Il y avait un mélange de nostalgie et d'espoir dans les regards des nombreux partisans du général Michel Aoun qui ont envahi les routes menant au palais de Baabda dans le cadre de la manifestation d'hier. Nostalgie d'un jour noir qui a pourtant marqué le début d'une longue lutte pacifique et civilisée contre les SR syriens et libanais, en faveur du retour au Liban du « général » et espoir qu'un jour prochain Michel Aoun sera le nouveau locataire du palais présidentiel non plus en tant que Premier ministre mais en tant que président. Que cet espoir soit justifié ou non, les nombreux partisans du « général » y croient plus que jamais, ayant voulu montrer hier, par leur participation massive à la manifestation, que le palais présidentiel est désormais à portée de mains.
Dans cette foule immense et diversifiée, il y avait ceux qui avaient vécu la tristesse du 13 octobre 1991 et les autres, les jeunes qui n'en ont entendu parler que par leurs parents, mais qui étaient aussi émus que leurs aînés. L'ex-militaire venu avec son béret déchiré qu'il portait le 13 octobre 1990 avant d'être blessé par un tir racontait à ses enfants dans les détails le déroulement des événements et les dames qui avaient donné une partie de leurs bijoux au « général » pour lui permettre d'acheter des armes pour tenir bon, tout le monde s'est retrouvé dans une atmosphère particulière pleine d'émotion, de souvenirs et de joie. Les analystes blasés et les nombreux adversaires de Michel Aoun auront beau minimiser la portée de la manifestation de dimanche et la placer dans le cadre d'une nostalgie inutile, il n'en reste pas moins que cet homme est l'un des rares leaders libanais à pouvoir susciter un tel élan populaire et entraîner un si grand nombre de gens dans la rue, juste pour lui exprimer leur solidarité.
Dans l'histoire moderne du Liban, il y a certes eu de grandes manifestations populaires qui étaient soit politiques, soit confessionnelles, soit sociales. Le secrétaire général du Hezbollah peut aussi pousser dans la rue un million de personnes, juste s'il lance un appel en ce sens, mais il a, pour lui, la dimension résistante et religieuse, ainsi que l'image de vainqueur de son parti qui offre aussi des structures sociales à la communauté dont il relève. Le courant du Futur, au temps où il pouvait entraîner les gens dans la rue, misait aussi sur les aides matérielles et financières et sur la double fibre confessionnelle et émotionnelle due à l'assassinat du leader Rafic Hariri. Le Mouvement Amal mise sur la fibre confessionnelle et sur l'image vénérée de l'imam disparu Moussa Sadr et ainsi de suite. Seul Michel Aoun peut pousser un si grand nombre de personnes dans la rue juste pour sa personne, puisqu'il n'y a pas d'avantages concrets dans le fait de le suivre... Mais les manifestants qui ont répondu massivement à son appel ne lui demandent qu'une chose, c'est d'être là et d'avoir besoin d'eux. C'est d'ailleurs conscient de cette responsabilité qu'entraîne cette ferveur populaire que Michel Aoun s'est adressé à la foule avec une émotion au moins aussi grande que celle de ses partisans.
Dans son discours, Michel Aoun est revenu sur les grandes lignes de son action contre la classe politique actuelle et comme il n'a pas évoqué une possibilité de compromis sur la question des nominations militaires, il est clair que celle-ci n'est plus à l'ordre du jour. Les informations font en effet état du refus du général Chamel Roukoz d'être l'objet d'un compromis qui le maintiendrait en poste un an de plus sans une fonction effective. L'homme dont la carrière est jalonnée de victoires pour l'armée et pour le Liban ne peut pas accepter de faire l'objet d'un bazar entre les politiciens. S'il a fait partie dans les premières lignes des batailles les plus cruciales et les plus dangereuses de l'armée et en particulier de l'unité des commandos, pour le Liban, sa sécurité et sa dignité, ne peut pas terminer sa carrière dans un accord douteux, que d'ailleurs l'autre camp n'a peut-être jamais eu l'intention de conclure, se contentant de l'utiliser pour d'une part gagner du temps et d'autre part tenter de discréditer Aoun et Roukoz.
Aujourd'hui, cette page est tournée et le gouvernement est devant une nouvelle étape, dans laquelle il n'y a plus de petits arrangements possibles. Il faudra désormais aborder les grandes questions autrement dit, le projet de loi électorale et la présidence, qui sont déjà à l'ordre du jour de la conférence du dialogue. Il est clair que dans le climat politique actuel, aucune éclaircie n'est en vue, mais en même temps, les adversaires de Michel Aoun ne peuvent plus ignorer l'étendue de sa popularité au sein de la rue chrétienne. Ils auront beau vouloir, dans leurs déclarations, minimiser l'ampleur et la portée de la manifestation d'hier, elle n'en reste pas moins un élément important dans toute solution future. Grâce à la manifestation d'hier, Michel Aoun a en effet montré qu'il reste un grand leader chrétien et par conséquent un partenaire incontournable dans tout compromis à venir. Non seulement, il n'y aura pas d'élection présidentielle sans son aval, mais de plus, il n'y aura pas de gouvernement actif ni de Parlement productif sans sa participation. Jusqu'à ce que l'autre camp accepte cette réalité, le pays restera dans l'impasse, affirment les partisans du général Aoun.
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commentaires (16)
en tt cas je crois que c'est claire que personnellement je pourrai faire confiance plus a Rohani qu'aux Assad !!
Bery tus
21 h 45, le 12 octobre 2015