figées et visqueuses comme de la résine pourrie, mais l'obscurité débarquée avant l'heure les recouvrira pour nous de son voile ténébreux. Elle nous les fera oublier, et tant pis pour les bonnes consciences qui combattent l'art du déni. Nous opterons plutôt pour l'optimisme, quitte à passer, une fois de plus, pour des autruches aux têtes ensablées. Car depuis quand le noir de la nuit est-il devenu porteur d'espoir ?

Un jeudi soir...
Peut-être, probablement, avec ce changement horaire, un changement tout court, qui a coïncidé avec une artillerie d'événements culturels et artistiques qui, le week-end dernier, ont secoué le cocotier de la nuit libanaise. Comme si, miraculeusement, l'appel de l'art n'était plus que le dernier, le seul à pouvoir pousser la «nightlife » et ses noctambules hors de leurs terriers... La ligne directrice étant l'émergence, la renaissance, la découverte, la fête, la fièvre avec moult manifestations : la réouverture de la galerie Carwan à La Quarantaine, l'ouverture de l'alléchante Marfa' dans le quartier du Port, la surprenante et inattendue exposition «Heartland » du Beirut Exhibition Center et puis, évidemment, les festivités pour l'inauguration de la massive et impressionnante Aïshti Foundation.
Soit un planning ultrapointu que le Liban, sortant à peine la tête de l'eau, s'est vanté de proposer. À juste titre. Des vernissages, des rubans coupés aux ciseaux, des flashs, des dîners, des bises claquées, des « selfies », du shopping, des toiles, de prestigieux artistes aux noms imprononçables, des cartes de visites échangées, encore plus de bises claquées, des coupes de bulles et des ampoules au pied étaient au programme. Un programme mine de rien, comme si de rien n'était ou comme si tout allait bien, drainant près de 500 étrangers qui « whatsappaient » frénétiquement avec Beyrouth depuis le début de la semaine dernière, sollicitant leurs potes libanais : « Qu'est-ce qu'on peut faire de beau un jeudi soir ? »

United colors
À cette question, Beyrouth a évidemment apporté toutes ses réponses, arborant du beau et du bon, avec de quoi assouvir les fantasmes des plus noctambules. Dans les rues vidées de ce pays Belle au Bois dormant, se sont donc glissés des groupes colorés et chantants, ahuris de se retrouver dans une ville aussi hallucinante qu'hallucinée. Ils sont entrés avec l'air bravache des grands rois dans ce territoire qu'ils ont reniflé, apprivoisé, dompté jusqu'à ne plus le craindre. Il y a eu en tête de défilé des curateurs, des galeristes, des journalistes et autres acteurs de la scène artistique mondiale, boulimiques de découvertes et d'aventures. *
Devant cette troupe très « united colors », les Libanais ont marché, le torse bombé et le crâne un peu alcoolisé, pour leur montrer de quel bois se chauffe la nuit libanaise. Le nez en l'air, ils les ont entraînés dans ce que Beyrouth sait et aime faire comme personne : tordre le cou à la morosité, éclabousser la grisaille d'un arc-en-ciel bariolé, danser et festoyer. Ils ont découvert la merveille qu'est le musée Sursock et son attirail nocturne. Des tables ont été dressées, des verres vidés et puis remplis, les bars et les boîtes réinvestis, les dancefloors réchauffés et les shakers des barmen réanimés. En somme, grâce à leur regard nouveau et leur appétit presque naïf, ces quatre cents êtres humains nous ont redonné goût pour cet ADN local gravé de pétarades nocturnes qui avaient perdu de sa saveur tout l'été durant.

Anonymes hyperconnues
Dimanche soir, cette bulle colorée a clôturé le week-end festif en front de mer, pour l'inauguration de la Fondation Aïshti, une œuvre insolite imaginée par l'architecte David Adjaye. Et si la situation glauque du pays n'a pas refroidi Tony Salamé dans la conception de son projet, ce ne sont certainement pas les quelques gouttes de pluie qui auraient entravé le vernissage déplacé en dernière minute à l'intérieur du bâtiment, devenu scène et coulisses d'une manifestation de l'exagération. Au bon sens du terme. L'excès comme l'un des beaux arts. Cet excès qui écarte nos graminées fanées comme autant de rêveries tordues pour faire place à ce qu'on semblait ne plus (re)connaître : l'espoir.
Il y avait donc, comme rescapée des lumières verdâtres d'un bloc opératoire, toute une société qui voyait venir à ses yeux ronds, ici et là, au sein de cette fondation, tout ce qu'elle avait l'habitude d'aller chercher dans ses voyages. Bon, comme il se doit, il y avait des anonymes hyperconnues qui se sont toisées, ont jugé robes et tenues, ont retouché leurs selfies et ont enflammé les réseaux sociaux. On a papoté de partout, dans toutes les langues, pas (forcément) pour dire grand-chose, l'ambiance était légère et drôle, mais cela synthétisait notre besoin viscéral de faire du bruit, quel qu'il soit, après un silence de plomb qui avait duré un peu trop longtemps.
Et aux lueurs du petit matin, tout ce beau monde a été se coucher avec la preuve et la conviction qu'on peut encore espérer sortir du noir. Y a plus qu'à rêver.

 

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