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Économie - Liban - Focus

La baisse des prix des médicaments a-t-elle bénéficié aux laboratoires libanais ?

Si la politique de révision des tarifs pharmaceutiques a permis de réduire la facture des Libanais, ses effets sur l'industrie locale semblent ambivalents.

Les génériques représentent la moitié des médicaments mis sur le marché en 2014, mais n’absorbent que 34 % des volumes vendus, et 27 % de leur valeur. Photo Bigstock/sonyho

Depuis un an et demi, le gouvernement s'est engagé dans une vaste stratégie de baisse de la facture médicamenteuse des Libanais, parmi les plus dépensiers en la matière selon un rapport de Business Monitor International qui évaluait leurs achats à environ 3,1 % du PIB en 2014. Dernière en date, l'entrée en application, le 10 août dernier, de l'ordonnance unifiée qui permet pour la première fois au pharmacien de substituer un médicament générique au princeps – c'est-à-dire l'original distribué sous son nom commercial – à condition qu'il soit approuvé par le ministère de la Santé, vendu à un prix inférieur, et que le patient et le médecin soient d'accord.

« Alors que les dépenses pharmaceutiques s'élèvent à environ 1,3 milliard de dollars par an, encourager l'utilisation de génériques devrait réduire la facture santé à la fois pour la CNSS – qui rembourse 80 % des prix des médicaments – mais aussi pour le citoyen qui paie en moyenne 70 % de cette facture », explique le président de la commission parlementaire de la Santé, Atef Majdalani. Mais les effets attendus de cette mesure pourraient tarder à se concrétiser : « Les pharmacies privées récupérant des marges fixes – d'environ 23 % – sur les médicaments, elles préféreront toujours vendre des princeps plus rentable et à mon avis, l'ordonnance unifiée n'y changera rien », explique le responsable d'une industrie pharmaceutique sous le couvert de l'anonymat.

Envol des exportations
En attendant, d'autres mesures ont eu des effets immédiats sur les prix. C'est notamment le cas de deux décisions du ministère de la Santé entrées en vigueur en avril 2014 et revoyant la tarification de certains médicaments (voir encadré). Selon le syndicat des importateurs de médicaments, la première a entraîné une baisse de prix de 20 à 50 % de 1 383 médicaments importés tandis que 621 autres ont vu leur prix baisser de 10 à 20 %, sur un total de 3 454 médicaments recensés à l'importation entre la fin de l'année 2013 et celle du premier semestre 2015. « Ces chiffres prennent en compte la dépréciation d'environ 16 % de l'euro sur cette période », précise le président de ce syndicat, Armand Pharès. Résultat, la facture des importations de médicaments – qui absorbent encore 80 % du marché libanais (en volume) – a baissé de 3 %, à 570 millions de dollars, entre les premiers semestres 2014 et 2015, pour une hausse de 25 % des volumes. L'autre décision ministérielle portant sur la tarification des génériques et des médicaments produits localement a, elle, permis « la baisse des prix de plus de 600 médicaments génériques avec un avantage immédiat pour les patients et les tiers payants – CNSS et autres », explique Armand Pharès. Si les génériques représentent la moitié des médicaments mis sur le marché en 2014, ils n'absorbent que 34 % des volumes vendus, et 27 % de leur valeur.

Au-delà des prix à la consommation, et donc de la facture pour la CNSS, ces mesures commencent à avoir des effets contrastés sur le développement d'une industrie pharmaceutique locale, dont la production n'alimente actuellement que 20 % du marché. Car contrairement à de nombreux pays voisins, les laboratoires libanais n'ont pas tout misé sur la fabrication de génériques, loin s'en faut, ces derniers ne représentant qu'un tiers de la production locale. « Ils se positionnent davantage en tant que » partenaires « des multinationales – pour la fabrication sous licence ou le conditionnement de princeps vendus au Liban – qu'en tant que véritables concurrents des fabricants de génériques arabes et étrangers », confirme Armand Pharès.

Pourtant, les chiffres des exportations semblent bien montrer un regain des génériques libanais. « Les médicaments princeps fabriqués ou conditionnés sous licence ne sont généralement pas exportés à l'étranger », note en effet Armand Pharès. Or la valeur des exportations libanaises entre le premier semestre 2014 et le premier semestre 2015 a bondi en volume (+ 16 %), et surtout en valeur, cette dernière ayant presque doublé, à 33 millions de dollars. Ce, alors que les deux tiers de ces exportations (contre environ les 3/4 en 2014) sont absorbées par cinq pays (l'Arabie saoudite, l'Irak, la Jordanie, les Émirats et le Koweït).

(Pour mémoire : Ordonnance médicale unifiée La CNSS publie la liste des médicaments originaux et de leurs génériques)

 

Effets pervers ?
Une bonne nouvelle que les professionnels interrogés par L'Orient-Le Jour peinent pourtant à apprécier où à expliquer. Car, pour eux, « la baisse des prix gêne le fabricant libanais et nuit à sa rentabilité », avance Armand Pharès. « Nous avons déjà dû baisser les prix de nos génériques entre 10 % et 50 %, si notre prix de départ usine est trop bas nous n'aurons pas assez de marges pour faire la promotion du médicament à l'étranger », renchérit, sous le couvert de l'anonymat, le responsable d'un laboratoire pharmaceutique local, qui a accueilli cette baisse des prix avec circonspection.

Et même les professionnels qui, comme M. Pharès, se sont réjouis de ces mesures s'inquiètent néanmoins d'une poursuite de cette politique qui pourrait se traduire selon eux par un effondrement des prix sur le marché. Selon plusieurs sources, le ministère de la Santé a en effet exprimé sa volonté de fixer la période de validité des prix révisés à 10 semaines au lieu de 5 ans, ce qui pourrait accentuer nettement le rythme des baisses de prix, mais ce projet, toujours en négociation, a pour l'instant été rejeté par les professionnels du secteur. Contacté, le ministère de la Santé n'était pas joignable pour répondre aux questions de L'Orient Le Jour.

Outre la baisse de leurs marges, les professionnels laissent entrevoir d'autres effets pervers comme le risque de pénuries ponctuelles. « La baisse des prix de certains produits a rendu leur commercialisation non rentable. Jusqu'à présent, tous les produits dont la commercialisation a été interrompue ont leurs "équivalents" sur le marché, mais si pression à la baisse persiste, le fabriquant étranger pourrait peut-être être incité à retirer ses produits du marché libanais », menace Armand Pharès.

 

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