De passage à Beyrouth entre deux rounds de dialogue à Mascate, la délégation officielle du mouvement yéménite Ansarallah a eu une rencontre à bâtons rompus avec des représentants de la presse libanaise.
Dirigée par le porte-parole du mouvement Mohammad Abdel Salam, la délégation passera une semaine au Yémen avant de reprendre le chemin de Mascate pour un nouveau round de négociations avec les autres factions yéménites, et des représentants américains ainsi qu'indirectement avec des représentants saoudiens.
Le mouvement Ansarallah (qu'on appelle aussi houthis en référence à leur chef tué en 2004 et à l'actuel sayyed Abdel Malak Badreddine al-Houthi), qui était au début de la guerre plutôt mal à l'aise avec les médias, a pris de l'assurance, fort du fait qu'il a tenu bon sur le terrain pendant sept mois de bombardements intensifs, face à un blocus total, par mer, terre et ciel, et parce qu'il a proposé un plan de solution en sept points qui devrait servir de base à toute solution politique.
Malheureusement, selon Mohammad Abdel Salam, la partie saoudienne n'est pas encore prête à négocier convaincue qu'elle peut encore enregistrer une victoire éclatante sur le terrain. Le porte-parole explique ainsi que le pouvoir saoudien est divisé sur la question du Yémen. Si le prince héritier l'émir Mohammad ben Nayef n'est pas très impliqué dans cette guerre, celle-ci est devenue un enjeu vital pour le ministre de la Défense et second héritier Mohammad ben Salmane. Ce dernier a été trop loin, engageant chaque jour des dépenses allant jusqu'à 200 millions de dollars pour que ses troupes puissent marquer des points au Yémen. La prise de la capitale du pays Sanaa, même pour quelques heures, est devenue un enjeu vital pour lui, ce qui lui permettra d'écarter du pouvoir son rival l'émir Mohammad ben Nayef et de devenir le seul homme fort du pays. Tant qu'il sera dans cet état d'esprit, la guerre ne pourra pas prendre fin, sauf développement majeur sur le terrain.
Or, jusqu'à présent, et sept mois après le début de l'offensive dite de la coalition des pays du Golfe, les progrès sur le terrain sont à peine perceptibles, selon les dires de Mohammad Abdel Salam. Certes, le mouvement Ansarallah et ses alliés au sein de l'armée et chez les forces de l'ancien président Ali Abdallah Saleh se sont retirés de Aden au sud du pays, mais la ville est surtout contrôlée par les forces d'el-Qaëda bien enracinées dans certaines régions du Yémen, qui doivent d'ailleurs affronter désormais les forces naissantes de Daech. Preuve en est, les explosions meurtrières il y a quelques jours dans des centres de commandement des forces de la coalition à Aden. Ces explosions ont été revendiquées par el-Qaëda. Ansarallah et ses alliés ont aussi perdu du terrain dans le détroit de Bab al-Mandeb, vital pour les Américains et les Israéliens, mais le lieu est toujours sous leur puissance de feu. Dans la province stratégique de Maareb, qui ouvre la voie vers le Nord et la capitale Sanaa, les combats se déroulent dans un périmètre de trois kilomètres sur les collines. Il n'y a donc pas encore de percée significative. Par contre, les forces d'Ansarallah et leurs alliés ont pris le contrôle d'une superficie de 5 kilomètres de largeur sur 70 kilomètres de longueur en territoire saoudien. Un peu plus loin, la région d'al-Oueyra a été évacuée de ses habitants, en principe pour les mettre à l'abri, mais en réalité parce qu'ils sont zaydites et ismaélites, et les autorités saoudiennes craignent leur ralliement aux forces yéménites.
Mohammad Abdel Salam précise aussi non sans fierté qu'il n'y a pas de réfugiés yéménites, en dépit des conditions sociales, humanitaires et sanitaires terribles dans le pays. Malgré cela, l'État dirigé à partir de Sanaa continue de payer les salaires de ses fonctionnaires, même dans les provinces du Sud, à Aden notamment.
Mohammad Abdel Salam, qui participera à la fin de la semaine prochaine au troisième round des négociations, estime que pour l'instant, l'horizon est encore confus. Au cours des deux précédents rounds de pourparlers qui s'étaient tenus à Mascate (le premier avait eu lieu avant la signature de l'accord sur le nucléaire entre l'Iran et la communauté internationale et le second après), il y a eu un réel changement d'attitude dans l'autre camp : les Américains semblaient plus enclins à une solution politique alors que les Saoudiens ont durci le ton. Apparemment, aucune solution n'est envisageable dans un proche avenir, mais il faudra bien revenir au plan en sept points présenté par Ansarallah (l'acceptation de la résolution 2 216 du Conseil de sécurité avec des réserves sur les sanctions, la conclusion d'un cessez-le-feu et le retrait des éléments armés des grandes villes, la levée du blocus terrestre, maritime et aérien, le respect des droits humanitaires pour les prisonniers, l'envoi d'observateurs pour surveiller l'application des points précédents, le retour au gouvernement de coalition, le lancement de négociations politiques sous l'égide de l'Onu et la remise des armes lourdes).
Grâce à ce plan, Ansarallah a montré que ce mouvement a une vision politique de la solution, à l'échelle nationale. Selon Mohammad Abdel Salam, il s'est ainsi imposé sur la scène yéménite et il est devenu incontournable. La délégation est convaincue que l'Arabie saoudite ne peut que perdre au Yémen, car les Yéménites sont attachés à leur pays. Cette terre est la leur et ils ne sont pas prêts de la quitter, en dépit de la violence des bombardements. La seule victoire des Saoudiens est donc d'avoir réussi à détruire le Yémen. Mais pour le reste, c'est l'échec. Le président démissionnaire Abd Rabbo Mansour Hadi a passé une heure à Aden avant de prendre de nouveau la fuite. Quant au Premier ministre Bahhah, après l'explosion de son QG, il s'est réfugié en Érythrée. Par contre, Ansarallah, leurs alliés et leurs partisans sont toujours sur place...
Mohammad Abdel Salam a aussi révélé que la délégation a eu un entretien de plusieurs heures avec le secrétaire général du Hezbollah, qui a écouté leur exposé détaillé de la situation sur le terrain et sur le plan des négociations. Comme il l'a dit dans ses discours, Hassan Nasrallah est convaincu que la victoire est au bout du chemin, aussi long et difficile soit-il...
Pour mémoire
Une délégation yéménite au Liban pour parler d'une guerre qui n'en finit plus
Pendant ce temps, le sang continue de couler au Yémen et en Syrie...
commentaires (8)
MAIS ILS SONT À L'AUTRE BOUT...
LA LIBRE EXPRESSION
12 h 32, le 18 octobre 2015